Violence sexuelle sur mineurs : 1,513 voix brisent le silence

Virginie Bissessur, de Pedostop : “Ce rapport ne se limite pas à  présenter des chiffres”

Une étude menée du 24 juillet au 13 septembre 2024 à Maurice et du 20 août au 15 septembre de la même année à Rodrigues indique que 42% des 1,013 Mauriciens et 31,% des 500 Rodriguais interrogés déclarent avoir vécu, au moins une fois dans leur vie, une forme de violence sexuelle. Les détails de cette étude, réalisée à l’initiative de l’organisation non gouvernementale (ONG) Pedostop, en collaboration avec Analysis Kantar, figurent dans un rapport rendu public mercredi dernier. L’ONG, qui célèbre ses 20 ans, a mobilisé ses partenaires durant la semaine, afin de débattre, discuter et échanger de manière interactive autour de la violence sexuelle faite aux enfants et de la nécessité de renforcer les mécanismes de protection.

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“Ce rapport ne se limite pas à présenter des chiffres. Il met en avant la voix des survivants et dévoile des réalités trop souvent laissées dans l’ombre. Surtout, il nous montre que des progrès sont possibles lorsque les familles, les institutions et les communautés unissent leurs efforts avec la même détermination pour protéger les enfants”, souligne, en préambule, Virginie Bissessur, directrice de Pedostop. La violence sexuelle envers les enfants à Maurice et Rodrigues demeure l’un des problèmes les plus graves et les plus silencieux de notre société. Enfouie sous les tabous, la honte et la peur d’en parler, elle apparaît dans toute son ampleur à travers cette étude nationale, qui a été soutenue par la Fondation Joseph Lagesse. Un ensemble de données  permet de comprendre l’ampleur réelle de ces violences, leurs mécanismes, leurs conséquences et les défaillances institutionnelles qui laissent tant d’enfants sans protection.

Les chiffres révélés par cette recherche sont parlants: 42% des Mauriciens et 31% des Rodriguais déclarent avoir vécu, au moins une fois dans leur vie, une forme d’agression à caractère sexuel. Il s’agit majoritairement de violences non physiques – remarques sexuelles, regards insistants, comportements intrusifs –, mais ces gestes, souvent minimisés ou normalisés, créent un climat propice aux violations plus graves. L’étude montre que plus de 30% des personnes interrogées ont été victimes de regards intimidants, plus de 25% de remarques ou plaisanteries sexuelles, et 15% d’attouchements non consentis. L’abus survient fréquemment avant l’âge de 18 ans, et les femmes âgées de 25 à 35 ans rapportent les taux les plus élevés, avec toutes les catégories sociales touchées.

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Un paradoxe inquiétant ressort de l’étude : si le problème est reconnu par une grande partie des personnes interrogées, il reste largement tu. 40% des Mauriciens et 49% des Rodriguais affirment que la violence sexuelle est une réalité, mais n’en parlent jamais. Cette culture du silence – nourrie par la honte, la peur de ne pas être cru, la crainte des représailles ou le désir de protéger l’image de la famille – transforme ces violences en secrets que tout le monde devine, mais que personne n’affronte. Pourtant, la Children’s Act 2020 impose le signalement obligatoire. Entre le droit et la pratique, un fossé subsiste.

Les violences se déroulent dans des contextes variés. 70% des cas impliquent des inconnus, souvent dans des espaces publics ou en ligne, reflet d’un phénomène croissant d’abus numériques. Cependant, une proportion importante des victimes est agressée à l’intérieur même du foyer familial, par des oncles, des cousins, ou parfois leur propre père. Les lieux censés offrir sécurité et protection deviennent alors le théâtre d’abus qui marquent les victimes pour la vie.

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Le chiffre le plus préoccupant du rapport est, toutefois, le taux de sous-déclaration. Sur 100 victimes, seules 25 confient ce qu’elles ont vécu à quelqu’un, et seulement trois déposent une plainte officielle. Autrement dit, 97% des violences sexuelles restent dans l’ombre. Les raisons de ce silence sont multiples : honte, peur, pression familiale, banalisation de certaines attitudes. ou absence de confiance dans les institutions. 3,221 cas ont été officiellement enregistrés entre 2016 et 2023. Pourtant, compte tenu de la prévalence mesurée dans l’étude, le nombre réel de victimes pour cette période est estimé à plus de 107,000.

Les conséquences de ces violences sont profondes, durables, et souvent invisibles. 7 victimes sur 10 déclarent que l’abus a eu des répercussions directes sur leur santé mentale ou leur comportement. Les symptômes les plus fréquents incluent l’anxiété, l’hypervigilance, le sentiment de vulnérabilité, la dépression, les attaques de panique, les difficultés relationnelles, ou encore les cauchemars récurrents. L’étude fait également état de cas d’isolement social, de perte de confiance, de troubles du sommeil et parfois d’idées suicidaires. Chez les femmes victimes de viol, les conséquences physiques sont tout aussi graves : une sur deux souffre de problèmes gynécologiques, notamment de douleurs lors des rapports sexuels, de troubles menstruels ou d’autres complications chroniques.

Le parcours institutionnel des victimes apparaît également comme une source de souffrance. Beaucoup doivent répéter leur histoire à de multiples interlocuteurs – police, Child Development Unit (CDU), médecins, tribunaux –, ce qui équivaut à revivre leur traumatisme à chaque étape. Le manque de personnel formé, l’absence d’infrastructures adaptées et la lenteur du système judiciaire aggravent la détresse des victimes, qui se sentent souvent ignorées, incomprises ou mal accompagnées.

Le rapport pointe trois grandes failles structurelles : un manque criant de professionnels qualifiés, des infrastructures insuffisantes et inadaptées, et des procédures judiciaires trop longues pour garantir justice et protection. Malgré des avancées telles que la Children’s Act 2020 et l’introduction de la Children’s Court, les sanctions restent parfois trop faibles, la mise en œuvre inégale, et il arrive encore que la victime soit déplacée de son environnement alors que l’agresseur y reste.

Face à ce constat, Pedostop appelle à une action urgente et coordonnée. Le rapport recommande des campagnes d’éducation et de sensibilisation, des programmes de prévention dès la petite enfance, des espaces communautaires sûrs, une meilleure protection dans l’espace numérique et des dispositifs de signalement anonymes via hotlines, SMS ou plateformes en ligne. Il préconise également la mise en place de services centralisés – des one-stop shops – permettant aux victimes de recevoir un soutien psychologique, médical et juridique dans un environnement unique, réduisant ainsi les répétitions traumatisantes.

Pedostop mène déjà plusieurs actions concrètes : les Comfort Bags, offerts aux enfants lors des auditions policières, pour réduire le stress ; les Child-Friendly Rooms, des salles spécialement aménagées dans les postes de police pour accueillir les victimes ; une unité de soutien à Rodrigues, qui accompagne chaque année des enfants, des familles et des communautés ; ainsi que des formations professionnelles destinées aux intervenants de première ligne.

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