La prise de position des religieux sur des sujets ayant trait à l’actualité sociale est-elle légitime ou pas dans la société ? Comment discerner entre intervention saine et inappropriée ? Alors que les autorités ne savaient plus à quel saint se vouer pour ramener l’ordre lors des émeutes de février 99, l’ancien président de la République, Cassam Uteem, de pair avec le cardinal Jean Margéot, avaient réussi à apaiser l’ire d’une section de la population.
Commentant la récente prise de position du cardinal Maurice E. Piat, l’ancien président considère que ce dernier « n’est pas n’importe quel quidam ». Lorsqu’il nous livre ses analyses et réflexions, notamment sur les maux qui rongent notre société, « j’estime qu’il est dans son bon droit ». Il ajoute que les paroles de l’évêque « ne doivent pas être prises à la légère car il n’est pas de ceux qui parlent à travers leur chapeau ». Il rappelle, en outre, qu’une société laïque ne veut nullement dire une société où la religion est absente.
Pour Cassam Uteem, « les seules prises de parole malsaines de religieux sont celles qui encensent le pouvoir malgré ses manquements évidents et l’encouragent à poursuivre une politique sectaire ».
Azhagan Chenganna, chargé de cours en médias et communication et coordinateur du Certificate in Peace and Interfaith Studies à l’Université de Maurice, trouve dans la récente prise de parole du cardinal « un acte digne et brave » et une voix « forte et ferme de la conscience mauricienne ». Pour lui, l’évêque n’a fait que dénoncer tout haut ce que nombre de Mauriciens pensent tout bas. Pour mesurer la légitimité d’une prise de position d’un religieux, estime-t-il, il convient d’« interroger sa motivation et son impact sur la cohésion sociale et l’unité nationale ». Une intervention religieuse, ajoute-t-il, est inappropriée quand elle « divise plus qu’elle ne rassemble ». D’où l’importance, souligne-t-il, de former des religieux et d’autres membres de la société civile « à la prise de parole utile et responsable ».
Pour sa part, Jonathan Ravat, docteur en anthropologie des religions et directeur de l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM), rappelle que Maurice n’est pas un Etat laïc. « La laïcité est une doctrine qui a été forgée dans un cadre et contexte précis en France. Lorsque nous parlons de laïcité donc, nous parlons de quelque chose qui est propre à une histoire et un espace-temps qui n’est pas le nôtre », souligne-t-il. Il martèle ainsi que « les religions ont leur place à la parole dans l’espace public au même titre que les économistes, les syndicats ou les politiciens ».
Justifiant ses propos, il explique que « si le pays permet aux citoyens de parler dans la société à l’exception des religieux, il va à l’encontre même du projet qui s’appelle la république ». Son souhait : qu’indépendamment de sa religion et de celui qui intervient, le citoyen l’utilise comme une opportunité pour travailler ensemble face aux défis.
CASSAM UTEEM (ex-PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE) : « Le cardinal est dans son bon droit »
Dans le sillage de la récente prise de parole de l’évêque de Port-Louis sur l’actualité sociale dans le pays, la question revient sur le tapis : la prise de parole des religieux dans une société laïque doit-elle se cantonner à la sphère privée ou est-elle légitime ?
Ce n’est pas la première fois que l’évêque de Port-Louis commente l’actualité politique et sociale du pays. Il le fait régulièrement, très souvent lors du mandement de carême lorsque le discours épiscopal, toujours imprégné de bon sens, est attendu non seulement par les catholiques mais aussi par l’ensemble de la population. Il le fait également lorsque, dans sa sagesse, il juge que la situation l’exige.
L’évêque de Port-Louis n’est pas n’importe quel quidam et lorsqu’il nous livre ses analyses et réflexions, notamment sur les maux, tels que le trafic de la drogue, qui rongent la société et les graves dangers auxquels est confrontée la cohabitation harmonieuse entre communautés, j’estime qu’il est dans son bon droit et ses paroles, d’ailleurs, ne doivent pas être prises à la légère car il n’est pas de ceux qui parlent à travers leur chapeau. L’Église et les autres institutions religieuses sont ancrées dans la société et ont un rôle stratégique et essentiel à jouer pour la préservation de nos valeurs humaines et spirituelles communes.
