Sonia Maissin (comédienne) : « Le théâtre est une addiction positive »

Il faut composer avec Sonia Maissin, comédienne versatile qui a cette capacité d’émouvoir, de faire rire. Récemment, elle s’est engagée dans une pièce de théâtre au féminin, dans Trois femmes ordinaires, création d’Ananda Devi et jouée au Caudan Arts Center. Son personnage de Mariam est déroutant : entre naïveté, nonchalance et une part de perfidie, pourtant, Sonia s’en est sortie avec brio. Comme elle le confie d’ailleurs, lorsqu’on aborde une pièce engagée qui met en lumière des tragédies humaines, il faut parfois se faire violence pour en parler. Se taire, ce serait accepter l’inacceptable ! Le théâtre, Sonia Maissin le voit comme une thérapie pour changer les mentalités.

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Dans « Trois femmes ordinaires », vous avez joué avec brio le personnage de Mariam. Comment avez vous été approchée pour incarner ce personnage si fébrile et manipulateur à la fois ?
Une première conversation a eu lieu il y a deux ans lorsque Gaston Valayden m’a parlé de ce projet. Cela m’avait immédiatement séduite, mais le timing n’était pas encore idéal. Entre-temps, notre collaboration sur Baraz l’année dernière a créé une belle dynamique, une pièce dont le thème résonnait particulièrement en cette année électorale. Quand Gaston Valayden m’a annoncé que l’heure était enfin venue pour Trois femmes ordinaires, je n’ai pas hésité une seconde. Je me suis jetée à l’eau, attirée par cette aventure à la fois théâtrale et littéraire, beaucoup trop passionnante pour la refuser.

Que représente Ananda Devi pour vous et comment avez-vous trouvé son style d’écriture théâtrale dans « Trois femmes ordinaires » ?
Ananda Devi est une institution littéraire, on ne la présente plus. Avoir eu la chance de la rencontrer ajoute une dimension particulière au travail, on est frappé par le décalage entre la personne et sa plume. On se demande d’où surgissent ces mots et ces idées, à la fois sombres et profondément réflexives, qui exposent une réalité sociale sans fard. Cette absence de filtre rend parfois la lecture de ses œuvres difficile, mais toujours captivante.
Lors de la première lecture, je dois l’avouer, la longueur des textes et la complexité psychologique des personnages m’ont un peu effrayée, mais aussi excitée. En tant que romancière, elle apporte une justesse de langage qui nous pousse, nous comédiens, à donner le meilleur de nous-mêmes. Étant attirée par la tragédie et le drame, j’étais servie.

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Avec le livre de Nathacha Appanah « La Nuit au cœur », la question de la violence conjugale et du féminicide refait débat. Est-ce que les comédiens, selon votre avis, peuvent se rallier à cette cause à travers le théâtre pour éveiller les consciences ?
Nous avons la chance, dans le théâtre mauricien, de ne pas être censurés. C’est donc notre devoir de porter des sujets qui peuvent amorcer le changement. Personnellement, je suis en quête de sens – de but – dans mon travail. Qu’il s’agisse de comédie, de comédie musicale ou de drame, il y a toujours une émotion à partager, un message à transmettre. Lorsqu’on aborde une pièce engagée qui met en lumière des tragédies humaines, il faut parfois se faire violence pour en parler. Se taire, ce serait accepter l’inacceptable. Sur les planches, nous avons l’occasion d’ouvrir le débat et de laisser au public le soin de se forger sa propre interprétation. Trois femmes ordinaires a visiblement suscité des réflexions intenses. Les retours vont dans ce sens.

En jouant aux côtés de Shrita Hassamal, Kelly Ang Ting Hone et Yousouf Elahee où parfois le monologue prend le pas sur les dialogues, vous êtes-vous sentie à votre aise dans ces distributions de rôles ?
Monologues et dialogues sont complémentaires. Un monologue est souvent un état des lieux intérieur, une plongée dans les pensées et les sentiments d’un personnage. Le dialogue, lui, apporte le dynamisme et la texture qui font avancer l’intrigue. Dans cette pièce, chaque personnage a son histoire, ses motivations et sa raison d’être. Sans ses amies, Mariam n’aurait pas pu aller au bout de son histoire. Partager la scène avec Shrita, Kelly et Yousouf a été un plaisir, car ils ont su incarner leurs rôles avec une justesse qui m’a énormément aidée à construire mon personnage. Leur présence était essentielle pour donner toute sa densité à Mariam.

