Smart City à Roches Noires : Les citoyens ont le droit de s’inquiéter

Les collectifs Protégeons l’écosystème de Roches Noires, Eco-Sud, Platform Moris Lanvironnman, Sea Users Association et mru2025 adressent une lettre à l’EDB La députée Johanna Bérenger interpelle le ministre des Finances sur la faisabilité et la durabilité d’un tel projet d’envergure dans une zone environnementale sensible

Pierre qui roule n’amasse pas mousse, dit l’adage, et il faut dire que l’affaire Roches Noires roule depuis bien (trop) d’années. Cette semaine encore, le projet immobilier en gestation de Smart City à Roches Noires (SCRN) de PR Capital (Mauritius) Limited, filiale de The City Group, a fait parler de lui. Au Parlement mardi, la députée du MMM Joanna Bérenger a adressé une question au ministre des Finances, Renganaden Padayachy, sur la faisabilité et la durabilité d’un tel projet d’envergure dans une telle zone, environnementale sensible qui plus est, ainsi que sur le statut financier des investisseurs qui ne seraient pas en odeur de sainteté dans le secteur du BTP français. Et vendredi, un consortium de citoyens a envoyé une lettre en bonne et due forme à l’Economic Development Board (EDB) qui, comme l’a précisé le Grand Argentier, « a un fonctionnement indépendant. »

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Il existe beaucoup trop de zones d’ombre autour de ce projet pour ne pas agir et les explications, pour le moins floues, du Grand Argentier au Parlement semblent ne pas avoir rassuré les collectifs citoyens. D’ailleurs, il a renvoyé la balle à l’EDB, qui devra donc s’assurer de la bienveillance des promoteurs. « Si le ministre des Finances a lui-même affirmé que “nous, nous allons demander à l’Economic Development Board si c’est le cas réellement. Si c’est réellement le cas, on ne fera pas de projet sur cet endroit” », a-t-il affirmé. Les collectifs Protégeons l’écosystème de Roches Noires, Eco-Sud, Platform Moris Lanvironnman, Sea Users Association et mru2025 ont décidé, d’une même voix, d’adresser une lettre à l’EDB dans l’espoir d’obtenir des réponses à leurs interrogations.

“Set aside” mais  pas pour longtemps…

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Faisant ainsi suite à la demande de Joanna Bérenger au Parlement, il est demandé à l’EDB de s’enquérir si les promoteurs en question sont fiables en “establishing the promoters’ due diligence prior to emitting a letter of comfort ; by delivering a letter of intent after layout and financial plans are submitted and by the granting of a Smart City certificate once all permits and licences have been obtained/produced.” Si le ministre des Finances ne semble pas pouvoir comprendre, voire légitimer, les inquiétudes des contestataires, ces derniers, eux, martèlent qu’une si belle région avec un tel écosystème ne peut être donné au premier venu ou au plus offrant, sans qu’il n’y ait transparence et assurance que tout sera fait dans le respect des lois du pays et du bien-être des villageois. En effet, en 2022, ces mêmes citoyens avaient soumis leurs avis suite à la première demande d’EIA de PR Capital (Mauritius) Limited. À l’époque, la demande avait été faite pour la phase I uniquement du projet, alors que ce même projet se décline en trois phases de développement. Une incongruité de taille, selon les contestataires, qui demandaient que toutes les informations soient fournies aux autorités en amont.

“In the comments, several key points were raised, and a main concern was that owing to the size of the project, it was essential that the promoter submits at once, environmental and social assessments that would reflect the project in its whole, and not in a piecemeal fashion”, est indiqué dans la lettre envoyée vendredi au Chief Executive Officer (CEO) de l’EDB. Si le projet avait été alors “set aside” par le ministère de l’Environnement, les contestataires, eux, se doutaient qu’il y avait anguille sous roche.

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Capacité à compléter le projet ?

De ce fait, le retour redouté de PR Capital inquiète, d’autant que le collectif de citoyens avance que ladite entreprise ne serait pas tout à fait en odeur de sainteté. De plus, ils estiment que la Letter of Comfort obtenue le 23 mars 2022 est désormais caduque et qu’il serait judicieux des autorités de revoir plusieurs facteurs avant d’aller de l’avant. Ainsi, dans leur correspondance, ils font état de cinq facteurs clés : le prix de construction qui augmente mondialement et localement ; l’augmentation du loyer de l’argent pour de tels projets à cause des repo rates qui augmentent dans toues les banques centrales du monde et le bubble-burst éminent avec un déclin du secteur de l’immobilier.

