St-Brandon – Vers une mainmise de l’état mauricien : Les étapes menant au Permanent Grant de Raphaël Fishing sur l’archipel

Maneesh Gobin, l’Attorney General, a indiqué que le gouvernement avait en ligne de mire les droits d’occupation de la société Raphael Fishing Co. Ltd. sur l’archipel de Saint-Brandon. Mais la compagnie a brandi le jugement en date de 2008 du Privy Council, qui fait état qu’elle détient bien un Permanent Grant sur une grande partie de cet archipel. Les détails de ce jugement peuvent permettre au lecteur de mieux comprendre comment la société Raphael Fishing a acquis les droits d’occupation de l’archipel, et quels sont les enjeux.

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Maneesh Gobin lors d’une conférence de presse le 20 janvier dernier, a expliqué que Raphael Fishing Co Ltd détient les droits d’occupation sur l’archipel de SaintBrandon. Une situation qu’il devait décrire comme « inacceptable », bien qu’il admette que le Privy Council ait confirmé dans un jugement en date de 2008 que cette société détient bien un Permanent Grant sur une grande partie de l’archipel. Toujours selon Maneesh Gobin, l’État mauricien chercherait à récupérer l’archipel par des moyens juridiques.

L’archipel de Saint-Brandon est situé à environ 400 km au Nord-Est de Maurice. Aussi connu sous le nom de Cargados Carajos, il est composé de plusieurs îles et îlots (une trentaine). Toutefois, sa zone économique exclusive couvre quelque 2 300 km2 autour des îles. Le naufrage du bateau de pêche taïwanais Yu Feng, le 5 décembre dernier, avait provoqué les plus vives inquiétudes sur le plan écologique, et avait projeté l’archipel sous les feux des projecteurs.

Raphael Fishing Co Ltd, société sise aux Salines, à Port-Louis, détient un Permament Grant sur 13 des îlots de Saint-Brandon. Cette société avait été incorporée le 7 juillet 1927. Elle propose actuellement des visites, des excursions et des activités aquatiques sur « ses » îles, dont la plongée sous-marine et le kitesurfing, mais dans le respect de la faune et la flore de l’archipel.

Dans un communiqué en date du 21 janvier, la compagnie regrette que l’Attorney General n’ait pas jugé utile de la solliciter avant son point de presse de vendredi dernier. Elle devait faire ressortir que le Permanent Grant en question s’applique à 13 îlots seulement. Mais aussi que c’est le gouvernement qui contrôle tout le trafic aérien et maritime à l’intérieur et aux alentours de l’archipel. D’autres compagnies de pêche obtiennent régulièrement l’autorisation des autorités mauriciennes pour s’engager dans la pêche industrielle dans les eaux de Saint-Brandon.

Comment cette société at-elle acquis ce Permanent Grant sur ces îlots ? En 1820, le gouvernement colonial de Maurice avait octroyé des « jouissances » à plusieurs personnes sur l’archipel de Saint-Brandon. Une jouissance est le droit de bénéficier des produits d’une parcelle de terre sans pour autant en obtenir la propriété. Une jouissance peut être de durée déterminée ou à perpétuité.

Mais en 1874, dans le souci d’éliminer certaines incertitudes face à ce régime, une Ordonnance avait été promulguée par le Conseil colonial. Ces ordonnances étaient promulguées par le gouverneur général, siégeant au sein du Conseil colonial, et avaient force de loi. Selon cette ordonnance, les personnes ayant des jouissances à durée indéterminée devront désormais opter pour un Permanent Grant (concession à perpétuité) ou un Permanent Lease (bail à perpétuité).

En 1900, les personnes détentrices des jouissances sur Saint-Brandon les avaient cédées à la compagnie St Brandon Fish & Manure Co Ltd. Le gouvernement colonial n’avait opposé aucune objection à ce transfert, mais avait simplement demandé que les jouissances soient converties en Permanent Lease (bail à perpétuité) sous l’ordonnance de 1874. Ce qui sera fait dans un acte de cession (Deed of Transfer) en date du 11 octobre 1901, qui a établi un Permanent Lease (bail à perpétuité) de Brandon Fish & Manure Co. Ltd. sur l’archipel. Ce document fait état que tout le guano ou tous les poissons pêchés dans les eaux de SaintBrandon seront exportés exclusivement vers Maurice.

