Rodrigues s’apprête à accueillir les Assises de l’Éducation les 26 et 27 mai, après celles de 2019. Cette nouvelle édition, avec en perspective l’autonomie de l’éducation, se veut un moment de réflexion collective sur les failles du système éducatif actuel dans l’île et sur les pistes d’une réforme en profondeur, fondée sur une approche holistique. Parmi les aspirations exprimées figure le souhait de faire de Rodrigues un pôle de formation supérieure dans des secteurs clés comme la pêche et l’agriculture, en lien direct avec les ressources et les besoins du territoire. Les Assises seront également l’occasion de soulever le problème persistant du manque de places dans les centres du MITD, qui limite l’accès à la formation pratique pour de nombreux jeunes Rodriguais. Par ailleurs, les enseignants de Rodrigues réclament des conditions de travail équivalentes à celles de leurs homologues mauriciens, en matière de logistique, de formation continue et d’encadrement professionnel. Le ministre de l’Education, Mahend Gungapersad, sera présent à l’ouverture de ces Assises.
Les 26 et 27 mai, Rodrigues accueillera une nouvelle édition des Assises de l’Éducation, un rendez-vous crucial pour repenser l’école à l’échelle de l’île. En écho aux travaux amorcés en 2019, cette rencontre offrira un espace de réflexion collective sur les limites persistantes du système éducatif, encore trop rigide pour répondre à la diversité des profils d’élèves. L’ambition est claire : faire de l’éducation un levier de développement humain, social et économique, en l’adaptant aux réalités et aux potentiels de chaque jeune Rodriguais. Le système actuel, encore largement linéaire et académique, montre aujourd’hui ses limites. Les résultats du dernier National Certificate of Education en sont un indicateur alarmant : près de 42,4% des élèves n’ont pas réussi les examens. Le taux chute même à 3,3% de réussite dans l’ancien Extended Stream (actuel Foundation Programme in Literacy, Numeracy and Skills), révélant un système inadapté aux élèves en difficulté d’apprentissage. Ce constat appelle une réforme structurelle urgente.
De nombreux pédagogues défendent la mise en place d’un modèle hybride d’apprentissage, reposant sur trois piliers : un tronc académique solide pour ceux à l’aise dans les matières classiques ; une filière vocationnelle valorisant les aptitudes techniques, artistiques ou manuelles ; et un volet numérique axé sur les compétences d’avenir comme le codage, la robotique ou le design. L’objectif est de construire des parcours adaptés, motivants et durables pour tous les élèves. Mais la transformation ne doit pas se limiter aux contenus pédagogiques. L’école doit aussi être un lieu d’épanouissement personnel. Des programmes axés sur les life skills — gestion des émotions, respect d’autrui, esprit d’équipe, leadership — sont envisagés pour former des jeunes équilibrés, responsables et mieux préparés aux défis du monde moderne.
Andy Louis, enseignant :
« Nous avons besoin de qualité »
De son côté, Andy Louis, enseignant du primaire et syndicaliste au sein de la branche rodriguaise de la Government Teachers Union (GTU), plaide en ce sens pour une éducation holistique : « À l’heure où nous réclamons une éducation holistique, nous avons besoin d’un système axé sur la qualité, et non sur la quantité, notamment à travers un curriculum surchargé. La qualité est essentielle si nous voulons promouvoir des valeurs et intégrer les life skills dans l’apprentissage scolaire. » Il appelle aussi à une réflexion sincère sur la finalité de l’école, rejetant une approche centrée uniquement sur l’accumulation de savoirs académiques. Pour lui, la réussite éducative passe par un équilibre entre contenus théoriques, compétences pratiques et développement personnel.
Andy Louis compte également interpeller les autorités sur les disparités persistantes entre les enseignants de Rodrigues et leurs homologues mauriciens. « Les éducateurs de l’île doivent pouvoir bénéficier des mêmes facilités logistiques, des mêmes opportunités de formation continue et d’un encadrement équivalent pour assurer un enseignement de qualité. À titre d’exemple, les Supply Teachers ne travaillent pas dans les mêmes conditions qu’à Maurice. » Il insiste aussi pour que les enseignants soient pleinement intégrés au processus décisionnel lors de ces Assises : « Les enseignants doivent être des acteurs à part entière dans la transformation du système éducatif. Leur expérience du terrain est essentielle pour que les propositions issues des Assises soient réellement efficaces. »
Nan Rock Perrine, recteur :
« La Commission de l’Éducation dépend trop du ministère »
Nan Rock Perrine, recteur du Rodrigues College, insiste quant à lui sur la nécessité de mieux prendre en compte l’environnement psycho-social de l’élève. Il souligne un enjeu encore trop souvent négligé : la prise en charge des enfants à besoins spéciaux dans les écoles du mainstream. « Le personnel scolaire n’est pas formé pour cela. Nous avions accueilli un collégien en situation de handicap, mais malheureusement, il n’a pas pu poursuivre sa scolarité chez nous. Nous n’avons ni les ressources ni la formation nécessaire pour l’accompagner correctement. Il a dû nous quitter », confie-t-il.
Autre thème majeur : la question des infrastructures. Certaines écoles secondaires pourraient devenir des centres polyvalents, combinant cours théoriques et ateliers pratiques. Le rôle du MITD (Mauritius Institute of Training and Development) est également à revaloriser. Il s’agirait d’y proposer des modules courts, certifiants, dans des domaines porteurs comme le tourisme, l’agriculture durable ou la digitalisation. Nan Rock Perrine alerte toutefois : « Les centres du MITD sont remplis et ne peuvent pas accueillir davantage de jeunes, notamment ceux du Foundation Programme in Literacy, Numeracy and Skills en Grades 7 et 8. » Il appelle donc à un accès élargi à la formation pratique. Le recteur plaide aussi pour une autonomie accrue de l’éducation à Rodrigues.
« La Commission de l’Éducation dépend encore trop du ministère à Maurice. La crise financière de 2024, qui a frappé les collèges privés, y compris le Rodrigues College, et provoqué un bras de fer avec la PSEA, démontre la nécessité de revoir la gouvernance. J’attends une révision des grants pour une autonomie dans la gestion des finances. « Par ailleurs, il souligne un dysfonctionnement persistant : « Les informations transmises par le ministère de l’Éducation aux écoles à Maurice n’arrivent pas simultanément à Rodrigues. Ce retard affecte le travail des responsables d’établissement. » Pour le recteur, Rodrigues peut devenir un pôle de formation pour les jeunes souhaitant poursuivre des études en agriculture et en pêche après le cursus secondaire, à condition que les structures locales soient renforcées et que l’offre éducative s’aligne davantage sur les besoins du territoire.
Indiscipline
Les Assises permettront aussi d’aborder la question sensible de la promotion automatique. Cette pratique masque trop souvent les difficultés réelles. Des classes de transition, centrées sur le rattrapage scolaire et le soutien psychologique, sont régulièrement proposées comme alternative pour offrir une seconde chance sans stigmatisation. D’autre part, l’indiscipline fera partie des questions que des participants comptent soulever lors des Assises. Si le phénomène n’atteint pas la même ampleur qu’à Maurice, il n’en demeure pas moins préoccupant aux yeux des responsables éducatifs.