Vincent Montocchio, directeur de Circus :« Nous faisons un travail d’équilibriste depuis 30 ans ! »

Circus, l’une des principales agences de publicité mauricienne, célèbre ces jours-ci son 30ème anniversaire. Nous sommes allés à la rencontre de Vincent Montocchio, son directeur général, pour faire un survol de l’évolution de son entreprise et de la publicité à Maurice au cours des 30 dernières années.

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Pourquoi Circus : parce que le publicitaire est tout à la fois clown et funambule ?

— L’entreprise a été créée par mon frère Thierry qui, en cherchant un nom pour son agence, est tombé sur un article sur un vieux clown qui prenait sa retraite et qui disait que le cirque était des paillettes, des pitreries et du show, mais aussi l’enthousiasme, le partage, le partenariat et la précision. Thierry a choisi Circus et créé tout un esprit d’entreprise qui était très précurseur pour l’époque

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Quelle est la bonne définition de la publicité en 2025 ?

— Elle a tellement évolué ! Aujourd’hui, il ne faut plus parler que de marques qui étaient, au départ, un gage de qualité très lié au produit. Après, dans les années 70, celles de la surconsommation, la marque devient plus comme un récit, une histoire, une inspiration qui se raconte, un vecteur de rêve, d’humour, et surtout elle rentre dans la pop culture, au-delà du sexisme de l’époque quand, par exemple, Michaël Jackson commence à faire des clips commerciaux. La marque fait rêver…

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…et vendre le produit…

–…oui, parce que c’est ultimement un des rôles de la publicité, mais pas le seul, et donc ce type de pub dure jusque dans les années 2000. Pendant cette période, c’est une relation de haut en bas qui s’établit – grâce à la pub – entre la marque et le consommateur. C’est la marque qui décide du produit et l’impose, et ça dure qu’aux années 2000. Internet arrive alors timidement, comme le E commerce.

Jusqu’à cette période, la publicité est synonyme d’inventivité, de créativité, les gens aiment la publicité à la télévision et même au cinéma. On attend avec impatience de revoir certaines d’entre elles, comme celle de la bière Phœnix. Qu’est-ce qui a provoqué le changement ?

— L’étendue des réseaux sociaux qui fait changer les choses : il y a un répondant à la marque qui a poussé à la démultiplication du nombre de contenus. Au départ, on faisait 5 films publicitaires par an ; aujourd’hui, on fait 300 contenus vidéo. Le message publicitaire est tellement démultiplié que le rapport avec la pub est totalement différent.

On dirait que la pub d’aujourd’hui est un exercice servant surtout à montrer le maximum de fois le nom du produit et de son fabricant. Le temps de la réflexion et de réalisation avec des clins d’œil qui faisait qu’on appréciait, qu’on aimait la pub, semble bien révolu.

— Ce type de publicité existe encore. De tout temps, il y a eu de la très mauvaise et de la très bonne pub. Il y a aujourd’hui des pubs exceptionnelles qui prennent différentes formes, mais c’est vrai qu’avec les réseaux sociaux, s’est créé un rapport de force avec des millions de messages. S’est également mis en place un rapport de force inversé avec les exigences des consommateurs, des observateurs, des influenceurs, etc., qui mettent une pression colossale sur les marques. Aujourd’hui, la marque est devenue une preuve ou non de sa responsabilité sociétale et environnementale. Pas toutes, mais on ne peut plus dissocier la marque de l’entreprise qui la fabrique. Avant, ça n’intéressait personne de savoir, par exemple, comment un yaourt était fabriqué, si les employés étaient bien payés et travaillaient dans de bonnes conditions. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et à cette démultiplication qui font que tout un chacun est devenu un vecteur de communication, ces sujets remontent. Aujourd’hui, les consommateurs attendent des marques qu’elles changent les choses : qu’elles soient au service des besoins de la société et des consommateurs. On ne peut plus aujourd’hui dissocier la marque de l’entreprise qui la fabrique. Si la marque fait un faux pays, c’est toute l’entreprise qui est affectée.

Est-ce que le fait d’être obligé de respecter les exigences des consommateurs n’est pas un frein à la créativité et la liberté du publicitaire ?

— Oui et non. C’est clair qu’aujourd’hui, on ne peut plus faire les mêmes blagues et tenir certains propos que l’on faisait avant, et ce n’est pas plus mal ! J’ai vécu tout ce changement et je ne le ressens pas comme un frein parce que je ne suis pas de ceux qui disent « on ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire ». Au contraire, je pense que c’est souvent dans la contrainte qu’on peut avoir de grandes idées.

Circus a évolué dans ces paramètres en les adoptant ou en se contentant de suivre la tendance ?

