Abicadutt Bheecarry (président de la Senior Public Officiers Union ) : « La déclaration des avoirs des fonctionnaires freine les tendances d’accaparement »

L’opinion publique n’a pas ménagé ses critiques envers les fonctionnaires en prenant connaissance du dernier rapport du directeur de l’Audit. Fort d’une carrière de 42 ans dans la fonction publique, Abicadutt Bheecarry, Head of Vector Biology and Control Division du ministère de la Santé, donne dans l’interview qui suit son point de vue sur les responsabilités des cadres de la fonction publique dans la gestion des affaires. Il ne cautionne pas les pratiques abusives. Il fait ainsi clairement comprendre que son syndicat « défend les travailleurs lorsque leurs droits sont bafoués, mais pas ceux qui ont outrepassé délibérément les règlements pour leurs gains personnels ».

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Abicadutt Bheecarry se prononce sans hésitation en faveur de la déclaration des avoirs pour les fonctionnaires. « Quelqu’un qui assume ses responsabilités avec honnêteté et sincérité ne devrait pas avoir peur de déclarer ses avoirs », dit-il.

Votre syndicat est-il satisfait du récent exercice de transferts et des nouvelles nominations concernant les cadres administratifs de la fonction publique ? Est-ce que la méritocratie a primé ?
À ce jour, nous n’avons reçu aucune protestation de la part de nos membres par rapport aux nouvelles nominations et nous pensons que les personnes nommées sont “happy” de leur nouveau statut professionnel. De nos jours, si une personne estime qu’elle a été lésée dans ses droits, elle peut avoir recours au Public Service Appeal Tribunal alors que dans le passé, ce sont les syndicats qui plaidaient les cas de ceux victimes d’une injustice d’ordre professionnel et référaient ensuite l’affaire en Cour suprême, si besoin est.

Nous sommes en période préélectorale. Est-ce que les cadres de la fonction publique subissent une certaine pression d’hommes politiques ou de la part d’autres personnes dans le giron du pouvoir pour accélérer la mise en pratique de certains projets ?
Que nous soyons en période électorale ou pas, il y a toujours une certaine pression sur les fonctionnaires car ce sont eux qui exécutent les projets décidés par le gouvernement. La pression s’accentue lorsque surgissent des problèmes affectant directement la population, comme lorsque les robinets sont à sec ou quand des maisons sont inondées en période de grosses pluies.

Diriez-vous que les fonctionnaires n’ont jamais réclamé de faveurs aux politiciens ?
Il n’y a pas très longtemps, nous avons vu comment certains fonctionnaires défilaient régulièrement aux Casernes centrales ou dans des cours de justice pour répondre aux allégations de “mal practices” de leur part dans l’exercice de leurs fonctions. Politisien ki deman fonksioner fer tel ou tel kitsoz pa pou back ou kan ou dan lakle. C’est ce que nous n’arrêtons jamais de dire à nos membres. En gardant en tête ces cas de mauvaises pratiques qui font l’objet d’enquêtes, nous prévenons nos membres des conséquences sur leur carrière ainsi que sur leur vie sociale et personnelle si jamais ils faisaient des choses dans le but de plaire aux politiciens ou pour leurs intérêts personnels. Le syndicat est là pour défendre les intérêts de ses membres lorsqu’il y a des problèmes relationnels employeur-employés ou lorsque leurs droits sont bafoués, mais pas pour défendre ceux qui ont outrepassé délibérément les règlements pour leurs gains personnels. Un fonctionnaire qui subirait une pression de la part des politiciens pour des requêtes en dehors du cadre normal devrait avoir le courage de dénoncer une telle situation, et pourquoi pas, en parler au chef de la fonction publique si la demande devient insistante. Je sais que dans le passé, certains fonctionnaires ont eu le courage d’agir contre des pressions exercées par des politiciens.