Tout en établissant un parallèle avec l’époque de Jésus, l’évêque de Port-Louis remet en question la manière de gouverner le pays : « Je suis triste et inquiet pour mon pays lorsque je vois que l’injustice et la corruption sont tolérées. » Pouvons-nous voir là un appel à un sursaut moral visant à pousser les gouvernants à se ressaisir ?
Le constat de l’évêque de Port-Louis sur les menaces qui pèsent sur le bon fonctionnement de notre démocratie, surtout après les déclarations de Surinam attribuées à notre Premier ministre qui ne les a pas démenties jusqu’ici, ou sur la proportion alarmante de la pratique du népotisme et d’autres formes de corruption, rejoint celui de tout observateur avisé et objectif de notre société. L’autorité morale de l’évêque doit pouvoir imposer le respect, sinon provoquer le sursaut nécessaire pour amener à remédier aux situations malsaines qu’il a, avec raison, dénoncées.
Dans une société laïque, comment distinguer entre intervention religieuse inappropriée et prise de parole utile, nécessaire et potentiellement salutaire ?
D’abord, une société laïque ne veut nullement dire une société où la religion est absente. La laïcité est, comme vous le savez, le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse et d’impartialité ou de neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses. Notre laïcité à nous – la laïcité à la mauricienne pourrait-on dire – a ceci de particulier que malgré le fait qu’il n’y ait pas de religion d’État, celui-ci accorde quand même des subventions annuelles à toutes les confessions religieuses. C’est là une forme de reconnaissance de l’État de l’importance du rôle que jouent les religions dans la société.
Lorsque la société va mal ou lorsque certains agissements mettent en péril la paix sociale, n’est-il donc pas du devoir des responsables religieux de tirer la sonnette d’alarme afin de provoquer une prise de conscience salutaire de la part des autorités concernées ? À mon avis, les seules prises de parole malsaines de religieux sont celles qui, matin et soir, encensent le pouvoir, malgré ses manquements évidents et ses dérapages dangereux et l’encouragent à poursuivre une politique sectaire, allant à l’encontre de l’intérêt général.
La particularité de Maurice, avec la présence de plusieurs religions, confère-t-elle davantage de poids moral aux chefs religieux, légitimant ainsi leur prise de position ? On se souvient de l’intervention réussie du cardinal Margéot de concert avec la vôtre, pour ramener le calme lors des émeutes de 99 alors que les autorités elles-mêmes ne parvenaient plus à gérer la situation…
Comme je viens de le dire, la religion à Maurice reçoit sa légitimité de l’État lui-même. La parole religieuse de toutes les confessions est toujours très écoutée et les chefs religieux, considérés comme les hommes de Dieu, jouissent du respect de l’ensemble de la population. Certains ont souvent un rayonnement qui dépasse le cadre de leur communauté ou de leur paroisse.
Le cardinal Margéot, auquel vous faites référence, avait une stature nationale et était une voix autorisée, très respectée. D’où le rôle crucial qui avait été le sien auprès des deux factions concernées pour ramener le calme lors des émeutes de 1999.
Quand est-ce que l’intervention de la religion n’est pas bienvenue ?
Lorsqu’il y a ingérence flagrante dans la politique politicienne ou que des mots d’ordre de vote sont émis en faveur d’un parti politique spécifique lors d’une élection régionale ou nationale, l’intervention de la religion est décriée, et souvent avec plus de vigueur par les fidèles de la religion concernée eux-mêmes. La liberté de pratiquer la religion de son choix est un droit qui est inscrit dans la Constitution.
Cependant, l‘intervention de la religion qui encouragerait la pratique du prosélytisme n’est jamais la bienvenue, car elle provoque des dissensions et met en péril le vivre-ensemble. Ce sont deux des cas où une intervention de la religion serait mal inspirée, donc malvenue.
Quel devrait donc être le rôle des religieux dans une société laïque ?
Les religieux, de toutes les confessions, doivent encourager les adeptes de leur religion respective à avoir un comportement éthique et à respecter les lois du pays et l’autorité de l’État, favorisant ainsi leur responsabilité morale dans la société.