— La changement fait toujours peur, parfois avec raison. Mais quand il est inévitable, il vaut mieux le mener que de le suivre. J’ai toujours essayé de mener le changement et d’agréger le plus possible tout ce qu’il apportait. C’est vrai que le métier que je faisais quand je suis arrivé à Circus en 2002 est complètement différent de ce que nous faisons aujourd’hui, ne serait-ce que par rapport au nombre de services que nous proposons parce que les besoins sont différents.

Qu’est-ce qu’un publicitaire doit proposer aujourd’hui pour satisfaire les demandes du marché, donc des consommateurs ?

— Il faut aujourd’hui placer la pub dans un ensemble de besoins de communication des marques, des entreprises. Aujourd’hui, pour créer une marque, il faut des recherches en interne, des études de marché et l’écoute des consommateurs. Ensuite, on définira la marque, ses valeurs, sa raison d’être, comment elle s’adressera aux gens, et ce n’est qu’après qu’on créera son identité visuelle et son univers de communication, et après, si c’est un produit, concevoir son packaging, son site web. Ce n’est qu’après ces étapes qu’on fera son lancement à travers une campagne de pub, concevoir un film qui passera à la télé et une multitude de petits contenus pour les réseaux sociaux et créera un plan de communication avec relation presse et public.

Le long processus que vous venez de décrire demande du temps et, surtout, de l’argent. Quel est le coût d’une telle campagne ?

— Il faut tout d’abord dire qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de possibilités pour les marques, même les petites, d’exister à moins cher avec la démultiplication des moyens de diffusion. Une campagne traditionnelle coûte cher, mais rien n’empêche de faire sa pub, sa promo, avec parfois de la créativité avec son téléphone sur certains réseaux comme TikTok. Les plus créatifs émergent et vendent bien leurs produits.

Est-ce que toutes les marques ont les moyens de se payer des campagnes globales pour lancer un produit ?

— Oui, dans la mesure où elles ont toutes accès à des moyens de communication qui minimisent les coûts et qui n’existaient pas avant. Les grandes marques qui perdurent ont bien compris que leur image de marque ne suffit pas, qu’il faut toujours continuer à communiquer.

Aujourd’hui, avec son téléphone portable, tout le monde peut se dire publicitaire – ou même journaliste. Est-ce que cette démocratisation se fait aux dépens de la recherche, de la réflexion et de la créativité ?

— J’ai envie de vous répondre oui et ajouter que c’est pourquoi ça ne marche pas si bien tout le temps. Aujourd’hui, chaque personne qui like, commente ou interagit sur les réseaux sociaux devient l’ambassadeur d’une marque, le vecteur de sa pub, et un émetteur, un influenceur.

Qu’est-ce qu’un influenceur : le publicitaire des temps modernes ?

— On peut le dire. En tout cas, ils font partie de l’écosystème et ont beaucoup d’influence, et nous travaillons avec eux. Ils ne sont pas nos concurrents, mais nos partenaires complémentaires dans la palette des médias à notre disposition : radios, télé, presse écrite, réseaux sociaux.

  Mais respectent-ils les normes ? On entend souvent parler de messages complaisants, de mauvais produits vantés.

— C’est la grande catastrophe qui nécessite, à mon avis, un besoin pressant de légiférer. Il existe une loi en France qui fait obligation pour un influencer de préciser si le produit qu’il vante est sponsorisé, n’est que de la pub… Je pense que, de plus en plus, le consommateur sait faire la différence et que les influenceurs sont comme les agences de pub et les marques : il y en a de bons, des médiocres et des très mauvais. En fait, ceux qui réussissent sont ceux qui sont les plus créatifs, les plus inventifs, qui se démarquent des autres qui sont très nombreux. Savez-vous combien de mètres de contenu on fait défiler – scroll – par jour sur nos écrans : aux États-Unis 350 mètres, en Europe 180 et à Maurice, bien qu’on ne l’a pas encore mesuré, c’est énorme et il faut en tenir compte ! Mais on ne peut pas comparer l’impact d’une image que l’on a fait défiler entre des centaines, en quelques secondes, avec un bill board dans la rue, une pub à la télé ou à la radio ou dans le journal. Certains annonceurs préfèrent aller sur les réseaux sociaux parce que c’est moins cher : c’est vrai et ce n’est pas vrai en même temps. Parce que ce qui émerge dans « l’enfer » du scroll, ce sont les recettes de la bonne pub : la réflexion, la créativité, l’humour, une image bien pensée qui touche la réalité humaine du consommateur.

Est-ce que la multiplication des réseaux et des messages a servi ou desservi la publicité ?

