Cette collaboration stratégique, annoncée au Parlement, prend forme
C’est une présence qui n’est pas passée inaperçue dans les couloirs du Central CID. Deux officiers de Scotland Yard sont en mission à Maurice dans le cadre d’une collaboration avec la police mauricienne sur plusieurs enquêtes criminelles non résolues. La priorité a été donnée à trois affaires : le meurtre de Soopramanien Kistnen en octobre 2020, celui de la styliste Vanessa Lagesse en mars 2001, et celui de l’Irlandaise Michaela Harte en janvier 2011. Le cas de Nadine Dantier, tuée en 2003, a également été mentionné, sans confirmation officielle d’un réexamen.
Arrivés en début de la semaine dernière, les deux enquêteurs britanniques ont entamé une série de séances de travail avec les hauts responsables du Central Criminal Investigation Department (CCID) et de la Major Crime Investigation Team (MCIT). Parmi les interlocuteurs, figurent le commissaire de police Rampersad Sooroojebally, l’Assistant Commissaire de Police Rajaram, le SP Vikash Seeboruth, ainsi que Daniel Monvoisin, ancien enquêteur d’élite et aujourd’hui conseiller spécial auprès du CCID.
Une visite protocolaire au commissaire de police a également eu lieu. Cette mission vise à renforcer les capacités locales à travers l’apport de nouvelles méthodes d’analyse et de pistes potentielles, sans que les enquêteurs étrangers ne se substituent à la police mauricienne, seule responsable de l’instruction.
Compte tenu du temps limité, et face au nombre important de cas non résolus, la sélection a été restreinte. Trois affaires ont été retenues comme cas prioritaires pour ce premier cycle de collaboration. Parmi, l’affaire Soopramanien « Kaya » Kistnen, notamment la plus récente. Ancien agent politique du MSM, son corps calciné avait été retrouvé dans un champ de cannes à Telfair le 18 octobre 2020. Initialement considéré comme un suicide, le décès a été requalifié en meurtre après une enquête judiciaire conduite par l’ex-magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath. Les enquêteurs de Scotland Yard ont consulté ce rapport. Une visite sur le lieu du crime est envisagée pour mieux en comprendre la configuration.
La police mauricienne partage avec eux les éléments déjà recueillis : pistes explorées, identités des personnes interrogées, hypothèses de travail. À ce jour, la MCIT privilégie la piste d’un règlement de comptes autour d’une dette. D’autres hypothèses, notamment celle d’un scandale politico-financier, ont été évoquées publiquement par les avocats de la famille Kistnen. L’enquête est toujours en cours, mais n’a pas encore permis de désigner un ou des auteurs.
L’affaire Vanessa Lagesse, survenue en mars 2001 à Bain-Bœuf, demeure non résolue. Âgée de 35 ans, la styliste a été retrouvée morte dans sa baignoire. L’homme d’affaires Bernard Maigrot, avec qui elle entretenait une relation, avait été inculpé avant d’être acquitté par la Cour d’appel. Le verdict de la Cour d’assises a été annulé pour insuffisance de preuves.
L’affaire a ainsi été reclassée en cold case. Les enquêteurs britanniques devront analyser un dossier volumineux. La défense avait signalé des irrégularités dans les analyses ADN. En 2008, deux experts français, Philippe Bishop et Nicolas Pajani, avaient déjà été sollicités, sans conclusion probante.
Le dossier Michaela Harte, enfin, reste l’un des plus médiatisés. En janvier 2011, la jeune femme irlandaise a été retrouvée étranglée dans sa chambre d’hôtel à Grand-Gaube, alors qu’elle était en lune de miel avec son époux, John McAreavey. Deux employés de l’hôtel, Avinash Treebhoowoon et Sandeep Moonea, ont été arrêtés, puis acquittés en juillet 2012.
Depuis ce verdict, l’enquête est restée sans issue. En mars 2022, Sandeep Moonea et Dassen Narayen avaient été arrêtés dans une affaire connexe liée à une clé magnétique, mais aucune suite judiciaire n’a été donnée. La scène du crime ayant été modifiée, les possibilités d’analyse sont restreintes. Les enquêteurs de Scotland Yard envisagent néanmoins de visiter les lieux et de rencontrer les personnes concernées.
Le nom de Nadine Dantier a été mentionné lors des discussions. Étudiante en ressources humaines, elle avait disparu en juin 2003 alors qu’elle rentrait chez elle après un stage. Son corps avait été retrouvé sur un terrain vague, non loin de son domicile. Aucun suspect n’a jamais été arrêté. Cela fera 22 ans ce 25 juin que le meurtre a eu lieu. Les autorités n’ont pas encore confirmé si ce dossier sera examiné dans le cadre de cette mission.
Cette mission s’inscrit dans une initiative annoncée par le Premier ministre Navin Ramgoolam en mars dernier. Répondant à une question parlementaire du député Franco Quirin, le chef du gouvernement avait évoqué le renforcement du CCID par un enquêteur retraité — une allusion à Daniel Monvoisin — et le recours à des experts étrangers. « Il faut que justice soit rendue non seulement à la famille Kistnen, mais aussi à tous ceux qui ont perdu un proche dans des circonstances douteuses », avait déclaré Navin Ramgoolam à l’Assemblée nationale.
Les enquêteurs britanniques comptent rencontrer d’anciens officiers, les proches des victimes, les médecins légistes et autres acteurs clés. Ils prévoient aussi de visiter les scènes des crimes, selon leur état actuel.
À l’issue de leur mission, un rapport sera remis au CCID et à la MCIT. Ce document contiendra leurs observations, recommandations, ainsi que des suggestions d’ordre technique et stratégique. La collaboration prévoit également un volet de partage d’expertise : Scotland Yard partagera les technologies et approches les plus récentes utilisées au Royaume-Uni dans les enquêtes sur les homicides non élucidés dans l’optique d’un renforcement des capacités locales.
Des sessions de travail supplémentaires sont prévues dans les prochains jours. L’objectif est de réexaminer les dossiers, croiser les données et relancer les investigations sur de nouvelles bases. Pour les familles des victimes, cette collaboration internationale représente un espoir renouvelé. L’issue reste incertaine, mais la démarche marque une volonté institutionnelle de ne pas laisser ces affaires sombrer dans l’oubli.