Souvenir – Il était une fois «Hollywood»

Le restaurant Hollywood a une riche histoire inconnue du grand public. A l’origine, le restaurant était loué et géré par François Lim, photographe en devenir, mais aussi restaurateur. Selon ses enfants, c’est lui qui introduisit la boisson qui allait faire la réputation du restaurant : le milkshake. Au fil du temps, propriétaire et locataire ne s’entendirent plus et l’affaire se termina au tribunal. François Lim emprunta pour acheter le terrain contigu où il allait créer un autre restaurant. Le sien. Dans les années 1960 du siècle dernier, le centre de Rose-Hill se trouvait à la route Royale avec des bâtiments des deux côtés allant de l’église jusqu’au bazar avec, juste avant, à gauche, le bâtiment en pierre de la poste. Il y avait, au milieu de cette route Royale, le cinéma Hall et son grand terrain qui servaient pour les rassemblements aussi bien politiques, syndicaux que religieux. C’est là que dans les années 1970 eurent lieu tous les grands meetings politiques et syndicaux — un long moment interdits par l’état d’urgence du gouvernement PTr/PMSD —, mais aussi les réunions de prières d’un mouvement religieux chrétien qui devait se faire connaître sous le nom de Mission Salut et Guérison. Vis-à-vis se trouvait le restaurant Hollywood.

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Il était logé dans un bâtiment en bois et tôle à un étage avec un petit grenier. A la gauche du bâtiment se trouvait le magasin de mercerie Eros, où toutes les modistes venaient se fournir en fils, dentelles et autres boutons. A la droite était la tabagie Andrex, un simple couloir, mais c’était le royaume des « piqueurs de pool » de football. Plus tard, une partie du terrain du cinéma Hall sera vendue et un immeuble en dur construit pour abriter, entre autres, le magasin des frères Venpin qui vendaient des instruments de musique et des disques des chanteurs locaux, dont ils étaient également les producteurs. De l’autre côté de la route Royale, à côté de Hollywood en allant vers l’église, se situait le terrain où François Lim allait faire construire un immeuble qui abritera la librairie Le Cygne, de sa fille Mimi, et le studio photographique où il travaillera avec son fils, Philippe. François Lim construira au fond du couloir ce qui devait devenir un restaurant, mais surtout la plus célèbre boîte de nuit de l’île Maurice : Le Magic Lantern. Une boîte de nuit où des orchestres comme le Blue Shadows faisaient danser en « direct live » la jeunesse dorée de l’île jusqu’aux petites heures du matin le dimanche. Sur des musiques que les parents des danseurs, habitués des romances, opérettes et au bel canto, qualifiaient de sauvage. Il se raconte qu’après avoir passé la nuit à danser sur le « Satisfaction » des Stones ou les premiers succès de Santana, certains danseurs sortaient de la boîte de nuit pour aller directement à la première messe du matin, après une halte chez le marchand qui vendait ses poutous chauds juste avant l’église Notre-Dame-de-Lourdes.

Mais revenons au restaurant Hollywood. Selon un de ses anciens gérants, aujourd’hui âgé de plus de 75 ans, le restaurant était bien plus vieux que lui. Ce que confirment d’autres anciens employés embauchés dans les années 1970 et ayant totalisé plus de quarante ans de loyaux services. En tout cas, dans ces années-là, le restaurant Hollywood avait déjà une réputation qui avait dépassé les limites de Rose-Hill. On venait de loin pour déguster ses mines ou riz frit – au homard, s’il vous plaît -, ses sorbets et ses milkshake. Un témoin raconte qu’il fallait faire la queue pour avoir une place au restaurant, qui pouvait pourtant servir vingt tables, dont quelques-unes dans des petites cabines pour plus d’intimité. Cette queue était surtout présente les samedis et les dimanche après-midi, après les séances des trois cinémas de la ville : le Plaza, le Royal et le Hall. Ces séances, que l’on appelait matinées alors qu’elles avaient lieu l’après-midi, et débutaient à 13h30, comprenant trois films, qui étaient la grande distraction de la semaine et dont le point culminant pour les familles aisées était un repas chinois à Hollywood ou, pour celles qui avaient moins de moyens, un sorbet ou un milkshake au même endroit. Le restaurant avait ses habitués qui venaient en semaine boire un fort en discutant de politique, de football, du contenu du journal de l’après-midi ou des prochaines courses au Champ-de-Mars. La clientèle était plus nombreuse les vendredis et les fins de mois après la paye. L’on venait en foule boire un ou plusieurs grogs en mangeant des croquettes ou des wantans frits comme gadjacks.

A côté du restaurant se trouvait donc la tabagie Andrex, ouverte en 1954, et qui vendait plus de « pool » de football que des cigarettes ou des gâteaux coco. A l’époque parier sur les matches de foot joués en Angleterre était pratiquement un sport national à Maurice. Les pools étaient « pîqués » en semaine et il fallait découvrir les résultats des matches en écoutant les résultats en direct sur la BBC, samedi soir, ou imprimés, le dimanche matin, dans les colonnes de Week-End. Le 2 juillet 1977, la tabagie Andrex entra dans la légende des parieurs mauriciens en totalisant 24 points sur les matches de la première division anglaise. Le pari rapporta 136 000 livres — une véritable fortune pour l’époque — à l’association de dix parts, dont le propriétaire de la tabagie avait gardé trois pour lui. Le montant de son gain lui permettra de faire construire un immeuble dans une rue plus loin, mais il continuera à exploiter la tabagie qui lui avait porté bonheur. Ce que fera également son fils, après lui, en se spécialisant dans la vente des billets de loterie, puis des tickets de loto, car, entre-temps, les besoins, les envies et les loisirs avaient évolué. Rose-Hill avait aussi changé visuellement et architecturalement, les immeubles en béton à plusieurs étages et les arcades remplaçant les magasins d’autrefois. Les habitudes alimentaires avaient également évolué et les Mauriciens devenus des amateurs de « fast food » en « take away » que l’on pouvait trouver pratiquement à chaque coin de rue. Autrefois, il fallait aller dans un restaurant chinois pour manger des mines et des boulettes, désormais on pouvait les déguster à même le trottoir et, dans un cas au moins, presque vis-à-vis du restaurant Hollywood.

Et puis le prix de la toise dans le centre-ville atteignit des hauteurs vertigineuses et les courtiers se mirent à la recherche du moindre pouce de terrain disponible. Situé en plein centre-ville, le bâtiment et le terrain abritant le vieux restaurant Hollywood ne pouvait que susciter l’intérêt des promoteurs immobiliers. Le vieux bâtiment en bois et tôle fut acheté pour être démoli et sans doute remplacé par un building moderne à plusieurs étages. Mais comme certains occupants du bâtiment faisaient de la résistance légale, la destruction de Hollywood se fit par étape, comme le montrent les photos illustrant ce texte. Le dernier coup de la démolition du restaurant a été donné par les nouveaux propriétaires pendant le confinement et a fait disparaître un pan de l’histoire de Rose-Hill. Comme dans la dernière séquence d’un film catastrophe made in Hollywood.

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