Suttyhudeo Tengur (APEC) : « Le départ de l’ancien titulaire au Commerce, un bon débarras politique »

Impact de l’augmentation des prix de l’huile : « Le petit consommateur n’aura pas d’autre choix que de subir »

Le président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (APEC), Suttyhudeo Tengur, est d’avis que le départ de l’ancien ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden, est un «bon débarras politique pour le gouvernement». Ce dernier a démissionné de son poste mercredi dernier dans le sillage de l’affaire Kistnen. Pour le président de l’APAC, il incombera maintenant au ministre du Travail, Soodesh Callychurn, qui a hérité du portefeuille du Commerce, de se «débarrasser des proches» de son prédécesseur pour rendre ses lettres de noblesse à la State Trading Coporation.

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Un ancien ministre du Commerce empêtré dans des scandales pendant que des consommateurs paient fort l’impact de la hausse des prix sur des produits essentiels et du coût de la vie dans un contexte économique inédit. Votre opinion?
— Je ne voudrais pas commenter les affaires en cour où le nom de l’ancien ministre est cité. Mais je crois que le public en général a déjà fait son jugement sur lui. Je lui souhaite un bon repos pendant son «congé politique».
Je pense que la hausse du coût de la vie va être dure pour les Mauriciens en général, en attendant une reprise économique qui va créer un nouvel espoir post-Covid-19. Car, entre-temps, ceux qui sont au bas de l’échelle s’appauvrissent davantage, tandis que la classe moyenne a commencé à rétrécir.
Le ministre Soodesh Callychurn compte mettre de l’ordre à la STC après le départ de l’ancien titulaire au poste de ministre du Commerce. Qu’en pensez-vous?
— Le départ de l’ancien titulaire au Commerce est un bon débarras politique pour le gouvernement. Sous son mandat, la STC a même avancé à un soumissionnaire d’offres pour l’acquisition d’équipements médicaux une somme assez conséquente. Dans quel pays, une institution publique fait-elle un tel geste à un opérateur privé? Et cela est unique, et peut faire que Maurice figure dans le Guinness Book of Records!
Et maintenant que le ministre Callychurn envisage de mettre de l’ordre dans cette institution, il aura fort à faire face à l’ampleur des scandales qui ont été dévoilés au grand jour. D’abord, il aura à se débarrasser des proches et autres agents de l’ex-ministre, et ensuite trouver les personnes compétentes nécessaires pour redonner à la STC ses lettres de noblesse. J’espère qu’il réussira et que cette institution sera gérée dans la transparence et la redevabilité.
L’huile comestible augmente de 10 à 18 %. Quels sont les produits alimentaires qui seront directement affectés par cette hausse des prix, et ce dans les jours qui viennent?
— Cette hausse du prix de l’huile comestible aura une incidence directe sur tout ce qui touche à l’alimentation, à commencer par notre dholl puri, nos gâteaux piments, nos pâtés et feuilletés en passant par les mines. Pour l’heure, je ne peux dire par combien augmenteront les prix des aliments dont la préparation nécessite l’utilisation d’huile. Mais il est certain qu’un mariage hindou, par exemple, coûtera encore plus cher aux familles. Cette augmentation touchera aussi directement la poche du petit consommateur, lequel n’aura pas d’autre choix que de subir.
Je comprends le souci du gouvernement de protéger une industrie locale et d’assurer la protection d’emplois, mais dans la présente conjoncture, l’Etat aurait dû agir avec beaucoup plus de circonspection et trouver une solution du juste milieu afin de ne pas pénaliser la majorité des Mauriciens, rien que pour encourager une situation de monopole. Cette décision de l’Etat va aussi à l’encontre des engagements pris à l’adhésion du pays à l’Organisation mondiale du Commerce concernant la libéralisation du commerce international. Le pays adopte une politique protectionniste qui est va à l’encontre de la promotion du commerce régional surtout avec les membres du COMESA dont l’île Maurice est partie prenante. Donc, la décision du gouvernement d’imposer cette taxe profitera directement à Moroil. Par ailleurs, je me demande toujours pourquoi le quantum de 10 à 18 %.