Un cadre qui serait en désaccord avec son ministre concernant un projet ou une décision ne risque-t-il pas certaines représailles ?
Un ministre ne peut du jour au lendemain venir avec un projet sorti de ses rêves et exiger qu’on passe à l’action immédiatement. S’il s’agit d’un projet avalisé par le cabinet, cela signifie que plusieurs ministres y ont donné leur accord et cela voudrait aussi dire qu’il y a eu des discussions au préalable sur la raison d’être de ce projet. Il serait alors difficile au fonctionnaire de ne pas collaborer à sa mise en œuvre. Souvent les désaccords entre un politicien et un fonctionnaire ont trait aux modalités pour la réalisation d’un projet. Si le fonctionnaire constate que la manière de faire ne correspond pas aux procédures d’usage, il devrait pouvoir en discuter avec son ministre. Si le fonctionnaire craint qu’une décision hâtive prise par un ministre fasse beaucoup plus de tort que de bien, il devrait être honnête envers lui-même en déconseillant fortement d’aller de l’avant. Et si le politicien persiste et que le fonctionnaire trouve qu’il ne peut cautionner une telle démarche, il devrait alors demander son transfert vers un autre ministère.

Avez-vous lu le dernier rapport de l’Audit, qui est très critique encore une fois envers les fonctionnaires pour le gaspillage énorme de l’argent des contribuables ? Pensez-vous que le rapport serait exagéré, comme veulent le faire croire certaines personnes ?
J’avoue qu’on est habitué maintenant au contenu du rapport annuel de l’Audit et c’est triste de le dire. Il est inadmissible que de tels gaspillages perdurent année après année et il faut pouvoir y mettre un terme. Les autorités devraient convoquer les personnes responsables des départements ciblés dans le rapport de l’Audit et leur demander des explications. Il est bon de savoir que chaque ministère a un “internal audit” qui fonctionne tout au long de l’année. Si l’auditeur interne au cours de ses vérifications découvre quelque chose d’anormal, il devrait, selon la procédure en vigueur, signaler le problème au chef du département concerné et il est du devoir de ce chef d’interroger les personnes travaillant dans le département au sujet des failles relevées par l’audit interne. Et si les explications ne sont pas convaincantes, le chef de département doit prendre les sanctions qu’il estime nécessaires. Il y a donc un protocole établi pour un contrôle régulier en dehors de celui du bureau de l’Audit. Et si les fonctionnaires respectent ces procédures, il ne devrait pas y avoir autant de gaspillages. Le Public Accounts Committee qui épluche en détail les finances de chaque ministère a aussi un rôle dans le mécanisme de contrôle.

Les cadres ne portent-ils pas une certaine responsabilité dans ces gaspillages, car ce sont eux les gestionnaires des ministères, alors que les politiciens ne sont que de passage ? Est-ce qu’ils lisent ces rapports ?
Comme vous le faites remarquer, ce sont les fonctionnaires qui assurent la permanence de l’État et il est du devoir de tout un chacun, quel que soit le poste occupé, de ne pas gaspiller l’argent public. Je ne crois pas que les personnes occupant des postes de responsabilité dans les ministères ignorent le rapport de l’Audit même si on peut deviner son contenu avant sa publication chaque année. Il est du devoir de ces responsables de prendre des mesures pour mettre un frein à de tels gaspillages. En principe, avant de procéder à n’importe quel achat durant l’année financière, un chef de département devrait consulter le rapport pour voir les recommandations qui ont été faites par rapport à l’item qu’on voudrait renouveler. Si certaines personnes ont vraiment commis des fautes, les institutions habilitées à prendre des sanctions doivent jouer leur rôle.

