Depuis quelques années, un petit groupe de paroissiens de Saint-Julien, dans l’Est, remue ciel et terre, pour essayer de comprendre ce qui s’est passé avec un terrain de 25 arpents, que leurs ancêtres avaient contribué à acheter en 1814. Ce terrain est actuellement sous culture de canne et la paroisse de Saint-Julien a un contrat de métayage avec Alteo, qui se dit propriétaire. Ce que contestent les paroissiens, dont les ancêtres avaient acheté ce terrain et en ont accordé une « jouissance spéciale » à la paroisse. Ils souhaitent que ce bail – qui arrive à échéance le 31 décembre prochain – ne soit pas renouvelé.
C’est un dossier brûlant qui embarrasse le diocèse de Port-Louis. Des paroissiens de Saint-Julien veulent des explications sur la « dépossession » d’un terrain de 25 arpents, situé à proximité de l’église, qui avait été acheté en 1814. Ils veulent comprendre comment Alteo se dit aujourd’hui propriétaire et a même fait un contrat de métayage avec la paroisse, pour la culture de canne alors que leurs ancêtres avaient contribué à l’achat de ce terrain.
Selon les documents d’archives, 240 paroissiens avaient cotisé, à travers une souscription volontaire, en 1814, pour l’achat de 25 arpents de terre, à Saint-Julien. Un extrait des Registres des actes judiciaires du quartier de Flacq indique ainsi : « Aujourd’hui, trente janvier, mil huit cent quatorze. En l’église paroissiale du quartier de Flacq, après le Service Divin, se sont assemblés légalement, les habitants de cette paroisse en ayant obtenu l’agrément de son Excellence le Gouverneur Farquar, à l’effet de délibérer sur les moyens les plus prompts et les moins dispendieux, de donner un logement convenable à leur curé et d’avoir en même temps, à cœur de restaurer et d’agrandir l’édifice servant aujourd’hui d’église, beaucoup trop petite pour contenir les paroissiens et pour l’exécution des deux objets, nommer des commissaires. »
Le document mentionne encore : « À l’instant, a été produite une souscription faite pour ces deux objets, par le commissaire civil, s’élevant dans ce moment à une somme de dix-huit cent quatre-vingt-huit piastres (…). » Ce terrain de 25 arpents est sous culture de canne, pour le compte de la paroisse de Saint-Julien, depuis de nombreuses années. En 2005, un ancien CEO d’Alteo a écrit aux responsables du diocèse de Port-Louis, dans le but de « régulariser la situation ».
C’est dans ce contexte que la fabrique de Saint-Julien, qui s’occupe des finances de la paroisse, a signé un contrat de métayage avec Alteo. Cela, afin de pouvoir continuer à cultiver la canne sur ce terrain. C’est justement cela que conteste un groupe de paroissiens. Car dans le contrat de métayage, la fabrique de Saint-Julien est le « preneur » et Alteo le « propriétaire ». Or, le terrain appartient aux paroissiens, disent-ils, qui ont accordé une « jouissance spéciale » à la paroisse.
Des questions sans réponses
Comment en est-on arrivé là? Les responsables du diocèse ont-ils été induits en erreur, en acceptant la démarche d’Alteo de « régulariser » la situation ? Alteo a-t-il agi délibérément en faisant croire qu’il était propriétaire du terrain ou y a-t-il eu une méconnaissance du dossier ? Ou encore, la fabrique de Saint-Julien a-t-elle vendu le terrain à Alteo ?
Ce sont autant de questions que se posent ces paroissiens, qui peinent à trouver des réponses depuis quatre ans. Gérard Monet, l’un d’entre eux, se dit indigné. « Toutes nos demandes d’explication ont été balayées d’un revers de la main à ce jour. Si Alteo se dit propriétaire, la moindre des choses aurait été de nous dire s’il y a eu un contrat de vente ou de gestion pour ce terrain. »
Ce dernier est issu de la cinquième génération des Monet à Maurice. Son ancêtre, Jean, faisait partie de ceux qui ont contribué à la souscription volontaire mentionnée dans les Registres des actes judiciaires du quartier de Flacq. Tous les noms des contributeurs sont d’ailleurs mentionnés dans les documents disponibles aux archives. Gérard Monet se dit déçu par cette situation. « J’ai toujours été un paroissien de Saint-Julien. J’ai été baptisé ici, j’y assiste à la messe toutes les semaines et probablement, il y aura mon enterrement ici. D’ailleurs, la tombe familiale est au cimetière de Saint-Julien, qui se trouve en face de l’église. Même mon ancêtre qui avait contribué à l’achat du terrain est enterré là. »
Comme Gérard Monet, Didier Kisnorbo cherche lui aussi des réponses à ses questions. C’est d’ailleurs lui qui a découvert qu’en 2005, la défunte compagnie Gexim, sous la signature de Ricardo Ramiah, a réalisé un Excision Plan pour la distraction du terrain comprenant l’église, l’école et le cimetière de Saint-Julien des terres d’Alteo Milling Ltd. Vu sous cet angle, cela veut dire que la compagnie considère également les terrains abritant l’église, l’école et le cimetière comme sa propriété, mais qu’elle en a fait une distraction, en faveur de la paroisse. En revanche, elle a conservé les 25 arpents sous culture de canne.
