28 NOVEMBRE 1987: Il y a 25 ans le mystérieux crash de l’Helderberg 295 de la SAA

Il y a 25 ans jour pour jour, la population mauricienne se réveillait pour apprendre l’une des plus tragiques nouvelles de l’histoire de l’aviation civile dans la région : le crash d’un avion de la South African Airways (SAA) au large des côtes mauriciennes au matin du 28 novembre 1987. Si l’on excepte les familles des deux victimes mauriciennes qui se trouvaient à bord, le souvenir de ce drame semble s’être estompé dans la mémoire collective locale. En revanche il continue de susciter nombre d’interrogations en Afrique du Sud (voir plus loin). Un quart de siècle après, force est de constater que le crash du Helderberg 295 de la SAA demeure un épais mystère.
Le 27 novembre 1987 à 14 h 23 le vol Helderberg 295, un Boeing 747-244B Combi de la SAA, décolle de l’aéroport de Taipeh, à Taïwan. À son bord 140 passagers, 19 membres d’équipage et 28 tonnes de cargo. Il fait route vers Maurice, où il doit faire escale, avant de poursuivre vers sa destination, Johannesburg. Il est initialement prévu à 03 h 30, mais Plaisance signale qu’il a une heure de retard. Il est 2 h 45 le 28 novembre lorsque l’Air Traffic Control (ATC) de Plaisance entre en état d’alerte. L’avion est alors à 72 miles nautiques de Maurice. « There is smoke in the cockpit », indique le commandant, Dawie Uys. Puis la communication avec Plaisance est coupée. À 03 h 05, un message est capté. Bref et dramatique : « Fire. Request for emergency landing ». Le commandant demande l’autorisation de descendre à 5 000 pieds d’altitude. Plaisance répond par l’affirmative et indique que deux pistes, les Nos. 13 et 14, sont ouvertes pour un atterrissage d’urgence. Le commandant choisit la piste 14. Puis plus rien. Un silence effroyable qui laisse présager le pire.
À 04 h 03 la communication est enfin rétablie mais pour recevoir un appel de détresse. C’est la panique à bord. Une voix lance : « We are going do die. » L’on apprendra plus tard qu’elle était celle de l’ingénieur de bord, Joe Bellagarda. L’avion se trouve alors à 65 miles nautiques. Parallèlement, Dawie Uys a contacté l’aéroport Jan Smuts à Johannesburg via la radio ZUR de la SAA qui contrôle les déplacements de ses avions à travers le monde. Trois minutes plus tard, l’Helderberg 295 plonge dans l’océan Indien à environ 135 milles nautiques au nord-est de Maurice, tuant toutes les 159 personnes à bord. Il lui restait moins de trente minutes de vol pour atteindre Plaisance…
Alerte
Le directeur de l’Aviation civile, Mohunlall Baguant, le représentant de la SAA à Maurice, Edouard Nairac, ainsi que le PDG d’Air Mauritius, Harry Tirvengadum, sont alertés. Un comité de crise est institué. Des messages sont envoyés au Port et à la Météo. Bhinod Bacha, Secrétaire permanent au PMO, informe le Premier ministre, Anerood Jugnauth. L’opération Search and Rescue est déclenchée à 5 h 30. Un Twin Otter et les deux hélicoptères de la police sont envoyés en vol de reconnaissance dans le périmètre de la dernière position donnée, soit à un point situé à 65,6 miles nautiques au nord-est de Maurice. Via l’ambassade de France, l’état-major militaire interarmées basé à la Réunion est averti.
À 7 h, un Transall de l’armée de l’air française quitte La Réunion pour participer aux recherches. Le remorqueur S.S. Ramgoolam quite la rade de Port-Louis, suivi du MNS Amar. À l’ambassade de France une cellule de crise est instituée. Le navire militaire La Grandière quitte la Réunion en direction de la zone du crash.