Comment expliquer que des cadres prennent avantage du transport du bureau alors qu’ils bénéficient d’une voiture hors taxes personnelle et des allocations de transport ?
Le rapport de l’Audit a tout à fait raison d’attirer l’attention sur cette pratique abusive par certains fonctionnaires et je ne vois aucun syndicat défendre ce type de comportement. Mais il arrive que pour des raisons pratiques, des cadres se voient obligés d’utiliser le transport du bureau et je parle en connaissance de cause. Je prends le cas d’un fonctionnaire dont le bureau se trouve à Curepipe et qui doit se rendre à une réunion à 15h à Port-Louis ou dans une région beaucoup plus éloignée. Avec le problème de congestion routière à toute heure de la journée et sans compter les difficultés de trouver un parking à son arrivée, il doit quitter son bureau très tôt pour être à l’heure à sa réunion. S’il sait qu’il y a un chauffeur qui va le conduire, il peut terminer un travail urgent au bureau et cela lui enlève aussi le stress de la route. Mais si le recours au transport du bureau devient une habitude chez certains cadres et que l’on découvre que l’utilisation en est faite à des fins personnelles, l’administration doit les rappeler à l’ordre. Je pense qu’il est du devoir de tout citoyen de dénoncer et de contribuer à freiner toute forme de gaspillage dans n’importe quel secteur.

L’idée d’inclure des grades de Public Officers dans le projet de loi portant sur la déclaration des avoirs provoque beaucoup de remous et certains fonctionnaires ne sont pas d’accord. Avez-vous des réserves vous aussi à ce sujet ?
Pourquoi devrais-je avoir peur ? Quelqu’un qui assume ses responsabilités avec honnêteté et sincérité ne devrait avoir peur de déclarer ses avoirs. May be the person who has something at the back of his mind will not welcome such a piece of law. Personnellement, cela ne m’inquiète pas car je pense que tout le monde est égal devant la loi. Si jamais il y a des fonctionnaires qui ont tendance à tout accaparer pour eux et pour leurs proches, ils réfléchiront alors à deux fois avant de continuer leurs petites manœuvres. Cette déclaration pourrait être un moyen de mettre un frein aux tendances d’accaparement.

Est-ce normal que certains fonctionnaires soient membres de plusieurs boards alors qu’ils ont des responsabilités importantes au sein d’un ministère ? Ont-ils le temps de s’occuper de tous les dossiers ?
Il est bon de souligner que certains ministères ont beaucoup de corps para-étatiques sous leurs responsabilités. Il faut se référer aux lois régissant le fonctionnement de ces “boards” pour voir quels sont les fonctionnaires qui doivent y siéger. C’est vrai aussi que la présence des mêmes fonctionnaires sur différents “boards” donne lieu à certaines frustrations parmi d’autres. Si certaines croient qu’il y a abus dans les nominations, elles peuvent porter plainte auprès des institutions ayant le pouvoir d’enquêter sur ce type de situation. Je pense que ce n’est pas raisonnable que des personnes soient gourmandes et siègent sur plusieurs “boards”. Il faut répartir les nominations de manière équitable en choisissant bien sûr les personnes ayant les compétences nécessaires. Quant à la performance de ces fonctionnaires au sein de ces conseils d’administration, je laisse le soin à leurs membres de répondre à cette question.

Selon des personnes en lien régulièrement avec la fonction publique, la qualité du service et de l’accueil dans ce secteur a régressé…
Je ne suis pas du tout de cet avis. Bien au contraire, il y a eu beaucoup de choses qui se sont améliorées à tous les niveaux au fil de ces quarante dernières années grâce à diverses mesures prises par les différents gouvernements, tels des programmes de formation, l’apport de nouvelles technologies et le “upgrading” de l’environnement du travail. Dans les secteurs en contact direct avec le public, il y a eu définitivement une meilleure organisation et le service est beaucoup plus rapide. Mais il faut constamment améliorer et je suis d’accord qu’il faut veiller à la qualité de l’accueil car le public nous juge sur ce premier contact.

