Un chef technicien de Mauritius Telecom, poursuivi pour plusieurs délits liés à l’alcool au volant, a été acquitté par la Cour de Moka le 24 novembre 2025. Le magistrat a conclu que les conditions strictes prévues par le Road Traffic Act n’avaient pas été respectées par les policiers intervenants, rendant les poursuites juridiquement intenables.
Cette décision met une nouvelle fois en lumière les exigences rigoureuses de la loi en matière de procédure, ainsi que les lacunes persistantes dans leur application sur le terrain. Elle intervient surtout à un moment clé, alors que le Parlement a adopté vendredi une nouvelle politique de sécurité routière, marquée par la réintroduction du permis à points et une volonté affichée de ne laisser « aucune chance » aux contrevenants au Code de la route.
Les faits : une intervention initiale sur fond de suspicion
Or, la fermeté du cadre législatif ne peut produire ses effets que si elle est accompagnée d’une application irréprochable des procédures. Il importe donc que les agents de police, qu’ils soient affectés ou non à la circulation, appliquent à la lettre les dispositions prévues par la loi. À défaut, des contrevenants continueront d’échapper à la justice, non pas en raison d’un manque de preuves matérielles, mais parce que les règles de procédure n’auront pas été respectées.
Les événements remontent au 29 juin 2018. Vers 23 h 15, l’homme se trouvait assis au volant de son véhicule garé non loin du morcellement Aurea. Deux policiers en patrouille, le soupçonnant d’être sous l’influence de l’alcool, l’ont invité à effectuer un test d’alcootest. Il refuse, affirmant qu’il n’avait pas consommé d’alcool.
Une défense appuyée par des témoignages et une preuve matérielle
Les policiers décident alors de conduire le véhicule eux-mêmes jusqu’au poste de police de Moka, où le technicien est placé en cellule de dégrisement avant d’être relâché le lendemain. Il sera ultérieurement inculpé pour (1) refus de fournir un échantillon d’haleine, (2) refus de fournir un échantillon de sang et (3) being in charge of a motor vehicle with alcohol concentration above prescribed limit.
En Cour, le technicien explique que sa voiture était en panne et qu’il s’était arrêté à plusieurs reprises avant de se garer à un arrêt d’autobus pour éviter d’endommager davantage le moteur. Un mécanicien est appelé à témoigner : il confirme la panne, produit un reçu de réparation et décrit la nature du problème mécanique qui rendait impossible toute reprise de la route sans risque.
Plusieurs témoins corroborent l’absence de “likelihood of driving”, point fondamental de la section 123F(2) du Road Traffic Act, qui prévoit l’exonération d’un conducteur si les circonstances démontrent qu’il n’allait pas reprendre la route.
L’erreur qui fait basculer le procès : un défaut de “warning”
Le second axe de la défense repose sur un aspect purement procédural, mais déterminant. Lors de son contre-interrogatoire, le policier admet avoir “informé” le technicien des offenses potentielles — alors que la loi impose obligatoirement qu’il soit “warned”.
Dans les dispositions de la section 123H(5), la formulation n’est pas facultative : la mise en garde doit être claire, explicite et conforme au libellé légal. L’absence de ce warning prive l’accusé d’une information essentielle sur ses droits et les conséquences de son refus, et rend la procédure irrégulière.
Le jugement : la procédure prime sur le soupçon
Estimant que les deux arguments soulevés par la défense étaient fondés, le magistrat conclut que :
• la voiture était effectivement en panne,
• les policiers n’ont pas respecté les obligations légales encadrant la réquisition d’un test d’alcoolémie,
• les conditions permettant de qualifier l’accusé de “being in charge” n’étaient pas réunies.
Le chef technicien est donc acquitté de toutes les charges. Il était représenté par Me Siv Potayya qui a surtout mis en avant les manquements des agents de police et monté un argumentaire légal qui a tenu la route.
Ce jugement illustre une tendance juridictionnelle de plus en plus marquée : la loi sur l’alcool au volant ne laisse aucune marge d’interprétation quant à la procédure. Le Road Traffic Act, renforcé ces dernières années, a introduit des obligations strictes pour éviter les abus, garantir la transparence et protéger les droits des suspects. Lorsque la police s’écarte de ces standards — même légèrement — le procès s’effondre.
Ce cas soulève également une inquiétude récurrente : la formation policière semble insuffisante face à des dispositions techniques et exigeantes. Plusieurs affaires similaires ont été annulées, non pas parce que les conducteurs étaient irréprochables, mais parce que les policiers n’avaient pas respecté la lettre de la loi.
À l’heure où le gouvernement entend instaurer une tolérance quasi zéro sur les routes, cet acquittement rappelle une réalité incontournable : la crédibilité de la politique de sécurité routière repose autant sur la rigueur des lois que sur le professionnalisme de ceux chargés de les faire respecter.
Les deux erreurs de procédure qui ont sauvé le chauffeur en état d’ivresse
1. Le “warning” obligatoire : une étape légale incontournable
La section 123H(5) du Road Traffic Act exige que le policier mette en garde une personne soupçonnée d’être sous influence avant d’exiger un échantillon d’haleine, de sang ou d’urine.
La mise en garde doit :
• être verbale,
• suivre le libellé légal,
• informer clairement que le refus constitue une infraction grave.
Dans cette affaire, le policier a seulement “informé” le suspect, ce qui ne satisfait pas aux exigences du texte. La Cour a jugé la réquisition invalide.
2. La notion de “Being in Charge” dépend des circonstances réelles
La section 123F(2) prévoit qu’une personne assise dans un véhicule ne peut être poursuivie si :
• elle n’avait pas l’intention ou la possibilité de reprendre la route,
• ou que des circonstances (panne, crevaison, danger mécanique) rendaient la conduite impossible.
Le témoignage du mécanicien et les preuves de panne ont démontré que l’accusé ne risquait pas de conduire, même en état présumé d’ivresse. La charge est donc automatiquement levée.

