Vivre et grandir à l’ombre du trafic de drogue : Cette autre réalité mauricienne

Cela fait approximativement 45 ans depuis que le trafic du brown sugar existe à Maurice. Près d’un demi-siècle depuis que certaines régions évoluent à l’ombre de trafic qui a impacté sur la vie des populations concernées dans différentes parties du pays surtout dans les quartiers populaires. De la fin des années 70 à ce jour la drogue s’est incrustée dans la réalité et le quotidien de ces populations dans l’indifférence généralisée. Toute une culture a émergé autour du trafic avec la banalisation du produits et de ses conséquences : dépendance, pauvreté, violence, abus, etc.  Pour beaucoup des concernés, le trafic et la consommation font partie de la vie .Dans ces régions, on ne s’indigne plus de la situation, on vit avec en apprenant très tôt les rouages comme trafiquants ou consommateurs. Certes plusieurs s’en échappent, mais sont contraints de s’adapter au voisinage. Ici, nous en sommes à une situation où dans certaines maisons, ce sont les mères qui apprennent leurs enfants à trafiquer.

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6h30 dans un quartier du nord. Un petit groupe de personnes attend, assis sur le trottoir. Les regards sont tournés vers la croisée à quelques mètres d’eux. Ils attendent le livreur. Ailleurs, les consommateurs vont s’acheter du pain. Ici le groupe est venu pour ces petites parcelles de drogue rapidement achetées et distribuées. Aussitôt après tous se mettent en retrait pour leurs premières injections avant de s’en aller, le regard hagard, pour entamer la journée qui sera principalement dédiée à la prise de drogues.

Cela fait de très longues années depuis que cette scène n’interpelle plus ici. Et tous sont au courant du manège. D’ailleurs, dans le groupe des consommateurs il y a des pères, des mères, des enfants, des proches, des amis dont la dépendance ne fait plus jaser. Cela fait bien deux ou trois générations que cela se passe ainsi. Pour des jeunes qui ont toujours vécu cette réalité le message de prévention est obsolète. Nombreux sont-ils à succomber tôt à la tentation en répétant des gestes vécus chez eux

Ici, trafic et consommation se font presque au clair. Tout le mouvement qui se poursuivra autour du trafic dans la journée et jusqu’en soirée n’interpelle plus. Bagarres, prostitution, abus, descentes policières, décès, etc. c’est ainsi que va la vie dans cette partie du pays, non loin de la capitale.

On ne s’étonne plus du nombre d’usagers qui ne cessent de croître année après année. La relève des trafiquants se fait aussi dans le quartier. De nombreux jeunes ambitionnant de devenir des petits caïds à leurs tours pour profiter de la gloire et d’un train de vie qui fait rêver. Dans ces quartiers où l’exclusion est une évidence : “Il y a aujourd’hui des mères qui apprennent à leurs enfants à devenir trafiquants.” Aucune honte autour de cette activité. Bien au contraire, certains y tirent même une gloire et se posent en role models pour les plus jeunes. Si le trafic prospère, c’est souvent parce que le quartier aussi y trouve son compte. Plusieurs personnes travaillent pour les trafiquants comme guetteurs, livreurs ou encore pour garder la drogue, entre autres. Souvent, ce sont des enfants qui s’occupent de donner l’alerte quand débarque la police.

“Kouma dir pe al aste gato dan la boutik.”

La scène décrite pas haut peut être transposée dans plusieurs autres régions. Nathalie, 18 ans, habitante du centre du pays, confie que plusieurs “boss” se partagent le marché de la drogue dans son quartier. “Les transactions se font devant nos yeux régulièrement, que ce soit devant la porte des vendeurs ou dans les coins de rue. Ils ne font même pas attention aux passants ni aux rondes policières. Les transactions se font même à proximité du poste police.” Dans le quartier de Lutchmee, aussi la circulation de la drogue est complètement banalisée. “Kouma dir pe al aste gato dan la boutik. Tou dimoun kone ki p pase.”  Une situation qu’elle a toujours connue. Jonas, 25 ans, explique : “C’est normal de voir des gens se faire des injections dans la croisée ou ailleurs. D’autres consomment des sirops et d’autres produits. Depuis quelque temps on en voit beaucoup avec des effets de la drogue synthétique.” Une description que nous fait aussi Corinne, 17 ans, qui habite le centre et qui voit de plus en plus “de jeunes qui s’asseyent ensemble pour prendre de la drogue synthétique.” Elle confie aussi surprendre des personnes s’injecter de la drogue sur des terrains vagues. Il n’est pas rare qu’elle retrouve des seringues dans sa cour.

