Une vive polémique a marqué une déclaration faite par Sam Lauthan durant le week-end. Le Chairman de la National Agency for Drug Control (NADC) aurait déclaré qu’il était opposé à la dépénalisation du gandia. Ce qui a déclenché une inévitable levée de bouclier de la part de divers partenaires dans la lutte contre la toxicomanie et les drogues. Sollicité pour jeter un éclairage sur cette question délicate, Sam Lauthan soutient qu’il n’a jamais déclaré qu’il était contre la dépénalisation du gandia. « Mais sa légalisation, oui ! Je ne suis pas du tout en faveur de la légalisation, mais pas contre la dépénalisation : c’est tout à fait autre chose. » Il continue : « quand j’étais ministre de la Sécurité sociale et des Institutions réformatrices, avec mon équipe, les techniciens et officiers de ce ministère, nous avions mis en place une série de projets qui, quelque part, préparaient le terrain pour la dépénalisation du gandia ! Il y a, parmi eux, les Rehabilitation Youth Centres (RYC) et les Correctional Youth Centres (CYC). »
Le travailleur social de longue date nommé par le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et le Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, pour chapeauter la NADC souligne : « l’idée est de ne pas punir le consommateur quand les autorités l’arrêtent une première fois, alors qu’il se trouve en possession d’une certaine quantité de gandia. » Toutefois, nuance Sam Lauthan, « j’ai mes réserves quant à la dépénalisation ». Il ajoute : « Quand nous avons, dans le rapport de la Commission d’enquête Lam Shang Leen, préconisé la création et mise en opération du Drug Users’ Administrative Panel (DUAP), c’est justement à l’intention des usagers de drogues qui seraient pris dans les mailles de la justice. Cependant, ce que je n’approuverais pas, c’est que des consommateurs utilisent le DUAP comme excuse. Fumer du gandia est et demeure une offense, même avec la dépénalisation du gandia ! » Dans l’interview qu’il a accordée au Mauricien, Sam Lauthan s’explique et met les points sur les i.
Vous êtes le Chairman de la NADC. Dimanche dernier, dans le cadre d’une marche contre la drogue, vous avez déclaré que vous étiez contre la dépénalisation du gandia. Pourquoi ?
C’est totalement faux ! Je n’ai jamais dit que je suis contre la dépénalisation, mais contre la légalisation ! Mes propos ont été mal rapportés. Il y a une différence importante entre dépénalisation et légalisation du gandia. Et à cause de cette confusion, de la part du journaliste en question, plusieurs groupes, associations et formations, et même des individus, m’ont contacté et ont été très virulents dans leurs positions à cet effet.
Vous êtes conscient qu’en tant que Chairman de la NADC, qui est une entité placée sous la directe responsabilité du Prime Minister’s Office (PMO), de tels propos ne passent pas dans l’indifférence…
Effectivement. Je mesure totalement l’ampleur de cette grossière confusion ! Et je comprends tout à fait la levée de boucliers de part et d’autres des associations, Ong et même des individus qui me reprochent ces propos. De fait, j’ai contacté ce média en question; j’ai évoqué le malentendu avec un responsable de la rédaction. Cependant, je crois comprendre que le journaliste concerné ne reconnaît pas son erreur et fait porter le chapeau à d’autres collègues… Mais là n’est pas la question. Je le dis et je le répète : je suis définitivement en faveur de la dépénalisation du gandia. Mais bien entendu, j’ai aussi mes réserves.
Quelles sont-elles ?
L’idée derrière la dépénalisation du gandia, c’est d’éviter aux consommateurs qui sont arrêtés une première fois, par les autorités, la police, donc, d’aller en prison. Le toxicomane est un malade : c’est l’OMS, et pas Sam Lauthan, qui le dit. On ne traite pas un patient en l’envoyant en prison ! D’où l’idée de dépénaliser. Cependant, ce que je crains, ce sont des perversions des structures, où certains parviendraient à passer outre ces paramètres et penser s’en sortir en toute impunité.
Quand j’étais ministre de la Sécurité sociale et des Institutions réformatrices, avec les travailleurs sociaux sur le terrain qui collaboraient au sein du ministère, et avec l’apport des techniciens et officiers de ce ministère, nous avions mis en place une série de projets. Parmi, il y avait les RYC et CYC pour les mineurs afin qu’ils ne se retrouvent pas derrière les barreaux. Et il y avait aussi le “community service”, dans la même lignée.