En conclusion…
Peut-être faudra-t-il encore et toujours rappeler que la laïcité c’est avoir la liberté de croire, de ne pas croire ou de changer de religion. Elle repose sur trois principes : la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans le respect de l’ordre public, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses et l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. Le port du voile, de la kippa ou du turban ne va pas à l’encontre d’une société laïque qui ne prescrit d’ailleurs aucun code vestimentaire, même pas la tenue décente !
AZHAGAN CHENGANNA (CHARGÉ DE COURS) : « Interroger la motivation des intervenants religieux »
Dans le sillage de la récente prise de parole de l’évêque de Port-Louis sur l’actualité sociale dans le pays, la question revient sur le tapis : la prise de parole des religieux dans une société laïque doit-elle se cantonner à la sphère privée ou est-elle légitime ?
La prise de parole de l’évêque de Port-Louis dans l’espace public est un acte digne et brave. C’est une voix forte et ferme de la conscience mauricienne qui s’est exprimée. Notre société est de plus en plus fragmentée et polarisée, confrontée à des problèmes éthiques et moraux. Nous nous laissons malheureusement habituer à des mœurs politiques et pratiques qui semblent être autoritaires, amorales et néfastes au bon fonctionnement de nos institutions et de la société. Nous sommes confrontés régulièrement à des scandales quant à la gouvernance et la gestion des affaires publiques et l’absence de dialogue et d’écoute est affligeante.
C’est le rôle, entre autres, des hommes religieux de porter un regard et une voix critiques et de rappeler le devoir et la responsabilité des gouvernants. Face aux questions morales et politiques que traverse la société, la prise de parole de l’évêque de Port-Louis est salutaire dans la mesure où elle se fait l’écho de la société civile et dénonce tout haut ce que beaucoup de Mauriciens pensent tout bas.
Tout en établissant un parallèle avec l’époque de Jésus, l’évêque de Port-Louis a remis en question la manière de gouverner du pays : « Comment pourrons-nous avoir la paix dans une démocratie lorsqu’il y a un manque de respect pour la séparation des pouvoirs ? (…) je suis triste et inquiet pour mon pays lorsque je vois que l’injustice et la corruption sont tolérées. » Pouvons-nous voir là un acte visant un sursaut moral pour que les gouvernants se ressaisissent ? Une telle démarche venant d’un chef religieux peut-elle être bénéfique ?
La Constitution de Maurice est fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs entre le législatif, le judiciaire et l’exécutif. C’est un cadre qui régit la démocratie, la paix et l’harmonie sociale dans le pays. S’en prendre à ce fondement est dangereux et risqué car il bafoue les règles établies dans la Constitution et en même temps ronge la confiance démocratique que les citoyens doivent avoir vis-à-vis du fonctionnement des institutions. Cela d’autant que la perception d’injustice est ressentie par les citoyens et que les inégalités semblent grandissantes.
C’est dans ce contexte que l’évêque de Port-Louis a décrié la situation sociale et politique dans le pays. Il faut que les gouvernants se ressaisissent en prêtant une oreille attentive à ce qui a été dit. Cette écoute doit être structurée dans un contexte économique et social difficile marqué par la sortie graduelle de la pandémie de Covid-19, l’inflation galopante et des pratiques autoritaires acquises et maintenues sous la Quarantine Act. L’écoute est certes difficile dans la mesure où elle demande la participation des citoyens. Il faut absolument espérer ce sursaut moral.
Dans une société laïque, comment distinguer entre intervention religieuse inappropriée/malsaine et prise de parole utile, nécessaire et potentiellement salutaire ?
C’est une question complexe. Il faut interroger la motivation des intervenants religieux mais aussi la réception qui est faite de cette intervention religieuse et son impact sur la cohésion sociale et l’unité nationale. Une intervention religieuse inappropriée suscite souvent la crispation et le rejet par les Mauriciens. Elle est critiquée et déplorée. Elle est regrettée car elle divise plus qu’elle ne rassemble. Alors qu’une intervention utile, fondée sur le bien-être commun du Mauricianisme, suscite l’adhésion de tous les groupes, le consensus et le soutien populaire. Ce phénomène de rejet ou d’adhésion s’est amplifié avec les réseaux sociaux. D’où l’importance de la communication et la formation des religieux et autres membres de la société civile à la prise de parole utile, responsable et sociale. C’est ce que nous nous efforçons de faire à travers le Diploma in Peace and Interfaith Studies que nous offrons à l’université de Maurice avec le Conseil des religions.
