Abe ki to ete twa ?

Vue cette semaine à l’île de La Réunion, sur les présentoirs des nouvelles cartes postales vantant les charmes de l’île, aux côtés de magnifiques images du volcan ou du Piton des Neiges, cette carte que nous reproduisons ici. Figurant une main ouverte, elle porte, à chaque doigt, les mots Malbar (pour les Réunionnais d’origine indienne) Zarab (pour les musulmans), Chinois, Yab (nom qui désigne les « petits bancs des hauts » de l’île), Kaf (pour les descendants d’esclaves), Malgash, Zorey (ceux venus de France métropolitaine), Métis. Et au centre de cette main, la forme de l’île de la Réunion, avec l’inscription Kréol.

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Une représentation qui nous interpelle alors qu’à Maurice nous débattons actuellement d’une réforme électorale, la première depuis l’indépendance il y a 50 ans, réforme dont un des piliers concerne le maintien, ou non, de la représentation ethnique. Et l’obligation faite, dans la Constitution du pays, à tout candidat aux élections législatives de déclarer son appartenance ethnique selon les quatre catégories officiellement établies.

On a longtemps argumenté sur le côté discutable de ces catégorisations, certaines basées sur l’origine géographique (Indo et Sino-Mauriciens), une autre supposément sur la religion (musulmans) et la quatrième, cette fameuse Population générale, catégorie fourre-tout regroupant tous ceux métissés d’une façon ou d’une autre. Alors que ceux qui se désignent comme Créoles dans l’acception de descendants d’esclaves africains ne sont pas spécifiquement représentés. Mais pendant toutes ces années, l’attitude générale aura été de dire que cette catégorisation, opérée à l’époque de l’indépendance négociée par Maurice auprès des Anglais, était nécessaire dans la mesure où elle servait à la nomination des Best Losers. Ces candidats battus au suffrage mais repêchés suivant un savant calcul pour « ré-équilibrer » la balance communale sortie des urnes dans un pays à majorité démographique hindoue. De là, nous a-t-on toujours affirmé, découle et dépend notre stabilité.

Soit. Mais questions.

Les Créoles se sentent-ils plus en sécurité et plus justement protégés dans ce pays parce que Mario Nobin est Commissaire de Police ?

Les musulmans se sentent-ils plus respectés et vivant mieux parce qu’ils ont comme « représentant » Showkatally Soodhun, qui baigne dans la luxuriance des relations qu’il entretient avec des princes saoudiens et ne s’embarrasse pas, en tant que ministre de la République, pour tenir des propos et agir de façon ouvertement racistes ?

Les Mauriciens, en général, se sentent-ils bien du fait qu’au cours de ces 50 dernières années, il aura été tenu pour acquis qu’il fallait que ce soit un Indo-mauricien de la catégorie des Vaish qui soit Premier ministre ? Ce qui nous a valu d’être gouvernés en alternance par deux dynasties dont l’un des représentants a été retrouvé avec des valises et des coffres forts bourrés de devises à son domicile, et dont l’autre s’est arrogé le droit de passer le poste de Premier ministre à son fils sans se soucier de l’avis ou du vote de l’électorat.

Alors oui, question : l’ethnicisation de notre système politique nous est-elle réellement aussi bénéfique qu’on a toujours tenté de nous le faire croire ?

La présente réforme, il faut le rappeler, est devenue une nécessité suite à l’action initiée par Rezistans ek Alternativ et le Blok 104 devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations unies en 2010, demandant à cette instance de déterminer si l’interdiction faite à des Mauriciens d’être candidats aux élections législatives s’ils refusaient de se classifier ethniquement, ne constituait pas une atteinte à leurs droits civiques. Le 4 septembre 2012, le CDHNU avait conclu que cette pratique était effectivement contraire à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avait demandé aux autorités mauriciennes de soumettre des propositions concrètes visant à y mettre fin. Pour les élections législatives de 2014, le gouvernement se contenta de présenter un mini-amendement disant qu’une personne n’est pas obligée de déclarer sa communauté pour pouvoir être candidate. De fait, et pour la première fois, 30% des candidats ne se sont pas classifiés. Mais la pratique de la désignation des Best Losers sur une base ethnique est restée entière.

Alors que se profilent les élections de 2019, et que le monde se corse de nouveaux défis, il nous reviendra aussi, au-delà des agendas politiques des uns et des autres, de dire si nous considérons qu’un député est censé être élu sur les bases de ses aptitudes et compétences réelles pour représenter les intérêts de son pays. Pas juste, à l’intérieur de ce pays, sa seule circonscription, et pas juste, à l’intérieur de cette circonscription, sa seule communauté.

« Malbar Sinwa Afrikin Blan / Ki to ete twa ? » interrogeait Kaya avec son grand rire en foutant. Lui, le visionnaire qui créa le seggae, au succès national et international, en mettant en exergue la richesse, aussi, de tout ce qui n’a pas peur d’être multiple…

SHENAZ PATEL

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