La compagnie Brandon Fish & Manure Co. Ltd. devait toutefois faire faillite, et ses droits d’exploitation, sous l’acte de cession de 1901, avaient été vendus par le liquidateur à un dénommé Ulcoq. C’est alors qu’en 1928, la société Raphael Fishing Co. Ltd. a acquis ces droits d’exploitation à Ulcoq. Dans les deux cas, ces transferts des droits d’exploitation avaient été approuvés par le gouvernement colonial.

Mais en juin 1995, Marie Anne Bétuel a vendu des quotes-parts des anciennes jouissances octroyées en 1820 à Robert Talbot, qui essaiera de faire valoir ses droits sur une partie de l’archipel. La même année, Raphael Fishing Co. Ltd. avait alors intenté un procès contre Robert Talbot en Cour suprême, tandis que l’État mauricien avait été assigné comme co-défendeur. Raphael Fishing Co. Ltd. avait demandé à la Cour suprême d’émettre un jugement déclaratoire au sujet de ses droits sur l’archipel de SaintBrandon sous l’acte de cession de 1901, ainsi qu’une injonction perpétuelle interdisant à Robert Talbot d’interférer avec ses droits.

“Fallen into error”

La juge Balgobin, qui avait entendu l’affaire en première instance, a adjugé que le bail perpétuel dont jouissait Raphael Fishing Co. Ltd. sur l’archipel de Saint-Brandon sous l’acte de cession de 1901 était incompatible avec le Code Civil, qui fait état que tous les baux doivent être de durée déterminée. Elle avait donc décidé que le bail sur l’archipel était un bail de 99 ans, selon les dispositions du Code Civil, et qu’il devrait donc prendre fin en 2000, soit à compter de l’acte de cession de 1901.

En appel, les juges Matadeen et Lam Shang Leen devaient aussi décider que les baux à perpétuité étaient incompatibles avec les principes généraux du droit mauricien, notamment sous le Code Civil. Ils devaient même décréter que le bail à perpétuité sous l’acte de cession de 1901 était nul et non avenu (Null and Void).

Mais en juillet 2006, le Privy Council a octroyé le Special Leave à Raphael Fishing Co. Ltd., l’autorisant à contester le jugement de la Cour d’Appel de Maurice. Pour le Privy Council, dans son jugement du 30 juillet 2008, l’acte de cession de 1901 avait été fait sous l’ordonnance de 1874 et doit être interprété selon cette ordonnance, laquelle n’est pas sujette au Code Civil. Pour les Law Lords, les juges de la Cour suprême mauricienne « have fallen into error in looking for conformity with the Civil Code rather than for the intentions of the legislator as disclosed by the Ordonance ». Le législateur, c’est-à-dire le gouverneur général et le Conseil colonial, avait ses propres raisons de créer des régimes fonciers en dehors du Code Civil.

Les Law Lords avaient ainsi décrété que les termes utilisés sous cette ordonnance, qui font état de Permanent Lease (bail perpétuel), doivent être interprétés comme Permanent Grant, ou concession à perpétuité, pour bien donner effet aux intentions du législateur. Raphael Fishing Co. Ltd. jouit donc d’un Permanent Grant sur l’archipel de Saint-Brandon. Ils avaient aussi octroyé une injonction perpétuelle contre Robert Talbot et ses agents, leur interdisant d’interférer avec les droits de Raphael Fishing Co. Ltd. sur l’archipel.

Un homme de loi, qui a tenu à garder l’anonymat, explique que l’État mauricien ne pourra rouvrir cette affaire devant les tribunaux puisque l’affaire a déjà été jugée, et les tribunaux ne reviennent normalement pas sur une affaire qui a déjà été jugée. Il se pourrait cependant que l’État cherche alors à abroger l’ordonnance de 1874, ou encore à obtenir une réversion du Permanent Grant (où une terre donnée en concession revient à l’État), voire même une expropriation. Quoi qu’il en soit, cela promet une belle bataille juridique en perspective.

 

 

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