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Votre personnage de Mariam est déroutant, entre naïveté, nonchalance et une part de perfidie. Cela a-t-il été facile d’avoir ce double visage ?
C’est toujours un défi de trouver le juste milieu, la bonne balance pour être crédible sans tomber dans la caricature. Ma priorité absolue est la justesse, dans la voix, les gestes, le regard. Il fallait rendre justice au personnage de Mariam et à l’image qu’Ananda Devi avait peut-être en tête en l’écrivant. Cela a demandé un important travail de fond, qui m’a rappelé mes cours de littérature : décortiquer le personnage. Qui est Mariam ? Que lit-elle? Quelle est sa couleur préférée ? Pourquoi est-elle si vulnérable? Même si le texte ne donne pas toutes les réponses, il faut lire entre les lignes et lui construire une vie pour comprendre ses actions.
Le plus grand défi avec un personnage aux multiples facettes est de gérer les différents niveaux d’intensité dans le jeu. Les émotions peuvent changer aussi vite qu’un rythme cardiaque, et il faut s’adapter en permanence.

Il y a un temps fort de la pièce où Gaston Valayden privilégie l’ombre et la lumière pour cette juxtaposition d’idées entre Mariam et Jibril. Comment avez-vous vécu cette scène?
Cette scène cruciale montre que Jibril et Mariam ne vivent pas la même réalité. La version de Jibril semble simple, presque banale, alors que la réalité de Mariam est un tourbillon de sentiments d’incompréhension, de malaimance et de violence psychologique et physique. La complexité était de ne pas exagérer. Il fallait que les gestes soient justes, les intonations naturelles et variées pour maintenir l’attention du public.
Pour faire remonter des émotions aussi brutes, un comédien peut parfois puiser dans son propre vécu. Certains pourraient trouver cela excessif, mais le public est un peu comme un confident, il écoute sans jugement immédiat. Enfin, jusqu’à la fin du spectacle, car les commentaires, eux, ne manquent jamais ensuite.

Le ressenti du public face à « Trois femmes ordinaires » était-il palpable. Le public a-t-il adhéré à cette création théâtrale d’Ananda Devi ?
Les amoureux de littérature sont venus découvrir la première création théâtrale d’Ananda Devi, connaissant déjà la complexité de son écriture. Pour eux, c’était une nouvelle manière d’expérimenter ses mots. Une spectatrice m’a simplement dit : « Merci, merci d’avoir raconté cette histoire. » À ce moment-là, nous nous sommes comprises sans avoir besoin d’en dire plus.
Offrir du réconfort, faire en sorte que quelqu’un se sente moins seul après un spectacle, c’est aussi pour cela que je fais du théâtre. Comme Gaston Valayden le dit souvent, nous avons chacun notre sensibilité, et il est impossible de plaire à tout le monde. Certains ont trouvé le rythme un peu lent – était-ce voulu ou non ? Je laisse le soin aux spectateurs d’en décider.

Inversons les rôles. Si, vous étiez spectatrice, quelle opinion feriez-vous du texte d’Ananda Devi et du message à retenir ?
En tant que spectatrice, je serais frappée par la puissance et l’audace de ce texte. Ananda Devi n’offre pas de réponses simples, mais elle pose des questions essentielles sur les dynamiques de couple, l’emprise psychologique et les limites de la tolérance. Le message à retenir, me semble-t-il, est un appel à regarder en face de la complexité des relations humaines, la souffrance silencieuse et les mécanismes de survie que peuvent adopter ceux qui se sentent piégés. C’est une œuvre qui trouble, provoque la réflexion et reste avec vous longtemps après la fermeture du rideau.

