Vincent Degert (ambassadeur de l’UE) : « L’aide au développement est toujours remise en question »

En 35 ans, l’UE a déjà déboursé plus de 265 millions d’euros pour le développement des États membres de la Commission de l’océan Indien (COI). Mais si plusieurs projets ont pu être réalisés par rapport aux objectifs durables, ce financement des contribuables européens est malheureusement remis en question, notamment du fait de la COVID-19, qui a sérieusement impacté l’économie européenne. Pour Vincent Degert, ambassadeur de l’UE auprès de Maurice et des Seychelles, estime ainsi dans l’entretien qui suit qu’il faut s’interroger sur l’impact de ces financements et sur les facteurs qui changent dans la donne, car, dit-il, « nous sommes aujourd’hui dans une période où l’argent public est de plus en plus rare ».

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Les relations entre l’Union européenne (UE) et la Commission de l’océan Indien (COI) durent depuis plus de 35 ans. À ce jour, l’on parle de plus de 265 millions d’euros d’investissements dans les États membres de la COI. Les résultats de ces investissements sont-ils satisfaisants ?
Je crois que c’est satisfaisant dans le sens où c’est un partenariat de 35 ans pendant lesquels effectivement 265 millions d’euros ont été investis. Une multitude de projets a été mise en place et ceux-ci ont donné, en général, de bons résultats. Dans la plupart des cas, nous avons vu des progrès par rapport aux objectifs soutenables. L’un des défis, c’est de donner un nouvel élan à tout cela. L’important, c’est que ce ne sont pas des projets d’un jour, mais des projets de toujours, pour qu’ils aient une durabilité dans le temps et que les populations locales se rendent compte ce que cela apporte au niveau de leur quotidien. Est-ce que réellement le citoyen mauricien, seychellois ou malgache sait vraiment que l’existence de la COI lui change la vie ou pas ? C’est la question. Je pense que nous avons un déficit d’explications et de communication par rapport à ce qui est fait.
Il y a une vraie question politique qui se pose, en l’occurrence de savoir ce que les pays de la COI veulent faire de cette commission… Qu’est-ce qu’ils en ont fait jusqu’à ce jour et qu’est-ce qu’ils comptent en faire demain ? Est-ce que nous souhaitons accompagner ce processus ? Il faut qu’on connaisse les axes stratégiques, les objectifs qui sont déterminés et les moyens dont les pays eux-mêmes consacreront pour que nous puissions déterminer si nous continuons dans la même voie. Je crois qu’on devra le faire car il y a des thèmes vraiment importants, comme la sécurité maritime, la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire. Nous l’avons bien vu avec la crise de la COVID. Chaque pays, avec des moyens limités, a besoin de mutualiser ses moyens pour être fort ensemble et gérer ses défis demain.

Est-ce qu’il y a un engagement des gouvernements des îles pour faire reconnaître la COI ?
Au mois de mars dernier, les pays avaient décidé de passer une étape majeure : celle d’une réforme institutionnelle pour impliquer les chefs d’État et de gouvernement à s’impliquer dans le processus décisionnel stratégique de la COI. Cela visait aussi à impliquer les ministères sectoriels dans ce processus. Il faut que les Parlements ratifient ce changement. On attend aussi de voir s’il y a aura réellement un engagement de chaque pays pour ratifier cette première étape. Les Comores l’ont déjà fait, et c’est tant mieux. J’espère que les quatre autres le feront aussi rapidement pour marquer leur engagement vers cette nouvelle direction.
On espère qu’on pourra avancer sur toutes les thématiques qui sont, pour moi, essentielles. Le changement climatique est la thématique qui englobe pratiquement tout, et toutes les îles sont impactées par le changement climatique. Je crois que la solidarité entre les îles est plus que jamais nécessaire. Les gouvernements doivent porter leur voix au niveau international. On est plus fort lorsqu’on est plusieurs à porter le même message, avec la même force, et qu’on peut montrer dans l’océan Indien qu’on est conscient du danger et qu’on veut agir par rapport à ces dangers. Qu’on mette en place des politiques, mais qu’on interpelle aussi les grands pollueurs internationaux par rapport aux dégâts qu’ils occasionnent.