— Pour moi, ça n’a pas desservi le métier de publicitaire parce que, souvent, la démultiplication amène aussi la médiocrité, des fonds de poubelle plus que douteux et même inquiétants moralement. La différence s’établit d’elle-même.

Est-ce que cette démultiplication permet au consommateur de mieux choisir ce qu’il achète au niveau qualitatif ?

— Il n’y a pas qu’un seul type de consommateur, mais en général aujourd’hui, il a plus de choix, plus d’accès à l’information et il accepte de moins en moins ce qu’on propose. Les plus jeunes sont beaucoup plus avisés et voient tout de suite quand une com est fake, et ils le font savoir. Cette génération est plus difficile à cerner, à plaire, mais si l’entreprise/la marque montre son authenticité, sa vulnérabilité, sait s’excuser – des termes qu’on n’utilisait pas autrefois –, elle l’accepte, l’adopte, et achète ses produits.

Mais montrer sa vulnérabilité, s’excuser, ce n’est pas faire le contraire de la publicité qui consiste à montrer le meilleur angle, la plus belle face d’un produit, quitte à modifier, pour ne pas dire travestir la vérité ?

— Ça c’était la vieille publicité, qui existe encore mais qui ne touche plus personne. Exemple concret : le Craft Market du Caudan avait brûlé et il fallait gérer cette situation. Autrefois, on aurait tout fait pour cacher, pour qu’on ne puisse pas voir une seule image de l’intérieur calciné, du désastre. Circus a proposé de faire le contraire : une campagne mettant en valeur les artisans en les photographiant, en utilisant la cendre de l’incendie pour faire de l’encre pour des affiches. Cette com a fait la une de tous les journaux.

Si je voulais être cynique, je pourrais qualifier cette opération com de récupération des victimes à des fins publicitaires !

— Ça dépend comment on regarde la chose. Moi, je me place du point de vue de la marque qui a eu une action dans laquelle tout le monde a été gagnant, principalement les artisans. Si ce n’était que de la récupération, ça n’aurait pas marché. Cet exemple était juste pour illustrer comment aujourd’hui, la vulnérabilité et l’authenticité s’affichent dans la pub qui est faite, il faut le rappeler, de 95% de mauvaises et 5% d’excellentes. Et ces 5% là c’est brillant.

Ça arrive souvent à Circus d’être brillant ?

— Je ne voudrais pas être arrogant : ça nous arrive de temps en temps, suffisamment je crois, pour satisfaire nos partenaires, en étant créatif, et interpellant les gens.

Comment fonctionne Circus au niveau financier : vous avez des actionnaires, des partenaires ?

— Dès le départ, il y a eu un partenariat très sain entre les Montocchio et le groupe Eclosia, qui pèse 25% dans Circus. Nous n’avons jamais eu des problèmes parce que comme nous, Eclosia croit dans la créativité et que nous travaillons pour certaines de ses marques, mais aussi pour d’autres.

Que pensez-vous de ceux qui affirment que la presse écrite n’est plus lue et ne sert pas à grand-chose en termes de support publicitaire ?

— Je ne partage pas cet avis. Je pense que la publicité et les annonceurs ont une énorme responsabilité face aux médias, qui sont – on oublie de le rappeler – un des piliers de la démocratie, qui est parfois menacée. Les entreprises et les annonceurs doivent soutenir ces médias.

J’ai l’impression qu’ils ne le font pas parce que la publicité dans la presse écrite a drastiquement diminué.

Circus croit dans la presse papier qu’il utilise pour des raisons bien précises. Je crois que les Mauriciens ont toujours une relation forte au journal papier et qu’acheter ses journaux le dimanche fait partie d’un véritable rituel.

Est-ce que les publicitaires disposent de statistiques fiables leur disant qui lit ou écoute quoi, sur quel sujet et à quel moment ?

— Nous disposons de statistiques plus ou moins fiables. Il y a quelques années de cela, une entreprise faisait un sondage annuel qui valait ce que ça valait. Nous, avec notre département de recherches, nous faisons faire des sondages pour obtenir les données qui nous intéressent.

Abordons maintenant une question de brûlante actualité : la publicité et l’intelligence artificielle qui, selon certains, va tout remplacer dans un proche avenir.