On parle souvent de féminicide, et ici, ce sont trois femmes qui complotent pour tuer un homme. Quel signal fort cette pièce veut-elle faire passer ?
On nous dit souvent que tant qu’on n’a pas goûté à l’amour, on ne sait pas ce que c’est. Après cette pièce, je dirais que tant qu’on n’a pas goûté à l’amour, on ne sait pas comment il va vous transformer : peut-être en romantique, en rêveuse… ou en être obsédée. Après tout, nous agissons souvent de manière extrême pour une même raison : l’amour, sous toutes ses formes, y compris les plus toxiques. La pièce explore cette frontière ténue où l’amour se mue en possession, et où la survie peut prendre des chemins inattendus.

Parlez-nous de ce déclic de faire de la scène. Et en 2025, êtes-vous en terrain conquis ?
Mon aventure théâtrale a débuté en 2022. C’est un parcours encore récent, mais j’étais animée par une passion qui est immédiatement devenue dévorante. Le déclic s’est produit dès mes premiers pas à The School du Caudan Arts Centre, sous la houlette bienveillante et formatrice d’Ashish Beesoondial. J’ai été saisie par l’alchimie unique de la scène : le travail d’équipe, l’énergie du public et cette magie de l’instant, si éphémère et pourtant si intense.
Depuis cette révélation, j’ai voulu apprendre tous les aspects de cet art. J’étais en régie pour plusieurs spectacles, une expérience formatrice qui m’a permis de comprendre l’envers du décor et le travail colossal qui précède la magie. Puis, j’ai gravi les échelons pas à pas, évoluant vers des rôles toujours plus complexes et riches. Quand j’y repense, je suis profondément reconnaissante envers toutes les personnes qui m’ont fait confiance et m’ont offert ma chance.
Aujourd’hui, en 2025, le théâtre est bien plus qu’une passion ; c’est une véritable partie de moi. Il m’offre une évasion, mais aussi une compréhension plus profonde des autres et de moi-même. C’est une source inépuisable d’apprentissage et d’épanouissement. Mes amis et ma famille vous diront que j’ai un « itinéraire de haute personnalité » – un joli mot pour dire que vous me retrouverez le plus souvent en salle de répétition, là où la magie opère et où je me sens vraiment chez moi.

Qu’en est-il de votre évolution dans la Trup Sapsiway ?
Je dois d’abord remercier Yousouf Elahee. Nous prenions des cours de théâtre ensemble à The School du Caudan Arts Centre, et c’est par lui que j’ai eu mon premier rôle dans Merchant of Moris avec la Trup Sapsiway. Le courant avec Gaston est passé presque immédiatement. Je suis allée à Camp-Levieux, le QG de la troupe, pensant passer une audition. Nous avons fait une lecture avec toute l’équipe et, sans hésitation, il m’a accueillie. Je n’ai même pas réalisé sur le moment que j’étais prise !
À notre deuxième rencontre, je lui ai demandé, et pour Gaston Valayden, c’était une évidence. Il m’a toujours guidée, épaulée et m’a fait découvrir un théâtre que je ne connaissais pas. Par la suite, j’ai aidé en régie pour Le Nœud, repris pour le Festival du Livre à Trou-d’Eau-Douce, puis pour Si je pars avant toi. L’année dernière, Gaston m’a proposé de jouer dans Baraz, une pièce engagée en créole qui a représenté un énorme défi. J’en suis ressortie avec une bien meilleure connaissance des chiffres en créole alors qu’auparavant, je ne connaissais que la signification de enn 35, mais il y en a d’autres qui m’ont laissée sans voix (rires) ! Gaston a su voir un potentiel en moi alors que j’en doutais encore, et je lui en suis infiniment reconnaissante.

Dans combien de comédies et de pièces dramatiques avez-vous joué et quel a été votre coup de cœur?
J’ai joué dans une dizaine de pièces à ce jour, et j’espère que ce n’est que le début. J’ai deux coups de cœur. Le premier est ma première comédie musicale, I Love You, You’re Perfect, Now Change. Elle explore avec humour et tendresse les étapes de la vie amoureuse. L’écriture est vive, et le spectacle alterne entre rire et émotion, mettant en lumière les contradictions universelles du couple moderne. La musique ajoutait une couleur et une texture magnifiques. J’ai pris un immense plaisir à interpréter des rôles si différents.
Mon second coup de cœur est Les Misérables. C’est une œuvre brute, sans artifice, qui reste d’une brûlante actualité. Elle parle des inégalités, de l’injustice, mais c’est aussi un grand poème d’amour et d’espérance. Interpréter Éponine a été intense, ce personnage incarne une révolte à la fois contre le système et contre le silence qui étouffe. J’en garde de beaux souvenirs.