Est-ce que la fonction publique de nos jours a les compétences requises dans tous les domaines pour répondre aux changements rapides dans la société et aux nouveaux défis de la globalisation ?
Les fonctionnaires sont présents dans toutes les sphères de la vie socio-économique du pays. Et si nous constatons un manque de compétences pointues dans certains domaines en particulier, il y a des possibilités de formation à l’étranger grâce aux accords de coopérations avec les pays amis. Ces Public Officers doivent obligatoirement rentrer au pays avec les nouvelles connaissances acquises car ils ont signé un accord avant de partir. Le pays obtient pas mal de bourses d’études chaque année, mais malheureusement nous en perdons plusieurs à cause d’un retard dans la communication. Et c’est le pays qui en est le perdant. Souvent les fonctionnaires sont informés des propositions de bourses d’études à la veille de la date limite pour le dépôt des candidatures et n’ont pas le temps de préparer leurs dossiers et de les envoyer. Je lance un appel aux responsables du dossier des bourses dans chaque ministère de ne pas attendre la dernière minute pour transmettre l’information nécessaire.
Par ailleurs, de nos jours, la plupart des nouvelles recrues dans la fonction publique ont des qualifications académiques beaucoup plus élevées que ce qui était demandé dans l’appel à candidatures et ces personnes continuent à améliorer leurs qualifications par leurs propres moyens. Dans un département très technique, plusieurs jeunes fonctionnaires ont déjà commencé de leurs propres initiatives des études pour l’obtention d’un doctorat car ils sont conscients qu’ils devront impérativement améliorer leurs connaissances. Il faut admettre qu’il y a un grand besoin de renforcer la formation dans le secteur informatique de façon continue si nous voulons avoir des compétences de haut niveau.

Puisque vous parlez de formation, est-ce que le Civil Service College donne des résultats positifs ou serait-ce un éléphant blanc ?
Il est encore trop tôt pour faire un bilan de cette institution mais d’après les circulaires que nous recevons régulièrement, nous déduisons qu’elle fonctionne et qu’elle ne fera pas partie de la liste des éléphants blancs. Mais pour l’heure, la majorité des cours offerts sont destinés aux personnes occupant des postes de “middle management” et l’institution ne répond pas aux besoins de formation concernant le personnel du “higher management”, que ce soit pour les cadres de l’administration ou les cadres travaillant dans un secteur purement technique.

Est-ce que les fonctionnaires accueillent favorablement un Public Service Bill ?
C’est un sujet dont on n’entend plus parler depuis quelques années. Probablement, les fédérations syndicales ont eu la possibilité de participer à des discussions avec l’employeur dans le cadre des préparatifs pour ce projet de loi, mais je dois vous dire que notre syndicat n’a jamais été invité par l’administration à donner son opinion. Si l’objectif de ce projet de loi est de nous protéger contre des risques de pratiques abusives de la part des politiciens, nous avons intérêt à l’accepter.

Les fonctionnaires commencent à s’agiter avec le prochain PRB. Peut-on connaître les revendications de votre syndicat ou est-ce que les cadres de la fonction publique sont bien lotis de nos jours et n’ont pas de requêtes spécifiques ?
Vous vous trompez en disant que nous sommes « bien lotis ». Nous avons certes certains « privilèges » qui n’existaient pas dans le passé et dont l’objectif est de retenir le personnel qualifié et expérimenté. Beaucoup de cadres ont quitté le service dans le passé à cause des salaires décourageants. Dans le privé, un Chief Executive peut négocier ses salaires et obtenir jusqu’à Rs 500 000 mais les rémunérations dans la fonction publique sont régies par le PRB. Celui-ci s’intéresse d’abord aux conditions de travail et aux salaires de la masse des fonctionnaires se trouvant au bas de l’échelle salariale. La plupart des requêtes des hauts fonctionnaires sont ignorées par le PRB. Mais je souhaite que le PRB entende notre appel afin de donner la chance aux cadres dans le domaine technique d’accéder aux postes de haut niveau dans l’administration centrale.
De nos jours, les nominations à ces fonctions sont réservées aux cadres du domaine administratif et nous constatons que c’est une injustice envers les professionnels du côté technique qui sont pourtant à la tête de certains départements. On espère que le PRB considère notre demande. Dans l’ensemble, les cadres sont discrets dans la manière de fonctionner et c’est pour certaines raisons que le syndicat n’organise pas de conférence de presse ni n’organise des manifestations pour faire part de ses revendications. Tout type d’action syndicale pour faire entendre des revendications a son importance, mais pour notre part lorsqu’il y a un problème grave, nous privilégions le dialogue car nous pensons que nous pouvons discuter autour d’une table. Et s’il y a un problème grave, nous demandons l’intervention du Secrétaire au cabinet.

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