La Journée mondiale de la démocratie est célébrée par l’UNESCO chaque 15 septembre. Comme le souligne la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, si cette journée est célébrée, « c’est parce que l’idéal démocratique porte en elle une exigence de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine, comme le rappellent les mots de notre Acte constitutif ». Elle insiste : « le multilatéralisme tel que nous le pratiquons à l’Unesco fait vivre, entre et dans les sociétés, ce projet démocratique – qui lui-même porte un projet humaniste, fondé sur l’échange, le débat et la libre participation de tous et toutes. »
En fait, comme le souligne l’UNESCO, La Journée internationale de la démocratie est l’occasion de réexaminer l’état de la démocratie dans le monde. La démocratie est un processus autant qu’un objectif, et seuls la pleine participation et l’appui de la communauté internationale, des organes de gouvernance nationaux, de la société civile et des individus permettront de faire de l’idéal démocratique une réalité universelle. La liberté, le respect des droits de l’homme et le principe de la tenue d’élections honnêtes et périodiques au suffrage universel sont des valeurs qui constituent des éléments essentiels de la démocratie. À son tour, la démocratie devient un environnement naturel pour la protection et la réalisation effective des droits de l’homme.
Cette semaine Le-Mauricien a interrogé le Junior Minister Rajen Narsinghen, qui a répondu aux questions alors qu’il se trouve à Addis-Abeba afin de participer à des réunions organisées par l’Union africaine. Mais aussi Kushal Lobine, leader des Nouveaux Démocrates et Arnaud Vacher, responsable Communication d’En Avant Moris. Pour Rajen Narsinghen, la démocratie va mieux, mais il faut rester vigilant, consolider et améliorer et éviter des dérapages, comme l’affaire Narain Jasodanand. Arnaud Vacher estime, lui, que « La démocratie se juge sur des résultats concrets, pas sur des cérémonies ». Pour Kushal Lobine, « la démocratie est un processus vivant qui demande vigilance et engagement permanent. »
…
Kushal Lobine
« Réfléchir ensemble aux réformes nécessaires pour préparer l’avenir »
Nous avons célébré lundi la Journée internationale de la démocratie. Comment une telle journée devrait-elle nous interpeller ?
La Journée internationale de la démocratie ne doit pas être un rituel symbolique. Elle est un rappel que la démocratie est un processus vivant, exigeant vigilance et engagement permanents. Pour les Nouveaux Démocrates, c’est un moment où nous devons non seulement célébrer nos acquis, mais aussi réfléchir ensemble aux réformes nécessaires pour préparer l’avenir. La démocratie mauricienne doit continuer à évoluer : en consolidant la participation citoyenne, en renforçant la méritocratie et en plaçant la transparence au cœur de nos institutions.
Quel est l’état de la démocratie dans notre pays ? Quels en sont, selon vous, les principaux acquis et les faiblesses à corriger ?
Nos acquis sont solides : nous avons la régularité des élections, une presse diverse, une société civile active et une tradition de pluralisme politique qui fait notre fierté. Mais il y a encore des faiblesses à corriger.
Certaines institutions doivent être mieux protégées contre l’ingérence politique et renforcer leur autonomie. C’est pourquoi nous plaidons pour la mise en place d’un Appointments Committee indépendant, chargé d’encadrer les nominations aux postes clés sur la base du mérite et de critères objectifs. Cette réforme permettrait d’inspirer davantage de confiance et de consolider notre démocratie.
V-Dem vous avait classé parmi les pays autocratiques. Est-ce que nous sommes sortis de cette accusation ?
Ce classement a été un signal d’alerte. Il n’a pas signifié que Maurice était une dictature, mais qu’il y avait des fragilités à surveiller. Nous avons déjà corrigé certaines d’entre elles, mais pour sortir définitivement de cette zone de doute, il faut aller plus loin.