Il est 9 h lorsqu’à la requête de la police, trois bateaux de pêche, les Corsaires 2 et 4 et le Malibu prennent également le large. Au même moment, la nouvelle est rendue publique via un communiqué diffusé sur la MBC Radio. Toute l’île est en émoi, d’autant que l’on croit savoir que des passagers mauriciens s’y trouvaient. Les consignes de la SAA-Johannesburg sont de ne faire aucune déclaration à ce stade. Idem aux Casernes centrales. La presse est priée de se reporter au communiqué émis à 9 h.
Le ministre de la Santé, Jugdish Goburdhun, anime un briefing à Candos. Tous les médecins sont mobilisés au cas où il y aurait des survivants. L’hôpital du Nord, établissement le plus rapproché de la zone du sinistre et possédant une aire d’atterrissage sur un terrain de foot, prend toutes les dispositions.
Toujours aucune confirmation de la liste des passagers. Un inquiétant mutisme est exercé. La liste est finalement rendue publique à Taipeh samedi après-midi à 14 h (10 h à Maurice), mais les autorités décident qu’elle ne sera communiquée qu’après avoir averti les familles. Entretemps un Orion a décollé de la base de Diego Garcia avec 12 militaires à bord ; un avion quitte pratiquement au même moment l’aéroport de Perth.
Mutisme
Les agences de presse ne cessent de téléphoner. Une équipe de journalistes du Sunday Times d’Afrique du Sud, venue la veille couvrir la Marlin Cup à La Pirogue, est sur place à l’aéroport. Le premier télex de la SAA tombe vers 10 h, suivi d’un deuxième qui confirme le crash sans toutefois donner la liste des victimes et les circonstances de l’accident. D’autres dépêches d’ailleurs tombent un peu plus tard, dont l’une du Japon qui apprend que 40 Japonais se trouvaient sur l’avion. L’embargo sur l’information maintenu par la SAA-Jo’burg vole en éclats. L’on apprend qu’il y a des victimes mauriciennes. Elles sont Mammad Farook Rostom, un commerçant de Rte des Pamplemousses, Port-Louis, âgé de 28 ans, et Huang Cheong (Ah Ko), un des propriétaires et directeur de First Knitters Factory. De folles rumeurs courent dans tout le pays. L’on signale des épaves à Belle-Mare, au Morne et ailleurs…
Rumeurs
14 h : conférence de presse de la cellule de crise. Rien de nouveau sinon qu’un Airbus arriverait vers 16 h d’Afrique du Sud avec à son bord des spécialistes du sauvetage en mer, des officiels du gouvernement et des journalistes. Sur la piste de Plaisance, le vrombissement du Transall revenu faire le plein se fait entendre. Dans les milieux de l’Aviation Civile les discussions sont controversées ; l’hypothèse d’une bombe sur l’avion est écartée, le pilote ayant parlé de la présence de fumée dans le cockpit. La défaillance technique semble plus probable. Toutefois, l’urgence de mener à bien les opérations de recherche demeure la priorité de l’instant. On avisera plus tard. Vers 15 h, l’espoir de retrouver d’éventuels rescapés s’amenuise.
16 h 58 : un message enfin. Un Beachcraft de la compagnie Inter Thon basé aux Seychelles qui s’est rendu sur les lieux signale au Rescue Co-ordination Centre le repérage de débris et d’un canot pneumatique sans aucun rescapé à bord au point 19°04 S et 59°36 E.
17 h 05 : un avion dépêché par la SAA, le Rescue 561, signifie son intention d’aller directement sur la “air crash area” sans atterrir à Maurice.
17 h 45 : le MNS Amar reçoit l’ordre de récupérer tout débris rencontré sur sa route vers le point de crash.
18 h : le Transall annonce qu’il ne peut certifier la disparition de tous les passagers, n’ayant repéré qu’un toboggan, un tank de kérosène et des bagages. 18 h 45 : la nuit est tombée sur la mer ; le Beachcraft rentre à Gillot. L’Orion de la base de Diego Garcia cesse les recherches, qu’il compte reprendre le lendemain matin. Le Transall en fait de même à 19 h. Entretemps, un navire cargo battant pavillon panaméen, l’ALS Confidence, a été détourné de sa route et se dirige vers la zone du sinistre. Il devrait arriver sur les lieux tôt le lendemain matin. Mais c’est le remorqueur SSR, parti du port au matin, qui atteint le premier le point d’impact tard dans la soirée.