La particularité de Maurice, avec l’omniprésence de plusieurs religions, confère-t-elle davantage de poids moral aux chefs religieux, légitimant ainsi leur prise de position ? On se souvient de l’intervention réussie du cardinal Margéot et du président d’alors, Cassam Uteem, pour ramener le calme lors des émeutes de 99 alors que les autorités elles-mêmes ne parvenaient plus à gérer la situation…
Les chefs religieux sont généralement très écoutés et suivis. Leur parole est respectée car elle est attentive aux évolutions sociales ancrées dans la réalité. À ce titre, les chefs religieux ont une responsabilité morale et civique dans le maintien de la cohésion sociale.
Cela a été démontré en 1999 lorsque le cardinal Margéot et l’ancien président Cassam Uteem ont appelé au calme dans le sillage des émeutes de février 99. Cette autorité morale est fondée sur la quête de la justice, la reconnaissance de la dignité humaine et le maintien de la paix sociale et l’unité nationale.
Quand est-ce que l’intervention de la religion n’est pas bénéfique ?
L’intervention de la religion n’est pas bénéfique quand elle est sectaire et ne s’intéresse pas à l’harmonie sociale. Quand elle est déviante des valeurs humaines de réciprocité, de respect et de dialogue. Elle n’est pas bénéfique quand elle n’est pas universelle mais divisée entre nou bann et zot bann. Finalement, elle est néfaste quand elle est pouvoiriste, intolérante et fanatique.
Quel est donc le rôle des religieux dans une société laïque ?
Le rôle des religieux dans une société laïque est multiforme. Certes, il s’agit de s’occuper de la foi de ses coreligionnaires mais aussi la promotion de la paix, du dialogue et de l’harmonie sociale. Ce n’est pas évident dans une société multiculturelle qui tend à créer des groupes séparés les uns des autres, à créer des différences. “As one People, as one Nation, in Peace, Justice and Liberty”, dit l’hymne national. Et c’est le devoir moral de tous citoyens, entre autres des chefs religieux, dans une société laïque.
JONATHAN RAVAT (DIRECTEUR DE L’ICJM) : « Les religions ont leur place à la parole »
Dans le sillage de la récente prise de parole de l’évêque de Port-Louis sur l’actualité sociale dans le pays, la question revient sur le tapis : la prise de parole des religieux dans une société laïque doit-elle se cantonner à la sphère privée ou est-elle légitime ?
Il convient d’abord d’interroger ce fameux mot laïc. Notre République n’est pas un Etat laïc. La laïcité est une doctrine qui a été forgée dans un cadre et un contexte précis en France et qui a vu son point culminant dans la loi de séparation de l’Église et de l’Etat en 1905. Lorsque nous parlons de laïcité donc, nous parlons de quelque chose qui est propre à une histoire et un espace-temps qui n’est pas le nôtre. Nous n’avons pas ce modèle mais nous avons été dans le modèle britannique où nous ne parlons pas de laïcité mais plutôt de Secularism, un modèle anglo-saxon où les religions sont davantage présentes dans l’espace public et privé. Il n’y a qu’à voir le lien entre la royauté et la foi en Angleterre et les références à Dieu et la prière aux États-Unis. Nous nous situons davantage dans ce modèle-là. À plus forte raison quand il n’y a pas mention du mot laïc dans notre Constitution.
La réponse à la question donc est un grand oui : les religions et les chefs religieux ont leur place à la parole dans l’espace public au même titre que les économistes, les syndicats ou les politiciens. Les religieux sont aussi des citoyens et ont droit à la parole. Si je permets aux citoyens de parler dans la société à l’exception des religieux, je vais à l’encontre même du projet qui s’appelle la République.
Comment distinguer entre intervention religieuse inappropriée/malsaine et prise de parole utile, nécessaire et potentiellement salutaire ?
Il faut certainement que chaque religieux assume la responsabilité de sa parole comme tout autre acteur. Il faut pouvoir avoir une lecture de cette parole, à plus forte raison quand une certaine interprétation par d’autres personnes peut entraîner une certaine dérive. Il y a le fait de parler mais il y a aussi l’interprétation.