Je crois que Maurice doit s’inspirer de la Police and Criminal Evidence Act (PACE), qui encadre les enquêtes et protège les droits fondamentaux des citoyens. En adaptant ce modèle à notre contexte, nous renforcerions la transparence et la justice, tout en consolidant l’État de droit.
Beaucoup de citoyens, notamment les jeunes, expriment une certaine désillusion vis-à-vis de la politique. Quelles mesures concrètes faudrait-il mettre en place pour renforcer leur participation démocratique ?
Cette désillusion est réelle, et il faut y répondre par des actes concrets. D’abord, en offrant aux jeunes de vrais espaces d’expression et de décision : consultations publiques, budgets participatifs, panels citoyens tirés au sort. Ensuite, en assurant une place réelle dans les partis et dans les institutions, pas seulement symbolique. Les Nouveaux Démocrates ont montré la voie : 70% de nos cadres sont des jeunes, et près de la moitié sont des femmes. C’est la preuve que lorsque nous ouvrons les portes, la jeunesse répond présente avec dynamisme et créativité.
La démocratie repose sur des institutions fortes et une transparence réelle. Pensez-vous que nos institutions actuelles garantissent suffisamment l’indépendance, la justice et la lutte contre la corruption ?
Nos institutions restent solides, mais elles doivent constamment évoluer pour rester crédibles aux yeux de la population. Nous devons élargir l’accès à la justice, renforcer la lutte contre la corruption et moderniser notre cadre légal. Cela passe par des réformes comme l’abrogation de la diffamation criminelle, qui n’a plus sa place dans une démocratie moderne. Cela passe aussi par une révision de l’article 46 de l’ICTA, qui doit protéger la liberté d’expression en ligne tout en encadrant les abus de manière proportionnée et claire. Ces ajustements renforceraient l’indépendance des institutions et la confiance des citoyens.
Face aux nouveaux défis mondiaux, désinformation, réseaux sociaux, populisme, crises économiques et climatiques, comment peut-on protéger et réinventer notre démocratie pour l’avenir ? Quid de la Freedom of Information Act ?
Les défis mondiaux exigent des réponses modernes. La désinformation et le populisme ne se combattent pas uniquement par des sanctions, mais par l’éducation à l’esprit critique et par la transparence. C’est pourquoi l’adoption d’une Freedom of Information Act est, selon moi, une priorité nationale.
Chaque citoyen doit avoir accès rapidement et clairement aux données publiques. C’est aussi en garantissant la transparence algorithmique des plateformes numériques, en protégeant la liberté d’expression et en renforçant la résilience écologique et économique que nous pourrons protéger notre démocratie pour l’avenir.
Est-ce que la réforme électorale consolidera notre démocratie ?
Oui, si elle est menée dans la transparence et avec une large consultation nationale. La réforme électorale doit permettre une représentation plus juste, une meilleure intégration des jeunes et des femmes, et un mode de scrutin qui reflète la diversité de notre société sans accentuer les divisions. Elle doit aussi moderniser le processus électoral lui-même, avec un registre des électeurs plus accessible, une transparence accrue dans le financement politique et une équité dans l’accès aux médias. Si nous réussissons cette réforme, ce sera un pas décisif vers une démocratie plus forte et plus inclusive.
…
Rajen Narsinghen, Junior Minister : « Notre démocratie va mieux »
Nous avons célébré lundi la Journée internationale de la démocratie. En quoi cette journée devrait-elle nous interpeller ?
C’est bien plus qu’une célébration symbolique. Cette journée nous rappelle notre attachement à un principe fondamental : la démocratie. Mais attention, il ne suffit pas de se gargariser de slogans. Il faut consolider nos institutions, former les citoyens, et surtout les acteurs clés (juges, magistrats, policiers, fonctionnaires) à comprendre et incarner les principes démocratiques.