Les recherches dans la zone reprendront le lendemain. L’ALS Confidence arrive rejoint par le La Grandière. Trois premiers cadavres, et plus tard un quatrième, sont repêchés.
Bombe
Dans les salles de rédaction de l’île, la nuit a été longue. Week-End du dimanche 29 annonce en Une qu’il n’y a aucun survivant, et publie des photos de Farook Rostom. La parole est donnée à un ancien pilote d’Air France à la retraite. « C’est impensable que le feu ait pris dans le poste de pilotage, c’est extrêmement rare », déclare Willy Rocker. Un encart évoque une alerte à la bombe à Taipeh.
Au matin du lundi 30, neuf cadavres ont été repêchés. Leur arrivée dans le port, sur le remorqueur SSR, tôt le matin, est un moment d’intense tristesse. Enfermés dans des sacs en plastique, les corps sont alignés sur le quai. L’opération est supervisée par les ACP André Feillafé et Régis Barbeau, en présence du ministre de la Santé, de Bhinod Bacha et du Dr Chunoo, Region Health Director du Nord.
À Plaisance, deux hélicoptères Pumas sont débarqués et assemblés sur place. L’on apprend qu’un morceau d’aile a été retrouvé. Le PRO de la SAA, Gert Van der Veer, estime qu’« il y a vraisemblablement eu une explosion à bord ». Avant d’annoncer plus tard : « Nous ne recherchons plus de survivants. »
Au Parlement qui siège ce matin-là, une minute de silence est observée. Anerood Jugnauth, le Premier ministre, fait une déclaration : selon la Convention internationale de l’Aviation, l’accident s’étant produit en dehors des eaux territoriales de Maurice, il revient à l’Afrique du Sud, où le Combi est enregistré, de prendre la responsabilité des suites de l’accident.
De fait, le gouvernement de ce pays a dépêché à Maurice Albert Warnich du Foreign Affairs Dept. Arrivé durant le week-end, il agit comme agent de liaison entre les autorités mauriciennes et sud-africaines. L’on apprend qu’une copie de la cassette des échanges entre Dawie Uys et l’ATC de Plaisance est déjà parvenue au siège de la SAA à Johannesburg.
Visite non désirée
Le 1er décembre, Warnich annonce la visite de Pik Botha, ministre des Affaires étrangères sud-africain, la première d’un représentant du gouvernement d’apartheid. Le leader de l’Opposition est outré mais accepte “under protest” pour raisons humanitaires à l’égard des familles : « D’accord mais que Botha se tienne à l’écart ! » déclare Prem Nababsing.
2 décembre : les familles des victimes japonaises et taïwanaises arrivent à Maurice. L’émotion dans l’île est à son comble. Les premières autopsies sont pratiquées par les médecins légistes, le Dr Mohungroo, PPMO et le Dr Sohun, PMO, assisté de quatre experts Forensic sud-africains. Le Dr Chunoo déclare à la télé et à la presse que selon ses observations faites sur les cadavres, il y a bel et bien eu explosion. Un journal sud-africain parle pour sa part de « massive explosion that must have ripped the plane » et de fragments de métaux dans les corps et de dioxyde de carbone dans les poumons. Au port, le La Grandière ramène un morceau d’aile, une valise et un biberon, selon les indications probablement celui du bébé Ackerman, un frigo et des extincteurs.
3 décembre : un Memorial Flight à la zone sinistrée est organisé pour les familles japonaises des victimes.
4 décembre : des plongeurs de longue expérience ayant participé aux recherches, MM. Sevatian et Gontran, déclarent, dans des récits insoutenables, que les cadavres étaient déchiquetés. Et sont catégoriques : « Les requins n’y sont pour rien dans ce carnage. » Le rapport d’autopsie est remis aux autorités sud-africaines.