Nous parlons aussi de l’attente des contribuables à ces investissements et du besoin d’afficher des résultats. Peut-on avoir une révision des dons financiers de l’UE à un moment où l’Europe est frappée par la COVID-19 ?
C’est clair. On est aujourd’hui dans une période où l’argent public est de plus en plus rare. Avec la crise sanitaire, tout le monde a été très impacté. L’aide au développement est toujours remise en question, et à juste titre quelque part. Je crois qu’il faut s’interroger sur l’impact de tous ces financements et sur ce qui change dans la donne. Je dirai que Maurice et les Seychelles sont des “Success Stories” en termes de développement économique. Mais nous voyons qu’il y a une fragilité énorme avec la crise de la COVID. Nous voyons bien la dépendance de ces économies vis-à-vis de l’extérieur, du commerce avec l’extérieur, de la situation sanitaire, du tourisme et des services en général, les services financiers aussi.
Il y a des fragilités très fortes de ces territoires. Et puis il a des défis énormes de la gestion de toutes les ressources maritimes. Comme je le dis toujours, petits pays et géants maritimes en même temps. Comment gérer cette contradiction quand on est un petit pays avec des moyens relativement limités ? Évidemment, la solution passe par plus de coopération, plus de partage pour être ensemble et gérer ces grands défis.

On parle beaucoup de l’économie bleue, mais nous ne voyons pas autant de progrès à Maurice…
L’économie bleue, c’est de bien gérer à la fois la pression économique et l’utilisation et l’exploitation raisonnable des ressources. On en voit avec la pêche. Est-ce qu’on fait une exploitation raisonnable des ressources ou pas ? Est-ce qu’on maîtrise bien l’évaluation de ces ressources avec la protection de la biodiversité ? C’est un peu la tension entre ces deux impératifs. Les Seychelles ont décidé d’attribuer 30% de leur territoire comme étant des zones réservées, où il n’y a pas d’activités possibles, et ce, pour préserver cette biodiversité dans ces territoires. Est-ce que Maurice ou d’autres veulent rentrer dans cette même logique ? Il y a un partage d’expérience qui peut être fait. Il faut faire de l’exploitation de manière intelligente sans mettre en péril les ressources.

Quelles sont les leçons que nous pouvons retenir de l’échouage du MV Wakashio ?
Il y a une enquête en cours. Nous ne savons pas ce qu’elle déterminera. Mais je pense qu’il y a une série de défaillances à la fois humaines et techniques qui sont apparues dans ce contexte. Je le dis très honnêtement en faisant référence à nos propres programmes, puisque nous avons mis en place des outils de “monitoring” du trafic maritime. La question est de savoir comment concilier les grands objectifs régionaux. On met en place des outils régionaux qui sont censés être compétents et organisés avec la responsabilité nationale de gérer la zone. Il faut que cela entre dans les eaux territoriales. C’est directement la responsabilité de l’État mauricien…
Comment faire que cette rencontre d’informations et de compétences existe au niveau régional avec les responsabilités nationales ? Est-ce que nous devons aller vers plus de mise en commun pour avoir des corridors pour le trafic des navires afin qu’ils ne se rapprochent pas trop des côtes ? Et s’ils le font, il faut un système de détection efficace permettant d’intervenir pour éviter ces échouages dramatiques et leurs conséquences. Nous avons organisé une simulation à Madagascar d’un incident de ce type il y a huit mois. Et huit mois plus tard, nous avons eu un incident. Nous n’avons pas tiré les leçons suffisamment et il fallait avoir du matériel. Il y a un problème au niveau de la prévention et de la gestion des incidents. Il faut faire une analyse à froid pour voir ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné afin d’éviter cette sorte de drames.

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