Vos prochains projets ?
Je suis très reconnaissante de la confiance que me témoignent différents metteurs en scène. C’est encore un peu tôt pour tout dévoiler, mais pour l’année prochaine, je serai dans une pièce en anglais – un gros défi de par la complexité du texte – et dans une autre en créole, très terre-à-terre mais avec un twist très intéressant. Affaire à suivre !

À quand un one-woman-show?
Le théâtre reste pour moi un art du partage, autant avec le public qu’avec mes partenaires de scène. J’aime profondément cet échange humain et je ne m’en lasse pas. Je suis toujours preneuse de nouveaux défis, alors qui sait ? Peut-être qu’un jour quelqu’un sera assez fou pour se lancer dans cette aventure à mes côtés. Pour l’instant, je continue d’aiguiser mon jeu.

Vous évoluez actuellement dans la comédie musicale « Sister Act ». Quels souvenirs avez-vous en mémoire du film et de la performance de l’inénarrable Whoopi Goldberg ?
Sister Act est une aventure folle ! Travailler avec un aussi grand groupe est une expérience humaine hors norme, avec ses défis, bien sûr. Comme dans toute bonne production, il y a beaucoup de rires, un gros effort collectif et des petites tensions, mais c’est aussi ce qui rend l’aventure riche. Le plus grand défi est la superposition des couches : chant, danse et jeu. C’est un pot-pourri exigeant mais extrêmement joyeux. Le film est un classique, et préparer le spectacle m’a permis de le redécouvrir sous un angle nouveau, plus approfondi. Whoopi Goldberg incarne son rôle avec une justesse et une authenticité qui nous transportent. Mais notre Sœur Marie Clarence à nous, interprétée par Lydia None, ne va pas du tout décevoir le public. J’ai hâte qu’il découvre cette merveille théâtrale.

Il y a aussi votre évolution théâtrale aux côtés de Gérard Sullivan, notamment dans « Les Misérables », et cette année dans « Sister Act ». Quel enseignement théâtral Gérard Sullivan vous a-t-il transmis?
Je suis honorée de travailler avec Gérard Sullivan tout comme je suis heureuse de travailler avec Gaston Valayden et Ashish Beesoondial et d’autres personnes. Cela reste un beau souvenir car l’aventure a commencé avec Les Misérables, j’ai fait les auditions et par la suite, Gérard et son équipe m’ont fait confiance et m’ont donné le rôle d’Éponine. J’étais très émue car je sais à quel point Gérard Sullivan tient chaque rôle à cœur. Et de reprendre ce rôle après Carol Lamport représentait beaucoup pour moi, soit d’être à la hauteur de cette mission confiée. Actuellement, j’ai un rôle dans Sister Act, j’incarne Sister Lazarus, c’est un rôle drôle qui est différent des personnages que j’incarne habituellement.
Je remercie Gérard Sullivan et son équipe d’avoir placé leur confiance en moi. Gérard est quelqu’un de sage, sa présence lors des répétitions est suffisante pour nous ramener à l’essentiel. Ses conseils et sa bienveillance font que les comédiens se sentent entre de bonnes mains. C’est une expérience formidable de travailler avec lui.
Je suis chanteuse également. Comme Gérard est aussi chanteur, je sais qu’il a l’oreille et quand il fait confiance à un comédien qui exerce en solo, on se dit qu’on doit être à la hauteur. Il nous pousse à donner le meilleur de soi, et le charisme de Gérard Sullivan est suffisant pour booster un comédien à faire ressortir le talent qui sommeille en lui.

Le mot de la fin…
Le théâtre est une addiction positive, une véritable thérapie pour moi. Je souhaite à chacun de trouver la sienne pour vivre une existence plus épanouie.

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