Un témoin de la capitale explique : “Honnêtement, cela ne me concerne pas. J’évite seulement de fréquenter ces personnes-là.” Sudesh, 36 ans, habitant du nord témoigne : “Depuis que je suis enfant je suis témoin de ça. Cela ne me choque plus. Tant qu’ils laissent les habitants tranquilles, ils peuvent faire ce qu’ils veulent.” “Personne ne dit rien, ils ont appris à vivre avec çà”, dit Corinne.

“‘Tipti zanfan pe vann simik dan sime.’”

Dans le quartier de Corinne, le phénomène du rajeunissement de la consommation et de la vente de drogue est observée. “Nous connaissons plusieurs enfants qui vendent de la drogue sur la route. Ce sont leurs parents qui les envoient.” De le même manière, Ritesh, issu d’un village de l’ouest, confie aussi observer des parents incitant leurs enfants à faire des livraisons pour eux. Il en est de même chez Lutchmee. “Je rencontre des adolescents de 12/13 ans qui se droguent. Ça me rend triste. Si la drogue n’était pas présente dans le quartier depuis tout ce temps, ces gamins-là n’auraient jamais connu cette vie.”

Nathalie a constaté avec regret et tristesse que plusieurs de ses amis d’enfance sont devenus consommateurs ou revendeurs, voire les deux en même temps. Dans son quartier, presque toute les familles sont touchées d’une manière ou d’une autre. “Je suis très en colère. Ils détruisent la vie d’autres enfants comme les aînés l’ont fait avant.” Cette dernière confie voir des transactions de drogue tellement souvent qu’elle a fini par en connaître les rouages. “Je sais aujourd’hui distinguer ceux qui viennent acheter du brown sugar et ceux qui prennent de la drogue synthétique. Ce sont des gens que je vois très souvent dans le quartier, j’arrive à les reconnaitre.” Elle confie aussi qu’elle peut distinguer les consommateurs rien qu’en les observant.

Sentiment d’insécurité.

Le trafic de drogue amène souvent avec elle le sentiment d’insécurité dans les quartiers où il est présent. Corinne vit dans une crainte permanente. “À cause de la drogue, il y a beaucoup de violence dans mon quartier. Des gens sont attaqués dans la rue parfois, on leur vole leur argent ou leurs téléphones. Il arrive également souvent que des maisons soient dévalisées. Mon voisinage et ma famille vivons dans la crainte et cela a toujours été ainsi.” Jonas, 25 ans, confie avoir déjà été victime d’une agression en pleine rue non-loin de sa maison. “C’est chose commune ici, non seulement me suis-je déjà fait agressé mais j’ai été tellement souvent témoin d’agressions sur d’autres personnes. C’est très frustrant.”

Par ailleurs, pour Nathalie et son voisinage, les violentes disputes et les bagarres en pleine rue ne surprennent plus. “Mo trouv sa telman souvan, bann zoke la manz zot bann prop bos. Lerla gro lager leve. Le problème est que, des innocents peuvent se retrouvés blessés s’ils se retrouvent au milieu des bagarres.” Certains habitants, habités par la peur, soutiennent que même la police a peur d’avoir maille à partir avec les vendeurs de drogues. “Les policiers ont peur d’appréhender les dealers. S’ils viennent, c’est uniquement en grand nombre et quand ils sont certains de trouver de la drogue chez quelqu’un. Sinon, ils ont peur.”

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