— À Circus, nous utilisons l’IA, premièrement parce qu’on n’avait pas le choix, et deuxièmement parce qu’elle offre des possibilités exceptionnelles. On n’a plus besoin de fabriquer. Par contre, on a toujours besoin d’imaginer, de créer. L’IA offre à des milliards d’individus la capacité de fabriquer facilement et rapidement du contenu, mais pour émerger de cette masse d’images et de sons, on a besoin, plus que jamais, de ceux qui ont de l’imagination, de la créativité, de stratégies de marques, de choses bien réfléchies : c’est-à-dire, les agences de pub. Ce sont elles qui ont cette capacité à trouver l’idée qui interpellera les gens, retiendra leur attention. La publicité, ce n’est pas juste faire une jolie image, mais comment on la prend, qu’est-ce qu’on met dedans, pour qu’elle raconte quelque chose qui touche le consommateur. L’IA remplacera, sans aucun doute, un certain nombre de métiers dans la publicité, mais elle ne pourra pas remplacer les valeurs ajoutées que sont la créativité, la stratégie, la réflexion et la connaissance du consommateur.

Est-ce que les entreprises ont besoin de bonnes et belles idées ou de jolis concepts, ou est-ce qu’elles ne se contentent pas de matraquer à force de répétition leur nom et celui de leurs produits dans des clips vite faits ?

— En tout cas, celles qui viennent chez nous sont à la recherche des valeurs dont nous venons de parler. Ma conviction la plus profonde c’est que, plus que jamais, les gens en ont marre du matraquage et ont besoin d’être émerveillés, émus, informés. C’est ce que nous proposons.

Avec l’évolution de la pub, certaines agences se sont transformées en boîtes de com dont le travail est essentiellement de valoriser le client, ses déclarations et son message. Votre commentaire ?

(Sourire) Évidemment, ça fait partie du métier et nous faisons beaucoup de com corporate pour les grands groupes. Là encore, je ne crois pas dans le fait d’embêter les gens, dans celui des couillonner un journaliste et de masquer la réalité. C’est le vieux modèle de la réclame qui consiste à maquiller ce qui ne va pas bien que pratiquaient les PR. Je pense que le rôle du PR moderne est, certes, de raconter ce qui va bien, mais d’être honnête sur ce qui ne va pas et de ce qu’il faut améliorer. Si on cache à la presse des choses, ça ne marche pas, elle va finir par les découvrir et les révéler

Je suppose que cela vaut aussi pour la politique où le nombre de PR ou de communiquants est en augmentation. Est-ce que ce créneau vous a jamais tenté ?

— La politique m’a beaucoup tenté, mais je n’ai jamais voulu en faire. Et si jamais je le faisais, ce ne serait pas pour une question financière mais par conviction, en mettant mon expérience de publicitaire qui connaît la puissance de persuasion d’une bonne com qui peut changer le monde, au service de quelqu’un en qui je crois vraiment.

Vous avez un exemple local de la puissance de la persuasion d’une bonne com à citer ?

— Évidemment. Il est sûr et certain que la pub/clip viré mam ! a eu un immense impact sur les résultats des avant-dernières élections générales.

Restons dans la politique. Un an après les 60/0 des dernières élections, le nouveau gouvernement est en train de subir une grave crise de communication et n’arrive pas à bien vendre ses produits. Ça pourrait vous intéresser ?

— Oui, à condition que je puisse disposer de la même liberté de travailler, la même transparence, la même honnêteté dans ce qu’il faudra dire et faire.

Avez-vous le sentiment que les politiciens ont suivi l’évolution de la pub et savent que les consommateurs/électeurs réclament de l’authenticité et de l’honnêteté dans leurs messages ?

— En général, ce n’est pas ce qu’ils donnent à voir.

Nous avons commencé cette interview par la naissance de Circus qui fait partie intégrante de la publicité à Maurice. Quel est son avenir et, par conséquent, celui de la pub locale ?

— C’est difficile et arrogant d’oser prédire ce qui arrivera dans un monde qui va aussi vite. Qui aurait prédit, il y a quelques années, l’arrivée et la puissance des réseaux sociaux et celle de l’IA ? Le métier évoluera sous d’autres formes, mais ce qui continuera à exister, ce qui restera en tant qu’agence c’est : l’intelligence émotionnelle ; la connaissance du Mauricien dans toute sa diversité et sa complexité ; la capacité à développer des insights pertinents qui les toucheront ; la stratégie de communication ; le positionnement d’une marque et la créativité. Je crois que Circus se recentrera de plus en plus comme des partenaires et des consultants indépendants à forte valeur ajoutée. Un partenaire qui n’a pas peur de donner son avis à un client.

Dernière question : est-ce que la publicité nourrit bien le publicitaire ?

— On est raisonnablement profitable. Nous sommes clairement loin de l’âge d’or de la publicité à Maurice, mais on ne se plaint pas. Dès sa création, Circus a dit clairement que “we are in business to do advertising, we are not in advertising to do business.” C’est un travail d’équilibriste que nous faisons depuis 30 ans, en repoussant nos limites, et je crois que ça se voit et que ça se ressent dans notre travail.

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