En outre, ils estiment qu’après avoir pris connaissance des précédents commentaires sur le premier rapport EIA, le promoteur PR Capital (Mauritius) Ltd a modifié certains éléments pour mettre toutes les chances de son côté, augmentant considérablement le coût du projet. “During the meeting held in Roches Noires on April 24, 2023, the promoter announced that he is planning to tap most of the project’s water requirements from a borehole in Mon Loisir and Petite Retraite, some 8 and 10 kms away along the shortest roads, and in partnership with the CWA, the promoter would take this water to the site and, opportunistically improve the water supply for the whole region or at least the village of Roches Noires. This, like the sewerage system and several other “promises”, was not part of the project at initial stage”, est indiqué dans la lettre.

Des inquiétudes justifiées

Et finalement, les deux actionnaires de PR Capital Mauritius Ltd seraient aussi les principaux actionnaires de Fiducim (actuellement Group City), affirmant qu’ils seront capables d’investir 25 millions d’euros, “représentant uniquement 8% du capital requis pour la phase 1 uniquement.” De plus, selon la presse française, dont le journal La Voix du Nord, une filiale du groupe GC-Hervé aurait déclaré faillite, abandonnant plusieurs chantiers, “more importantly several subcontractors partially unpaid, some of which had in turn to file for bankruptcy and lay-off people.”

À cela, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a répondu au Parlement que “j’ai également été informé par l’EDB que, selon des informations recueillies sur des plateformes médiatiques, le Tribunal de Commerce de Nanterre, un tribunal français, a ouvert une procédure de redressement judiciaire et a nommé un administrateur pour City GC en janvier 2023. Selon l’extrait du journal Le Parisien paru le 2 mai 2023, le promoteur s’est exprimé sur la situation financière de City GC-Hervé, filiale du groupe City GC, qui est en liquidation. Le groupe avait repris l’entreprise Hervé juste avant la Covid-19. Le promoteur a aussi évoqué que l’accumulation du Covid, la hausse du prix des matériaux et le marché de la construction, n’a pas permis de redresser l’entreprise Hervé qui a été mise en liquidation. Sur ces informations, je rappelle que PR Capital (Mauritius) Ltd et City GC sont deux compagnies indépendantes et surtout que la lettre de confort émise à PR Capital (Mauritius) Ltd est aujourd’hui caduque, obsolète, ou encore périmée.”

Néanmoins, le consortium persiste et signe qu’au vu du contexte changeant, il est important “to carry out a new assessment/due diligence and/or ask for further guarantees from the promoter. Furthermore, it is essential for projects of such long duration that the EDB, remains accountable for its initial decision of endorsing the project, by implementing some constant monitoring of the project’s feasibility until completion.” De ce fait, les contestataires s’inquiètent, et à juste titre. Conscients des nouveaux enjeux post-pandémie, ils s’inquiètent sur la durabilité de ce projet fort ambitieux et sur la capacité du promoteur à compléter le projet qui devrait s’échelonner sur 10 ans.

Ils s’inquiètent sur l’avenir de ce site d’une richesse géologique inestimable, comme l’ont relevé de nombreux géologues mauriciens et étrangers. Ils s’inquiètent aussi de l’avenir des villageois aux alentours qui devront vivre à côté d’un énorme chantier de longues années durant. “As a final note, we invite you to keep in mind the notion of the Precautionary Principle, on which much of environmental laws rely, should the promoter apply for a new Letter of Comfort. Mauritian citizens would be better safe than sorry.”

Au Parlement mardi

Padayachy : “C’est le développement qui apporte la croissance d’un pays !”

Joanna Bérenger, qui a fait de la protection de la faune, de la flore et des wetlands son cheval de bataille, a, comme les habitants de la région, forcément été déçue d’entendre de la bouche du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, que “parfois, il faut prendre des décisions, car c’est le développement qui apporte la croissance d’un pays. Sinon, nous serions encore au stade des années 1970 !”

Le Grand Argentier répondait à la salve de questions de la députée mauve qui voulait savoir si un exercice de due diligence avait été effectué, en amont, avant d’octroyer le permis pour le projet de Roches-Noires Smart City, mais aussi “sur quelle base le Smart City Scheme est proposé à ces promoteurs sur cette zone sensible et si une analyse stratégique a été faite pour connaître les besoins de la région et justifier l’utilité de ce développement face aux dommages irréversibles qui seront faits à cette nature qui nous rend pourtant tellement de services écosystémiques.” Joanna Bérenger est également restée sur sa faim quant à la question de savoir “pourquoi l’Economic Development Board (EDB) persiste à vouloir promouvoir une zone d’une importance écologique stratégique dans le contexte climatique actuel.”

Joanna Bérenger déclare à cet effet qu’“il ne m’a pas laissé poser ma 3e question… puisqu’il ne comprenait pas ce que je voulais dire et qu’il parlait de croissance et des années 70, je devais lui demander s’il serait prêt à utiliser une des nombreuses méthodologies existantes pour mesurer la valeur de cet écosystème en termes de services rendus par la nature.”

 

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