La position de Moroil comme monopole lui est plutôt confortable. Un marché de 1,3 million de consommateurs ne devrait-il pas faire de la place pour favoriser des conditions de concurrence équitables?
— Moroil a toujours été dans une position des plus confortables, même si les produits de base servant à la production de l’huile comestible ont subi des hausses durant ces cinquante dernières années, hausses qui ont toujours été passées aux consommateurs. Toutefois, il y avait à l’époque une certaine concurrence avec un autre producteur d’huile comestible, mais qui a fini par mettre la clé sous le paillasson, étant avalé par un plus gros requin.
Mais, aujourd’hui, avec une situation économique difficile à cause de la Covid-19, le consommateur est pressé de tous les côtés par les hausses des prix, notamment le riz basmati, les médicaments… Et cette taxe qui sera prélevée le 22 de ce mois sera encore un coup de massue pour le consommateur mauricien. Dans un contexte où un article de consommation de première nécessité, l’huile comestible, est taxé dans la fourchette de 10 à 18%, le gouvernement aurait dû favoriser la compétition en incitant la STC d’importer de l’huile afin d’assurer aux Mauriciens une certaine protection. Or, le gouvernement fait exactement le contraire et impose cette taxe à partir du 22 de ce mois sur l’huile importée des pays du COMESA, entre autres, de l’Egypte, pour protéger une industrie locale qui détient un monopole depuis cinquante années. Avec une telle situation, on nage en pleine confusion.
Vous qui êtes syndicaliste de longue date et qui avez toujours observé et commenté l’actualité, quelle est votre analyse du climat social en ce moment?
— Le climat social actuel n’est pas clair et prête à confusion. A cause du nombre de crimes et de vols perpétrés en ce moment, c’est la sécurité du citoyen qui est menacée. Je ne vais pas jusqu’à dire qu’il y a un breakdown de l’ordre et la paix publics. Mais si les autorités n’agissent pas avec rigueur et fermeté envers la population, la situation risque de déraper. Il faut un dialogue constant entre les autorités et les organisations sociales pour remonter la pente. Il est aussi impératif que les parents et les chefs de famille assument pleinement leurs responsabilités.
Avez-vous participé à la marche citoyenne de l’opposition, hier?
— Etant pris par mes engagements professionnels et personnels, je n’ai pu le faire. Au siège de notre association, il y a un service de «credit union», et le samedi c’est le jour où je reçois des demandeurs d’emprunts, dont des enseignants. Mais j’étais à la manifestation en esprit. Vous savez, dans une société démocratique, lorsqu’il y a des revendications sociales, tout citoyen se doit de donner un coup de main…
Vous communiquez peu sur l’éducation. Est-ce parce que pour vous le système fonctionne bien sous la réforme 9-Year Basic Continuous Education ou pour d’autres raisons?
— Pourquoi communiquer quand il n’y a pas d’«issues» et que le ministère de l’Education lui-même ne communique pas? Quand on consulte son site, il n’y a rien de nouveau ou qui ferait débat. Disons que le projet 9-Year Schooling a relativement bien démarré. Il n’y a pas eu de fausses notes jusqu’ici, et il n’y a plus de ce qu’on appelait le «rat race». Valeur du jour, le premier grand test pour ce projet sera la tenue des examens de Grade 9, cette année. A partir de ces examens, l’on pourra faire une évaluation de ce système et trouver les failles, s’il y en a, et apporter des mesures correctives nécessaires. Je ne prétends pas que ce projet soit parfait, mais attendons voir. Ceci dit, je ne reste pas loin de l’éducation.
Mais, en parlant de réforme, adhérez-vous à la forme des académies selon le mode présenté aux recteurs des collèges et qui ne seront pas des centres d’excellence spécialisés?
— Les collèges manquent de places pour être transformés en académies. Ecoutez, à un certain niveau, il faut qu’il y ait compétition pour déceler les doués ou surdoués et autres catégories qui devront être canalisées dans différentes filières. Certes, il n’y aura peut-être pas assez de places pour ceux qui opteront pour des «académies» en fonction de leurs performances. Mais je pense qu’il faudra impérativement augmenter le nombre de classes afin de créer un better level playing field où nos enfants pourront mieux évoluer et s’affirmer sur le plan intellectuel.

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