Les menaces internes et externes sont bien réelles. Même si les brebis galeuses sont minoritaires au sein de la police, elles sévissent. Le commissaire de police fait de son mieux, mais c’est un problème systémique. Il faut éduquer, instaurer des cours de promotion de la démocratie. Et à l’international, n’oublions pas que les civils et les enfants restent des victimes collatérales. Cette journée doit donc nous pousser à l’action.
Quel est, selon vous, l’état actuel de la démocratie à Maurice ? Quels sont les acquis et les faiblesses à corriger ?
Notre démocratie va mieux. Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et l’Attorney General, Gavin Glover ont légiféré et amendé les lois pour redorer notre blason. Le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) a retrouvé ses pouvoirs, les conflits avec le commissaire de police ont été évités, et une série de lois ont été adoptées pour renforcer le système.
D’autres sont en préparation. C’est du jamais vu. Mais il ne faut pas s’endormir. Il faut repenser la séparation des pouvoirs. L’indépendance des juges est essentielle, mais attention à ne pas tomber dans un gouvernement de juges. L’affaire Afrinic, par exemple, donne froid dans le dos. Je suis pour une justice indépendante, mais aussi pour une séparation claire entre le Judiciaire, l’Exécutif et le Parlement.
V-Dem avait classé Maurice parmi les pays autocratiques. Sommes-nous sortis de cette zone grise ?
Avec un nouveau Speaker en la personne de Shirin Aumeeruddy-Cziffra, le Parlement a retrouvé sa vocation première : légiférer, débattre, et assurer la redevabilité. Mais il faut aller plus loin : revoir les Standing Orders, instaurer un code d’éthique, et améliorer le système électoral pour garantir justice et équité. Il faut bâtir une société inclusive sans institutionnaliser le communalisme.
Le système carcéral aussi doit être repensé : offrir une seconde chance aux détenus qui veulent la saisir. Maurice peut redevenir une championne de la démocratie, mais certains dérapages – comme l’affaire Jasodanand – doivent cesser. L’état de notre démocratie est meilleur, oui, mais il faut rester vigilant, consolider et améliorer. Des réformes constitutionnelles et institutionnelles sont nécessaires. Il faut intégrer les normes internationales dans nos lois.
Je suis convaincu que V-Dem et d’autres agences nous attribueront bientôt des notes positives. Mais il faut aussi sanctionner les brebis galeuses.
Beaucoup de jeunes expriment une certaine désillusion vis-à-vis de la politique. Quelles mesures concrètes pourraient renforcer leur participation démocratique ?
La désillusion est réelle. Certains politiciens promettent trop, et certains citoyens attendent des miracles. Ni l’un ni l’autre n’est sain. Il faut introduire une dose de démocratie directe et semi-directe, par exemple via le référendum, sans tomber dans ses travers. Je propose la création de conseils de jeunes dans chaque municipalité et District Council. Cela encouragera une démocratie participative. Il faut aussi multiplier les consultations citoyennes, y compris par voie électronique, pour que cette démocratie devienne tangible.
Nos institutions garantissent-elles suffisamment l’indépendance, la justice et la lutte contre la corruption ?
Il faut aller plus loin. La NADC est utile, mais insuffisante. Il nous faut une ADSU intraitable et, selon moi, une police des polices. La drogue continue de faire des ravages. Il ne faut pas se voiler la face. Il faut durcir les lois contre les trafiquants, tout en étant plus indulgent envers les petits consommateurs.
Face aux défis mondiaux (désinformation, réseaux sociaux, populisme, crises économiques et climatiques), comment protéger et réinventer notre démocratie ? Et quid de la Freedom of Information Act ?
Il faut revoir la loi ICTA, notamment la section 46, et introduire un PACE adapté. La liberté d’expression doit être garantie, mais il faut aussi punir ceux qui diffament et colportent des mensonges sans vérification. Le juste équilibre est difficile à trouver, mais nécessaire.
