Lorsqu’un stent est posé dans l’artère coronaire d’un patient victime d’un infarctus, la médecine sauve une vie. Si l’intervention est réalisée à temps, la personne pourra, dans bien des cas, reprendre une vie normale. Mais, comme le rappellent les cardiologues, le véritable défi reste la prévention et le dépistage en amont.C’est précisément l’ambition du Cardiac Registry 2025, premier registre national piloté par le ministère de la Santé et du Bien-être. Ce travail monumental, coordonné par le Dr Nilesh Mohabeer, senior cardiologist et investigateur principal, vise à mieux cerner la réalité des maladies cardiovasculaires chez les Mauriciens. L’objectif est clair : renforcer la prévention, documenter les cas, améliorer le dépistage précoce et consolider les soins chroniques.
Une maladie qui frappe plus tôt qu’avant
Premier constat alarmant : si la majorité des patients hospitalisés pour coronaropathie se situe entre 60 et 69 ans, 35 % des patients de 40 à 49 ans présentent déjà une atteinte coronarienne. Dans certains cas, les premiers signes apparaissent même dès la trentaine, surtout chez les fumeurs ou les personnes obèses.
Cette tendance confirme l’installation précoce de la maladie, conséquence d’un mode de vie de plus en plus sédentaire, d’une alimentation trop riche et du stress chronique. Elle touche toutes les communautés, bien que certaines soient plus exposées que d’autres en raison de facteurs héréditaires ou culturels. Mais un chiffre interpelle particulièrement : beaucoup de patients continuent à fumer même après une crise cardiaque, signe que la sensibilisation peine encore à inverser les comportements à risque.
Une mosaïque de pathologies cardiaques
Le registre révèle que la coronaropathie – maladie des artères bouchées – reste de loin la plus fréquente, représentant 54,9 % des cas. Cette pathologie correspond à l’accumulation de dépôts graisseux (plaques d’athérome) dans les artères coronaires, réduisant l’apport de sang au cœur et pouvant conduire à l’infarctus. Mais d’autres maladies cardiaques, souvent méconnues du grand public, sont également préoccupantes et montrent l’ampleur du spectre cardiovasculaire à Maurice :
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Arythmies (18,3 %) : troubles du rythme cardiaque rapides, lents ou irréguliers, qui peuvent être bénins ou au contraire entraîner des syncopes, voire un arrêt cardiaque. Certaines arythmies nécessitent un traitement médicamenteux à vie, d’autres une ablation ou la pose d’un pacemaker.
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Valvulopathies (7,9 %) : atteintes des valves cardiaques, parfois d’origine rhumatismale, qui perturbent la circulation sanguine. Elles peuvent entraîner fatigue, souffle au cœur et complications nécessitant un remplacement valvulaire.
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Insuffisance cardiaque (5,4 %) : un cœur « fatigué » qui peine à pomper correctement le sang, provoquant œdèmes, essoufflement et accumulation de liquide dans les poumons. C’est l’une des causes majeures d’hospitalisation prolongée.
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Cardiomyopathies (4,9 %) : anomalies structurelles du muscle cardiaque (dilatation, hypertrophie ou infiltration graisseuse/fibreuse), pouvant évoluer vers des arythmies sévères et une mort subite.
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Infections et inflammations cardiaques (0,2 %) : péricardites et myocardites souvent liées à des infections virales, parfois déclenchées après la grippe ou d’autres maladies systémiques.
Facteurs de risque : l’hypertension, grande oubliée
Si les liens entre infarctus et diabète sont bien connus, le registre insiste sur un facteur souvent sous-estimé : l’hypertension artérielle. Présente chez près d’un adulte sur trois, elle agit silencieusement et multiplie le risque d’infarctus, d’AVC et d’insuffisance rénale. Chez les Mauriciens, elle joue un rôle tout aussi crucial que le diabète dans le déclenchement des crises cardiaques.
À cela s’ajoutent d’autres facteurs de risque classiques, qui se cumulent et aggravent la situation :
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Tabagisme, responsable d’un rétrécissement accéléré des artères.
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Excès de cholestérol (61,7 % des infarctus), en particulier le LDL, surnommé le “mauvais cholestérol”, qui favorise les dépôts graisseux dans les artères.
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Triglycérides élevés (49,9 %), souvent associés au surpoids et à une mauvaise alimentation.
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Antécédents familiaux, rappelant la part génétique dans les maladies cardiaques.
Le registre recommande d’intégrer systématiquement le test du LDL, encore trop peu prescrit, afin d’identifier plus tôt les patients à haut risque et d’adapter la prévention.