Et le rapport entre religieux et les politiciens ?
Toutes les religions ont un rapport au politique. En d’autres mots, la question religieuse avec tout ce qu’elle comporte n’est pas une fin en soi qui serait séparée d’autres facteurs de la vie humaine, un autre facteur étant la politique ou le politique. Selon telle ou telle religion, selon leur théologie, il peut y avoir des relations différentes.
Le christianisme a un rapport au politique, l’hindouisme et l’islam ont un autre rapport. La prise de parole des religieux varie selon divers prismes. Par exemple, l’Église catholique a appris à travers les siècles à prendre une distance saine de la politique mais elle a toujours gardé un rôle avec le politique.
Pouvons-nous voir dans la prise de parole du cardinal un appel à un sursaut moral visant à pousser les gouvernants à se ressaisir ? Une telle démarche venant d’un chef religieux peut-elle être bénéfique ?
Ce que je trouve salutaire, c’est qu’indépendamment de la religion, il y a la prise de parole d’un homme religieux dans l’espace public. Mais, je suis pour que les religieux, quels qu’ils soient, aient leur parole dans l’espace public. Compte tenu de la stature de Maurice Piat en termes d’ancienneté, de sa position d’évêque et de cardinal, cela peut être interprété comme une invitation à un sursaut moral mais aussi citoyen. Lequel sursaut n’est pas que pour les politiciens.
Le danger serait de réduire cela à une sorte de Homework aux politiciens. C’est un appel à un sursaut pour nous tous. Lorsqu’il cite « Jésus pleurant devant Jérusalem », il se transpose pleurant devant Maurice et non pas devant les politiciens. Nous devons tous faire partie intégrante de ce grand projet qui s’appelle Maurice. C’est donc une invitation à un éveil moral pour nous tous, incluant les politiciens.
Il peut y avoir une diversité d’opinions. Mais ce que je souhaite, c’est qu’indépendamment de ma religion et indépendamment de celui qui s’est exprimé – ici le cardinal – j’utilise cette prise de position forte comme une opportunité pour que nous continuons à travailler ensemble face aux défis qui nous attendent. Si demain un politicien considère cet appel comme un Non Event, là ce serait grave.
La particularité de Maurice, avec l’omniprésence de plusieurs religions, confère-t-elle davantage de poids moral aux chefs religieux, légitimant ainsi leur prise de position ? On se souvient de l’intervention réussie du cardinal Margéot de concert avec la vôtre, pour ramener le calme lors des émeutes de 99 alors que les autorités elles-mêmes ne parvenaient plus à gérer la situation…
Je crois qu’indéniablement, il y a le facteur du nombre – de religions et de religieux. Comme dirait Saint-Exupéry par la bouche du Petit Prince, les adultes aiment les chiffres. C’est clair que cela peut encourager et légitimer leur prise de position. Mais, les chefs religieux devraient aussi peut-être réfléchir à ce qui va, à l’avenir, légitimer leur prise de position. Est-ce que ce serait seulement la politique du nombre ou y a-t-il d’autres facteurs liés à leur engagement dans la société qui peuvent légitimer leur prise de position.
Cette légitimité, d’après moi, s’affermirait davantage si chaque jour le chef religieux apprenait un peu plus à être ensemble avec d’autres chefs religieux. Il doit être lui-même le héraut et le porte-drapeau de l’interreligieux et l’interculturel.
Pour résumer donc, quel est le rôle des religieux dans la société ?
C’est clair que les religions ont d’abord une mission théologique et spirituelle. Il y a toute une pratique cultuelle, rituelle, spirituelle. Déjà, cela est extraordinaire pour le croyant. Mais sur le plan politique, les religions contribuent inexorablement au bien-être des populations.
Hormis cette dimension spirituelle, les religions se pensant avec d’autres dans un petit et bel espace comme Maurice peuvent continuer à cheminer ensemble dans un dialogue interreligieux pour l’avancement de la République. Je suis convaincu qu’elles peuvent et doivent le faire ensemble. Elles ont ce grand rendez-vous à ne pas manquer.