Puis, en tant qu’assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, nous avons préconisé dans notre rapport la création et la mise en opération d’un Drug Users’ Administrative Panel (DUAP). Cet organisme comprend des médecins, des travailleurs sociaux, des psychologues ainsi que des représentants de la justice. L’idée, encore une fois, est de permettre à ceux qui sont arrêtés en possession de gandia de ne pas aller en prison, mais d’être orientés vers un centre de traitement. Donner ainsi une chance à ce consommateur de sortir de l’addiction et de ne pas sombrer dans l’enfer des drogues. Malheureusement, il y a certains qui usent, à mauvais escient, des structures et profitent de certaines faiblesses – elles peuvent être humaines et/ou légales – pour continuer à prendre des drogues et éviter les barrières légales. Je tiens à souligner que même avec la dépénalisation, la consommation de gandia demeure une offense ! Il ne faut pas oublier cela.
Quelle est votre position, comme président de la NADC et à titre personnel, sur la question épineuse de la légalisation du gandia, qui fait débat ?
Écoutez, ma position est très claire : la légalisation du gandia, c’est hors de question ! À chaque occasion, je cite les pays qui ont légalisé le cannabis et qui sont, pour des raisons solides, revenus sur leur décision. Ce n’est quand même pas quantité négligeable, non ? Le dernier exemple en date est la Thaïlande. Avec un changement à la tête de son gouvernement, les dirigeants sont revenus sur leur politique et il n’est plus question de légalisation du cannabis dans ce pays. Ils ont réalisé et compris les dégâts que la légalisation cause sur leur population, et ont décidé de “back pedal”. Je pense que c’est important de prendre tout cela en considération, d’autant que nous avons, à Maurice, une petite population. Imaginez les dégâts qu’une décision irresponsable aurait sur la société !
Pourquoi êtes-vous aussi réfractaire à la légalisation du gandia ?
C’est simple : nous avons les preuves, scientifiques, que les trafiquants, par l’entremise de leurs armadas d’experts et de techniciens à leur solde, ont modifié génétiquement le gandia ! Lors d’un atelier de travail de la NADC, il y a quelques mois, un représentant du Forensic Scientific Laboratory (FSL) a expliqué comment la plante initiale n’est plus du tout la même. Désormais, le gandia qui est cultivé contient 95% de THC, qui est l’élément qui cause le plus de dégâts sur le cerveau et le corps humain qui le consomme; et seulement 5% d’éléments médicinaux. Alors qu’avant de telles manigances scientifiques, la plante contenait allons dire 50% de THC et 50% d’éléments médicinaux.
Ayant conscience qu’un tel niveau de THC causerait des dommages irréversibles chez les consommateurs, est-ce que vous croyez que nous, à la NADC, nous pouvons prendre le risque de donner notre feu vert pour la légalisation ? Il faut être inconscient pour prendre une telle décision ! Ce n’est responsable du tout de notre part de nous embarquer dans une telle avenue ! Ce serait faire peu de cas de la vie et de l’avenir de nos jeunes. Déjà, là, avec les mélanges qui sont vendus dans les “simik”, des usagers se retrouvent avec toutes sortes de complications de santé, peut-être même des overdoses. Allons, soyons sérieux !
Quelle est la différence entre dépénalisation et légalisation ?
Il y a justement un énorme travail d’éducation et de vulgarisation à faire à ce niveau. Il y a plusieurs façons d’appliquer la dépénalisation. Il faut aussi dire qu’il n’y a pas de définition standard de la dépénalisation. Dans notre contexte, à Maurice, la dépénalisation sous-entend, entre autres, que le consommateur trouvé en possession d’un joint ou d’une certaine quantité de gandia – lors de sa première arrestation, je le souligne bien – n’est pas automatiquement passible d’une peine de prison. Nous lui donnons la chance d’arrêter de fumer du gandia en le dirigeant vers un centre de traitement à cet effet.
La dépénalisation touche aussi l’usage du cannabis medical dans des cas bien précis et selon des structures bien établies, solides et à l’épreuve des abus. Mais sur ce point, le débat est toujours ouvert. Nous n’avons pas encore atteint l’unanimité. La légalisation, en revanche, implique la vente dans les commerces et “over the counter”, comme on le dit, du gandia.
Un sentiment général perdure à l’effet que la NADC tarde trop et n’est pas assez proactive, alors que la situation sur le terrain appelle à une réaction urgente. Que répondez-vous à cela ?
Je comprends tout à fait. Je dirais que, peut-être, moi-même et mon équipe ne communiquons pas suffisamment. Peut-être que nous avons commis la faute de ne pas “ventilate” toutes les actions que, depuis plusieurs mois déjà, tous ceux qui font partie de la NADC, faisons.