Complexité et complications
Le registre met en lumière la sévérité des cas pris en charge et la complexité clinique rencontrée dans les hôpitaux :
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35,6 % des patients présentent une atteinte des trois artères coronaires, situation grave qui justifie un recours précoce aux pontages ou à des interventions lourdes.
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La fibrillation auriculaire, qui constitue 45,8 % des arythmies, est responsable d’un risque majeur d’AVC. Elle impose souvent un traitement anticoagulant à vie.
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42 % des insuffisants cardiaques souffrent aussi d’anémie, fragilisant encore davantage leur santé et réduisant leur espérance de vie.
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Les maladies cardiovasculaires et l’insuffisance rénale sont étroitement liées, créant un cercle vicieux de complications métaboliques.
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Un patient sur cinq a un cœur affaibli par une pathologie cardiovasculaire, ce qui limite fortement sa capacité d’effort et sa qualité de vie.
Prévenir plutôt que guérir
Le registre salue la performance des hôpitaux publics dans la gestion des urgences cardiaques : les délais de prise en charge se sont améliorés et l’accès aux angioplasties d’urgence sauve chaque année des centaines de vies. Les Mauriciens se tournent prioritairement vers ces structures en cas d’infarctus, preuve de leur confiance.
Mais le véritable combat se joue en amont : renforcer la prévention, améliorer la documentation et encourager le dépistage précoce. Campagnes d’information, dépistages gratuits en entreprise, programmes scolaires de nutrition et d’activité physique figurent parmi les pistes évoquées par les experts.
Le message est sans appel : “Mieux vaut prévenir que guérir” n’a jamais sonné aussi juste. Les maladies cardiovasculaires coûtent cher, en vies humaines comme en ressources pour le système de santé.
La poursuite du registre, et son appropriation par tous – État, secteur privé, ONG, firmes pharmaceutiques mais surtout patients – est essentielle pour réduire le fardeau croissant de ces pathologies. Plus qu’un outil statistique, il doit devenir un véritable instrument de transformation des comportements et des politiques publiques.
Hors-texte 1
Encadré chiffré – Cardiac Registry 2025
Prévalence des principales maladies
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54,9 % : coronaropathie (artères bouchées)
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18,3 % : arythmies
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7,9 % : valvulopathies
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5,4 % : insuffisance cardiaque
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4,9 % : cardiomyopathies
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0,2 % : infections et inflammations cardiaques
Facteurs de risque
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61,7 % des infarctus liés à un excès de cholestérol
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49,9 % présentent des triglycérides élevés
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Hypertension : cause majeure, au même titre que le diabète
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Tabac : nombreux patients continuent à fumer après un infarctus
Âge et profil des patients
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60-69 ans : tranche la plus représentée à l’hôpital
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35 % des patients de 40-49 ans présentent déjà une coronaropathie
Complications et sévérité des cas
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35,6 % : atteinte des trois artères coronaires (pontage nécessaire)
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45,8 % des arythmies = fibrillation auriculaire (cause majeure d’AVC)
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42 % des insuffisants cardiaques souffrent aussi d’anémie
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20 % des patients ont un cœur affaibli par une pathologie cardiovasculaire
Hors-texte 2
L’équipe derrière le Cardiac Registry 2025
Le Cardiac Registry 2025 est le fruit d’un travail collectif coordonné par le Ministère de la Santé et du Bien-être. Placé sous la direction scientifique du Dr Nilesh Mohabeer, Senior Cardiologist et investigateur principal, le projet a bénéficié du soutien institutionnel du Dr A. Dinassing, directeur général par intérim des services de santé, ainsi que de l’expertise de deux anciens cadres du ministère, M. G. Hurbissoon et M. S. Munohur.
Sur le plan clinique, les docteurs O. Shamloll, R. Jugessur, V. Seeram-Indur, S. Bucktowar et D. Busgopal ont apporté leur expérience de terrain. L’analyse des données a été assurée par M. Muzammil Hosenally, statisticien et Senior Lecturer à l’Université de Maurice, tandis que la partie technologique a été confiée à M. Pavn Shamachurn, ingénieur IT et directeur de WebEvolutions Ltd.
La collecte d’informations a reposé sur le travail essentiel des Data Entry Recorders dans les hôpitaux publics (Jeetoo, Jawaharlal Nehru, Victoria, SSRN).
Dans sa préface, le ministre de la Santé, Anil Kumar Bachoo, salue cette mobilisation multidisciplinaire et souligne que le registre constitue une étape clé dans la lutte contre les maladies cardiovasculaires à Maurice.