Depuis quelques semaines, les consommateurs ont constaté l’absence de sachets de riz ration sur les étagères. Si les autorités affirment qu’il n’y a à ce stade pas de pénurie de riz ration sur le marché et qu’il n’y a pas lieu de céder au panic buying, les consommateurs, eux, commencent à s’inquiéter. Et si sur les réseaux sociaux ce sont surtout les propriétaires d’animaux qui s’expriment le plus, il faut avant tout se rendre compte que la masse silencieuse, celle au bas de l’échelle, en dépend.
Ils sont nombreux sur les réseaux sociaux à s’échanger les bonnes adresses pour se dénicher des « bal diri ration » pour nourrir leurs animaux de compagnie. Et cela à juste titre. Toutefois, ils sont aussi nombreux à « tracer » pour nourrir leurs familles, selon les moyens du bord. Eux sont moins présents sur les réseaux et plus discrets dans les supermarchés. « Le riz ration, c’est la base. C’est le pilier de tout foyer modeste mauricien. Aussi, ce n’est pas juste une question d’argent, mais aussi d’habitude », confie un consommateur inquiet. Mevin Munisamy est travailleur social et est le fondateur de l’Organisation non-gouvernementale (ONG) Light of Hope. Il travaille avec de nombreuses familles nécessiteuses. « Le riz ration, c’est un produit de base. Il ne faut pas oublier que plus de 50% des foyers mauriciens en dépendent », dit-il. « En tant qu’ONG, nous préparons près de 200 food packs tous les ans et selon notre budget, nous pouvons donner uniquement du riz ration, car il reste le plus abordable », ajoute Mevin Munisamy.
Comme Light of Hope, de nombreuses ONG connaissent la réalité du terrain et se chargent de nourrir des milliers de familles nécessiteuses. « Dimounn ankor manz gro diri, me ena bokou gagn onte. Kot pou gagn larzan pou aste enn diri Rs 300 ? Avek Rs 28 ou kapav nouri ou fami » nous confie timidement une consommatrice. N’ayant pas pu obtenir de sachet de riz au supermarché du coin, elle s’est rabattue sur un sachet de macaroni pour le repas du soir. C’est en ce sens qu’abonde Jayen Chellum, président de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM). « Il faut faire preuve de compassion, surtout ceux qui ont les moyens. N’achetez pas plus qu’il n’en faut et pensez aux familles qui dépendent du riz ration pour vivre », soutient-il.
Par rapport à la supposée pénurie de riz sur le marché local, il tempère. Il explique que selon les chiffres de l’an dernier sur l’importation de riz, c’est le Pakistan qui a fourni plus de 95% de la consommation. « Nous n’avons pas les chiffres pour cette année, mais je ne pense pas que la décision prise de bloquer les exportations en Inde puisse autant nous affecter, car c’est le Pakistan qui a été l’an dernier notre plus gros fournisseur », dit-il. Il espère ainsi que les autorités prendront les mesures nécessaires pour rassurer la population et surtout pour approvisionner les personnes vulnérables comme il se doit. Il soutient, par ailleurs, qu’il y a d’autres exportateurs de riz, comme la Thaïlande.
En ce qu’il s’agit de la situation actuelle, il concède que « nous avons pris note ces dernières semaines de consommateurs qui auraient acheté de grandes quantités de riz ration pour essentiellement nourrir leurs animaux de compagnie. Chose que nous pouvons comprendre, mais si vous avez les moyens, vous pouvez trouver d’autres alternatives. Il ne faut pas croire que les gens ne consomment plus de riz ration à Maurice, il faut donc laisser ces gens-là s’approvisionner comme il se doit », dit-il. De plus, avec le taux de l’inflation et le coût de la vie qui augmente, Jayen Chellum lance un appel aux consommateurs. « Si une personne au bas de l’échelle doit désormais aller acheter du riz basmati, imaginez-vous ce que cela représente dans son budget déjà restreint. » Il demande aussi aux autorités d’instaurer un système de rationnement pour les personnes concernées, sous forme de carte, par exemple.
Protéger ceux au bas de l’échelle
Jayen Chellum met ainsi en garde contre toute tentative d’augmenter artificiellement les prix du riz basmati cette foisi. « Les prix du riz basmati sont relativement stables au Pakistan et en Inde, soit nos deux grands exportateurs, donc, on ne peut pas venir faire croire qu’à Maurice les prix doivent augmenter », prévient-il. Il lance à cet effet un appel aux autorités pour veiller qu’aucun abus ne soit commis dans une telle situation. Idem pour le prix du riz ration qui doit, selon lui, rester fixe. « Les autorités devraient d’ailleurs penser à afficher le prix de ces commodités de base pour permettre aux consommateurs de mieux comprendre la situation et pour éviter tout abus. »
Eric Mangar, agronome et membre du Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire (AMM), souligne pour sa part qu’il est grand temps d’enclencher un système d’approvisionnement régional. « Nous devons penser à l’avenir et le changement climatique demeure un des plus gros dangers qui nous guettent. Ce qui se passe en ce moment avec l’importation du riz est un signal fort. Nous devons nous préparer et la région indiaocéanique doit coopérer davantage. » Il soutient que la Commission de l’océan Indien devrait se pencher sur de nouvelles coopérations, notamment dans la production de riz. « Nous avons dans le passé importé du riz de Madagascar. Nous ne pouvons plus dépendre d’un seul importateur, ce n’est plus possible dans la conjoncture. » De plus, il explique que l’Afrique consomme désormais beaucoup plus de riz et moins de millet. « C’est une piste à exploiter », soutient-il.
Les autorités, elles, rassurent. Dans une déclaration au Mauricien, Sheena Ramdonee, responsable de la communication de la State Trading Corporation (STC), indiquait qu’« une cargaison de 980 tonnes métriques est arrivée vendredi dernier. Elle sera mise sur le marché dans les jours à venir. La livraison va se faire en petite quantité par nos distributeurs afin d’éviter que tout le stock ne s’épuise en peu de temps. » Et d’ajouter que « trois autres bateaux sont attendus en août. Ce qui nous permettra d’avoir un stock suffisant jusqu’à la mi-septembre. Il n’y a donc pas lieu de céder au panic buying. » Affaire à suivre.