Par exemple, nous avons et continuons des rencontres avec des partenaires directs – le bureau du DPP, le SLO, les avocats, les juristes, tout aussi bien qu’avec la plupart des ministères – l’éducation, la jeunesse, la famille et l’égalité des genres, pour ne citer que ceux-là, et parallèlement, des autorités comme la MRA, la police, la douane, ainsi que la société civile et les citoyens ! Le but de ces rencontres, c’est d’établir le contact avec toutes ces personnes qui font partie de ces institutions, d’une part, très important, car la NADC est un nouvel organisme, d’État, il convient de le rappeler. Et dont le mandat est d’amener tous ces partenaires à développer une synergie collective. Il faut donc commencer par communiquer, expliquer et jauger qui peut faire quoi !
Je suis très remonté contre ceux qui fustigent, de tout go, en disant que “10 mwa NADC exist, naryen pa pe fer”. Je réponds simplement : non ! La NADC n’existe pas depuis 10 mois. Cela fait 10 mois que le nouveau gouvernement a été élu, ça oui ! Mais la NADC a dû attendre les procédures légales et parlementaires avant d’avoir son statut, recruter, apporter les modifications dans le sillage d’un travail d’équipe avec le gouvernement. La NADC répond à un mini-cabinet qui siège au-dessus de nous. Li pa enn badinaz sa ! Nous sommes tenus d’expliquer et de justifier tout ce que nous faisons !
Pour revenir sur le manque d’action, je dirais aussi que s’il y a une perception que nous n’agissons pas, c’est bien dommage. Car l’un des buts avoués de la NADC, c’est justement de créer et de mettre en operation des cellules de citoyens, soutenues par des autorités, donc la police. C’est allons dire un “neighbourhood watch” à un “national level”. D’où nos présences et interactions avec les forces vives des localités de toutes les régions et quartiers du pays afin de toucher et sensibiliser chaque Mauricien sur l’urgence de la situation, les former et les encadrer.
Parallèlement, il y a le “community policing”, qui vient en apport justement à ces groupes de citoyens. Dans cette dynamique, il y a un partenariat qui s’installe, et dès lors, les informations, glanées sur le terrain montent vers la police, qui fait remonter à la NADC. Nous l’avions dit lors de la présentation de la NADC : nous veillerons à ce que l’information circule dans les deux sens : top to bottom, but also, bottom to top. Parce qu’il ne faut pas oublier que ce sont les citoyens qui vivent la triste réalité, ces parents de toxicomanes qui ne savent plus à quelle porte frapper. Mais tout cela prend du temps à mettre en place. Cependant, je concède, comme je l’ai dit, que peut-être que notre faute est de ne pas communiquer sur chaque chose que l’on fait…
Les marches contre la drogue ont-elles un impact de nos jours ? Ou ne faut-il pas de nouvelles approches ?
Tout à fait ! C’est une bonne question, et je dirais que les deux options valent leur pesant d’or. Je m’explique. Les marches, aujourd’hui, ne se limitent pas aux seuls quartiers infestés par les trafiquants et le trafic. J’espère que les citoyens ont réalisé que les marches contre la drogue s’organisent aux quatre coins du pays, c’est dire l’ampleur du problème.
Quand nous allons dans des villages que l’on croit isolés, épargnés par les drogues, nous sommes nous-mêmes surpris quand l’on nous rapporte des cas dans ces endroits ! De surcroît, lors de nos marches, nous ne brandissons pas les slogans creux. Quand les Américains sont venus avec les slogans “Say no to drugs” et, par la suite, “War on drugs”, ils ont eux-mêmes, de leur propre aveu, fait leur mea culpa. Ces slogans n’ont empêché personne de consommer des drogues ! Face à cet échec, avec des instances comme l’UNODC, l’OMS et d’autres encore, des campagnes basées sur le “literacy”, soit la vulgarisation des informations, comment la prise des drogues devient nocive pour le corps, le cerveau et la santé, ainsi que la cellule familiale, est préconisé. Lors de nos marches, nous demandons à nos participants de clamer, par exemple, “Simik non !”.
Et, effectivement, il y a d’autres approches que nous devons développer, outre les marches. La sensibilisation et la prévention sont et demeurent les maîtres mots, la clé dans ce combat énorme et sans relâche que nous menons. Et nous n’avons pas droit à la moindre erreur. D’où les divisions et unités, et les subdivisions que la NADC comprend. Tout ce travail a été pensé et est partiellement déjà mis en application.