Boycott
5 décembre : Pik Botha et Eli Louw, ministre du Transport et 208 parents de victimes, dont l’épouse de Dawie Uys et ses enfants, arrivent dans l’île. L’avion a survolé le lieu de l’accident avant d’atterrir. Aucun représentant gouvernemental ne se déplace à Plaisance pour accueillir les officiels du gouvernement d’apartheid, sauf un fonctionnaire des Affaires étrangères et Harry Tirvengadum, entre autres. Le leader de l’Opposition accuse l’Afrique du Sud de vouloir tirer un capital politique du drame et d’en profiter pour se rendre en visite “officielle” chez nous. SAJ les recevra à sa résidence privée et non à son bureau de PM.
Une cérémonie oecuménique est prévue à l’Université de Maurice réunissant les familles mauriciennes, sud-africaines, japonaises, taïwanaises et sud-coréennes, entre autres. Les chancelleries de l’Inde et de l’Union soviétique boycottent la cérémonie. Gert Van der Veer présente les excuses de la SAA aux proches des victimes. Des familles réclament l’érection d’un monument. Des parents taïwanais arrivés en retard protestent par un sit-in contre le manque de dispositions de la SAA.
Cinq jours après le crash, des campeurs sur l’île Plate affirment au Mauricien avoir « vu un grand éclairage » et « entendu un bruit assourdissant pareil à une déflagration ». Un autre parle d’« une boule de feu de quatre pieds de diamètre » qui a disparu derrière l’île Ronde.
Polémique
7 décembre : polémique en Afrique du Sud, des pilotes de la SAA contestent une déclaration de Van der Veer à l’effet que les cassettes des contacts établis entre Plaisance et Uys étaient « impounded » et désormais « subjudice to the commission of Enquiry », soulignant que celle-ci ne tombe pas sous la juridiction d’une cour de justice. Ils sont d’avis que le refus des autorités de rendre publics les enregistrements encouragent la spéculation autour du drame. On annonce que 13 corps mutilés et brûlés ont été retrouvés mais pas les boîtes noires.
9 décembre : déclaration inquiétante de François Louw, PRO de la SAA : « We are going back to see if the manifest correlates as to what was loaded on the aircraft. »
12 décembre : une équipe de la US Navy (dont des experts ayant travaillé sur la récupération de la navette Challenger en 1986) prête main forte aux autorités sud-africaines pour retrouver les boîtes noires, dont un navire de recherches océanographiques allemand, le Sonne. Les boîtes noires du Combi peuvent émettre des signaux jusqu’à une limite de 40 jours.
Commission d’enquête
14 décembre : une commission d’enquête présidée par le Juge Cecil Margo est constituée. Il a pour assesseurs des représentants de Maurice en la personne du Juge Harrylall Goburdhun, du Japon, des États-Unis, de Grande-Bretagne et de Taïwan. Ses recommandations seront sans appel. En l’absence de boîtes noires, elle travaillera à partir des enregistrements des contacts entre le pilote, le commandant Uys et Plaisance-ATC, les rapports d’autopsie, notamment.
15 décembre : le journal télévisé sud-africain annonce que de faibles signaux sonores ont été détectés à 136 milles nautiques et 4 000 m de profondeur.
Le 20 décembre, des débris sont retrouvés au large de la Réunion. Vingt-trois jours après le crash, les navires quittent les lieux de l’accident.
29 décembre : le Wolraad Woltemade perd le “pinger locator” qui devait enregistrer les signaux émis par les boîtes noires. Les recherches ont couvert jusqu’ici 1 000 m2 nautiques et la “prime search area” de 210 miles m2 nautiques et se poursuivent jusqu’au 31 décembre. La porte-parole du Search Operation Centre quitte Maurice définitivement. Une deuxième phase est prévue au début de l’année suivante. Les boîtes noires, abîmées, n’ont jamais livré leur secret.

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