Une Freedom of Information Act bien conçue peut renforcer la transparence. Il faut aussi encadrer les commentaires et notes des lecteurs et auditeurs : les lâches ne doivent pas pouvoir se cacher derrière des écrans. Une démocratie responsable ne doit pas devenir une jungle.
….
Arnaud Vacher (Responsable Communication d’En Avant Moris) :
« La démocratie est un service quotidien »
Lundi, nous avons célébré la Journée internationale de la démocratie. Comment une telle journée devrait nous interpeller ?
Nous, au sein d’En Avant Moris, nous la voyons comme un miroir et un klaxon. Elle nous oblige à vérifier que nos règles sont appliquées, que nos contre-pouvoirs fonctionnent et que la confiance publique est préservée. La démocratie se juge sur des résultats concrets, pas sur des cérémonies.
Quel est l’état de la démocratie à Maurice ?
Nous reconnaissons que Maurice reste une démocratie multipartite avec alternance, mais elle traverse une période de fragilisation. Les indices internationaux et certaines décisions récentes (réseaux sociaux, transparence) montrent des tensions, même si la société civile et l’opposition continuent d’agir.
Quels en sont les principaux acquis et les faiblesses à corriger ?
Pour nous, les acquis sont réels : élections libres, pluralisme partisan, institutions solides sur le papier. Mais les faiblesses sont préoccupantes : absence d’une loi FOI efficace, restrictions numériques, clientélisme et déficit de légitimité citoyenne.
V-Dem nous avait classés parmi les pays autocratiques. Sommes-nous sortis de cette accusation ?
Nous considérons que ce classement reflétait la concentration de pouvoir et un recul relatif des libertés. Pour inverser durablement cette tendance, il faut une loi FOI, des garanties d’indépendance judiciaire, une réforme du financement politique et la protection des médias et des lanceurs d’alerte.
Beaucoup de citoyens, notamment les jeunes, expriment une certaine désillusion vis-à-vis de la politique. Quelles mesures concrètes faudrait-il mettre en place pour renforcer leur participation démocratique ?
Nous proposons des mesures claires : plateformes numériques participatives, quotas dans les conseils consultatifs, service civique rémunéré, éducation civique et financement ciblé d’initiatives citoyennes. L’objectif étant de rendre la politique utile et visible pour la jeunesse.
La démocratie repose sur des institutions fortes et une transparence réelle. Pensez-vous que nos institutions actuelles garantissent suffisamment l’indépendance, la justice et la lutte contre la corruption ?
Nous estimons que si elles sont théoriquement solides, elles présentent en pratique des lacunes. Il faut des nominations transparentes, un budget indépendant pour les organes de contrôle, des audits publics réguliers et la mise en œuvre effective des recommandations.
Face aux nouveaux défis mondiaux (désinformation, réseaux sociaux, populisme, crises économiques et climatiques), comment peut-on protéger et réinventer notre démocratie pour l’avenir ?
Nous pensons qu’il faut une stratégie pragmatique en six axes : renforcer la fiabilité de l’information, réguler les plateformes numériques, éduquer les citoyens, réduire les inégalités, impliquer la population dans les choix climatiques et sécuriser nos institutions et élections.
Quid de la Freedom of Information Act?
Rappelons que Maurice n’a pas encore une loi FOI robuste. Sans accès systématique aux données publiques, la responsabilisation reste partielle. Une loi complète avec délais contraignants et mécanismes d’appel est urgente.
Est-ce que la réforme électorale consolidera notre démocratie ?
Oui, à condition qu’elle combine sécurité et transparence du scrutin, plafonnement et transparence du financement politique, et renforcement de l’indépendance de la Commission électorale. Nous, au sein d’En Avant Moris, affirmons qu’une réforme partielle ne suffira pas.
Nous, à En Avant Moris, le disons sans détour : la démocratie n’est pas un label que l’on porte. C’est un service quotidien. Transparence, institutions indépendantes et participation réelle des jeunes en sont les preuves tangibles.