Affaire Crociani : Séquelles des Panama Papers

  • Dans ce jugement de 239 pages, rendu en septembre 2017, la nomination de la firme locale Appleby, renommée Estera trust, en tant que “trustee” de la famille Grociani, avait été déclarée nulle et non avenue (“nul and void”).
  • L’avoué Me Gilbert Noël, qui fait l’objet de vives critiques dans ce jugement pour avoir agi en violation de ses responsabilités, objecte à cette démarche

Presque un an après le jugement de la Jersey’s Royal Court dans l’affaire de la famille Grociani et le Grand Trust, la firme locale Appleby, l’un des défendeurs dans cette affaire, a logé une demande en Cour suprême pour que ce jugement soit rendu exécutoire à Maurice. Ce jugement de 239 pages avait en effet « set aside as void and of no legal effect » la nomination, en 2012, d’Appleby Mauritius et de GFin Corporate Services en 2016 en tant que “trustee” de cette richissime famille vivant entre Monaco, l’Italie, Les Bahamas et les Etats-Unis.

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Cette affaire avait donné lieu à un contentieux entre le managing director de la firme, aujourd’hui devenue Estera Trust (Mauritius) Limited, Patrick Lee Mo Lin, et l’un de ses partenaires, Me Gilbert Noël, qui avait fait l’objet de vive critiques dans ce jugement. À la suite de ce jugement, Appleby avait d’ailleurs suspendu Me Noël et l’aurait appelé à comparaître devant un comité disciplinaire. Mais par la suite, les parties auraient résolu l’affaire à l’amiable et Me Gilbert Noël avait soumis sa démission d’Appleby volontairement après avoir reçu une compensation, dont le montant n’est pas connu mais que certains qualifieraient de “golden handshake”. Ce dernier conteste d’ailleurs cette démarche d’Estera en Cour suprême.

L’origine de ce jugement est l’histoire d’Edoarda Crociani et ses filles, Camilla (devenue par mariage Princess Camilla De Bourbon des Deux Siciles) et Cristiana. La mère avait, en 1987, créé un “trust” appelé le Grand Trust avec des fonds de placement au Bahamas avec des dividendes qui seront versés aux filles et petits-enfants. Entre-temps, les relations familiales se détériorent et Edoarda Crociani déshérite sa fille Christiana. L’origine de ce différend serait le refus de Christiana d’épouser quelqu’un de la haute bourgeoisie ou de sang royal, préférant ainsi un roturier. Christiana entame alors une action judiciaire à Jersey pour récupérer son dû du “trust” des Bahamas.

Afin de soustraire ces fonds de Christiana, Edoarda Crociani entame des démarches pour que les fonds de placements des Bahamas soient transférés à un “trustee” à Maurice. C’est là que la firme Appleby entre en jeu. En 2012, Appleby est nommée “trustee” et vers fin 2016, Appleby se retire et nomme Gfin Corporate Services Ltd en tant que “trustee”. Appleby Mauritius et GFin Corporate Services Ltd ont été parmi les “defendants” dans cette affaire.

L’affaire avait été écoutée en 2016 à la Jersey’s Royal Court mais Me Gilbert Noël aurait refusé de donner un “witness statement” et de témoigner sur la base qu’il est un ex-directeur d’Appleby. Appleby avait entre-temps changé de nom pour Estera Trust Mauritius. Patrick Lee Mo Lin avait, lui, témoigné lors du procès et concédé que c’était Me Noël « qui s’occupait de tout ».

« Hostile and disloyal »

En septembre 2017, la Cour de Jersey rend son jugement et donne gain de cause à Christiana. Appleby (Trust) Mauritius Ltd, est pointée du doigt pour avoir agi en violation de ses responsabilités de “trustee” et d’avoir agi de connivence avec Edoarda Crociani pour priver Christiana de ses droits. Sont également mentionnés dans le jugement : Gilbert Noël, Patrick Lee Mo Lin, GFin Corporate Services Ltd, Benoit Chambers et Clarel Benoit. Appleby est condamnée à restituer le “trust” et est vertement critiquée pour avoir transféré le “trust” à Gfin Corporate Services. Les juges de Jersey ont « set aside as void and of no legal effect » la nomination, en 2012 d’Appleby Mauritius et de GFin Corporate Services en 2016. Ils ont également « give judgement against Appleby Mauritius on liability arising out of the breaches of trust we have found against it, with compensation for any loss to the trust fund of the Grand Trust arising from such breaches to be assessed ».
Dans un jugement supplémentaire, les juges ont nommé deux comptables de Grant Thornton, Jersey, comme “receivers” d’une “Promissory Note” de 75 millions de lires italiennes. Appleby (Estera) s’est jointe aux “receivers” pour demander à la Cour suprême de Maurice de rendre exécutoire à Maurice ledit jugement afin qu’ils puissent forcer Gfin à leur remettre la “promissory note”. GFin Corporate Services Ltd objecte à cette demande. Me Noël demande aussi à intervenir dans l’affaire en Cour suprême afin qu’il puisse objecter à la demande d’Estera et des “receivers”.

À noter que l’avoué fait l’objet de vives critiques dans ce jugement car s’il est rendu exécutoire à Maurice, les conclusions de la Jersey Royal Court risquent d’avoir des implications professionnelles pour lui.
Me Gilbert Noël était celui qui s’occupait du “trust”. « The way Appleby Mauritius acted as trustee of the Grand Trust, and in particular as trustee of Cristiana’s trust, from its appointment to its retirement, was consistently hostile and disloyal to the beneficiaries of Cristiana’s trust », écrivent les juges. Ces derniers reviennent sur toute la chronologie de cette affaire et font ressortir à plusieurs reprises que Me Noël avait agi de concert avec Edoarda Crociani, sachant que les droits de Christiana étaient bafoués. « We do not accept that Mr Noël or Mr Benoit took these steps on their own initiative. Lawyers act on instructions. They were not instructed to do so by Appleby Mauritius, and certainly not by Cristiana. They could only, therefore, have acted on the instructions of Madame Crociani and/or Camilla, being the parties who benefited », soulignent les juges.

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