Des rapports d’arpentage contradictoires
Le rapport d’arpentage, rédigé par Ricardo Ramiah, mentionne d’ailleurs que deux portions de terrain – celles comprenant l’église et l’école d’une part, et le cimetière d’autre part –, ont été « excised from the surplus of Domaine Union Regnard », qui est l’ancien nom d’Alteo, ex-FUEL.
Or, les documents des archives donnent une autre lecture de la situation. Ils démontrent que tout le terrain, y compris les 25 arpents sous culture de canne, est la propriété de la paroisse de Saint-Julien. D’ailleurs, d’autres rapports d’arpentage, du même site, datant de 1947, puis de 1989 et 1993, rédigés respectivement par M. Camal Boodhoo, M. Chowrimoothoo et M. Murthoo, mentionnent les terres autour de l’église et du cimetière comme la propriété de la fabrique de Saint-Julien.
Tous ces documents corroborent ceux que Didier Kisnorbo, dont les ancêtres, notamment René Remirez, avaient aussi contribué à l’achat dudit terrain, a obtenu des Archives d’Outre-mer, en France. Ce dernier a multiplié les démarches pour tenter d’avoir des explications et trouver une solution dans cette affaire. « Nous avons eu une réunion à l’évêché en juillet dernier. Il était question de se revoir, mais par la suite, en octobre, nous avons eu une réponse que le dossier a été transféré au conseil légal du diocèse. »
Pour Didier Kisnorbo, il est devenu urgent d’agir maintenant, car le contrat de métayage de la fabrique de Saint-Julien avec Alteo prend fin le 31 décembre 2025. « Si ceux qui ont signé des documents l’ont fait par erreur, par méconnaissance du dossier, ils peuvent toujours rectifier le tir, en refusant de signer un nouveau contrat. Si on ne fait rien maintenant, on va perdre ce terrain à jamais. Ce qui serait inadmissible, car c’est un terrain qui a une grande valeur. D’autant que l’Église a besoin d’argent et que les fidèles sont souvent appelés à contribuer pour divers projets. On ne peut, en même temps, faire cadeau à Alteo de ce que nos ancêtres ont contribué à acheter. Ce terrain appartient aux paroissiens de Saint-Julien. »
Gérard Monet abonde dans le même sens. « Les pauvres ne peuvent contribuer pour ensuite faire cadeau à Alteo », dit-il. Les deux paroissiens, qui ont pu en rallier d’autres à cette cause, préviennent qu’ils ne vont pas lâcher cette affaire. « Nous pouvons aller en Cour, mais cela va prendre des années, alors que le diocèse peut régler le problème directement avec Alteo», disent-ils.
Didier Kisnorbo relate que son défunt père, ancien cadre de FUEL, aujourd’hui Alteo, qui était également membre de la fabrique de Saint-Julien dans le temps, s’occupait personnellement de la coupe sur ce terrain de 25 arpents revendiqué. L’argent était par la suite remis à la paroisse. « Un prêtre qui a officié ici par le passé nous a raconté qu’on lui apportait des billets de banque dans un panier, car on ne faisait pas de virement bancaire à l’époque. »
Aujourd’hui, d’après le contrat de métayage de 2018, la fabrique de Saint-Julien doit s’acquitter d’un loyer annuel. « Ce loyer équivaudra à 10% de la valeur d’un poids de sucre revenant au planteur par tonne de canne récoltée par le preneur sur les terrains loués à bail », mentionne le contrat. Ce qui révolte les paroissiens qui sont d’avis que cela représente un gros manque à gagner pour Saint-Julien. Ils souhaitent que les responsables de la fabrique et du diocèse de Port-Louis réagissent, pour la restitution du terrain. Dans une ultime tentative de trouver une oreille attentive, ils ont également écrit au pape Léon XIV pour le mettre au courant de cette situation.
Alteo maintient être propriétaire
Dans le cadre de cet article, nous avons envoyé deux questions au service de communication d’Alteo Agri Ltd. Soit : Depuis quand Alteo est-il propriétaire des 25 arpents revendiqués par les paroissiens de Saint-Julien ? Alteo a-t-il acheté ce terrain de la fabrique de Saint-Julien ?
Nous n’avons pas eu de réponses directes à ces deux questions, mais l’explication suivante : « Alteo tient à préciser que les terrains évoqués nous appartiennent légitimement. Nous disposons de l’ensemble des documents établissant et justifiant notre droit de propriété.
Nous confirmons également que nous avons toujours collaboré de manière ouverte et constructive avec le diocèse et la paroisse concernée. Les échanges menés avec leurs représentants ont confirmé qu’aucun document de propriété à leur nom n’existe pour ces parcelles, tandis qu’Alteo possède les titres correspondants.
Le contrat de métayage en place depuis de nombreuses années témoigne de la bonne relation entre Alteo et la paroisse, construite dans un esprit de soutien à cette dernière. Cette collaboration se poursuit aujourd’hui encore à travers ce contrat de métayage ainsi que d’autres initiatives communes. »

