AFFAIRE ROCHES-NOIRES : L’ACP Jangi avait menacé de m’arrêter si je ne faisais pas de déposition, a déclaré Rakesh Gooljaury

Le “Star Witness” Rakesh Gooljaury, ancien partenaire d’affaires de Nandanee Soornack, a été entendu hier toute une journée dans le cadre du procès intenté à l’ex-Premier ministre, Navin Ramgoolam, ainsi qu’aux ex-DCP Dev Jokhoo et Ravine Sooroojebally concernant les incidents survenus au bungalow de Roches-Noires dans la nuit du 2 au 3 juillet 2011. Lors de son contre-interrogatoire par Me Gavin Glover, SC, il a concédé que le 9 janvier 2011, soit deux jours avant qu’il ne change de version, il avait reçu des « menaces » de l’ACP Heman Jangi. « Vendredi monn gayn enn apel depi Jangi. Li dir mwa vinn depose sinon li pou vinn pran mwa », a déclaré le témoin. Si Rakesh Gooljaury a fait lumière sur plusieurs aspects de cette affaire, il devait aussi se contredire à de nombreuses reprises. L’audition de celui qui se dit être toujours « l’ami » de l’ancien Premier ministre reprendra le 31 juillet.
Auparavant, lors de son interrogatoire mené par Me Mohana Naidoo, Rakesh Gooljaury devait indiquer qu’il était « un ami proche » de l’ancien Premier ministre, ajoutant connaître ce dernier « depuis 10 ans ». Le témoin devait soutenir qu’en 2015, il avait donné une nouvelle déposition dans l’affaire Roches-Noires après avoir pris connaissance dans la presse qu’il était impliqué dans cette affaire. «  Mo ti pe trakase, monn ale donn enn lot statement ek mo finn koz laverite », a-t-il déclaré. Rakesh Gooljaury est alors revenu sur les événements survenus dans la nuit du 2 au 3 juillet 2011, expliquant qu’il avait été invité à une fête organisée par Navin Ramgoolam et son amie, Nandanee Soornack, dans le bungalow de Trou-aux-Biches, ajoutant que plusieurs personnes s’y trouvaient également, à l’instar de la fille de Nandanee Soornack, le gendre de celle-ci et Das Chetty. Il affirme avoir quitté la fête « vers minuit » après « avoir dîné et dansé ». À cette époque, Rakesh Gooljaury habitait alors à Saint-Pierre. En rentrant lui, vers 2h du matin, il aurait alors reçu un appel de Nandanee Soornack, lui demandant de revenir à Roches-Noires car ils avaient eu un problème. « Kan mo finn rantre Roches-Noires, ti ena van Brinks laba. Navin Ramgoolam ti pe asize dan salon, li ti sifone et Nandanee Soornack inn dir mwa voler inn pase », a relaté le témoin. L’amie proche de Navin Ramgoolam lui aurait confié que ce dernier et elle se trouvaient « dans la chambre » et que la fenêtre était ouverte lorsqu’à un moment, ils devaient apercevoir « un garçon au torse nu avec un tournevis dans la main » en train de les épier, alors qu’ils étaient « en pleins ébats », dit-il. « Voler-la inn rod tous Nandanee Soornack. Navin Ramgoolam inn defan ek linn blesse. Zot inn kalm voler-la ek zot inn donn li Rs 20 000, linn ale », dit-il. C’est à partir de là que Navin Ramgoolam et les deux autres accusés, qui sont venus les rejoindre après, lui auraient alors demandé de rapporter cette affaire à la police et de dire que c’était lui qui se trouvait au bungalow à ce moment précis et avait été victime d’un vol avec violence. Rakesh Gooljaury affirme avoir accepté de consigner une déposition après avoir obtenu l’assurance qu’il n’y aurait « aucun problème ». Par la suite, soutient-il, il aurait remis un chèque à Navin Ramgoolam pour faire croire qu’il louait son bungalow. Rakesh Gooljaury a déclaré que l’ancien Premier ministre lui aurait dit que c’est un certain Vinaye Kinsokee qui avait fait irruption chez lui ce soir-là.
Au début de son contre-interrogatoire par l’avocat de la défense, Me Gavin Glover, SC, Rakesh Gooljaury a été questionné sur ses compagnies et ses affaires.
Me Gavin Glover : Si on jette un coup d’oeil aux relevés financiers de la compagnie Goman, on voit qu’il y a une série de “unpaid cheques” ?
Rakesh Gooljaury : Je ne suis pas d’accord.
GG : Est-ce que la MRA enquête sur la compagnie Goman ?
RG : Oui.
GG : Depuis quand il y a une enquête ?
RG : Je ne sais pas, contactez la Price Waterhouse Coopers.
GG : La cour va contacter Price Waterhouse Coopers pour vous faire plaisir.
Rakesh Gooljaury devait dire à l’homme de loi qu’il est venu en cour pour « dire la vérité » sur le cas de Roches-Noires et qu’il ne s’était pas préparé à répondre à des questions sur ses compagnies. Me Glover devait aussi lui poser des questions sur ses voyages en dépit d’un “prohibition order” pesant sur lui. Ce à quoi le témoin a affirmé avoir obtenu l’autorisation de la cour pour voyager « pour des raisons médicales ». Après lui avoir posé quelques autres questions sur les enquêtes de la MRA, auxquelles le témoin devait répondre « ne pas être au courant », Me Gavin Glover a abordé sa déposition du 11 janvier 2015.
Me Gavin Glover : Vous nous dites aujourd’hui en cour que c’est après avoir vu l’hebdomadaire Week-End du 11 janvier que vous avez donné une autre déposition ?
Me Mohana Naidoo, de la poursuite, a alors objecté à ce que Me Glover produise une série de copies du journal, soutenant que ces documents n’avaient pas été communiqués à la poursuite. Me Glover a alors dit être disposé à accorder du temps à la poursuite pour qu’elle examine les documents. La cour a de fait accordé quelques minutes à l’avocate pour le faire.
GG : En page une, on dit “Ramgoolam présent, Gooljaury absent, c’est faux”. Vous étiez là-bas ?
RG : Je ne sais pas. Je n’ai pas lu l’article, j’ai juste vu la première page. Mo pa ti dir zis Week-End me dan lezot lapress osi mo ti tann mo nom.
GG : Dans votre déposition du 11 janvier 2015, vous étiez un témoin, vous n’étiez pas “under warning” ?
RG : Oui.
A ce stade, Me Glover lui lit une partie de sa déposition, où il avait indiqué être venu donner une autre déposition de son plein gré après avoir pris connaissance d’un article dans l’hebdomadaire Week-End et qu’il n’avait jamais fait mention des autres titres de presse. Me Glover l’a alors confronté à un article indiquant qu’à ce stade, ni Navin Ramgoolam ni lui ne seraient appelés à donner leur version dans cette affaire.
RG : Vendredi monn gayn enn lapel depi Jangi, li dir mwa vinn depose sinon li pou vinn pran mwa.
GG : Ahh ?! Comment a-t-il eu votre numéro de téléphone ?
RG : Peut-être dans l’annuaire car il m’a appelé sur mon fixe.
GG : Quand Jangi vous avait menacé, avez-vous pris les conseils d’un homme de loi ?
RG : Oui, j’avais appelé Me Hawoldar, qui n’était pas à Maurice. Il m’avait fait comprendre qu’il ne pourra comparaître dans cette affaire pour moi. J’ai alors sollicité Me Sanjeev Teeluckdharry. Le 11 janvier, quand j’ai vu ma photo dans le journal, j’ai appelé l’homme de loi car j’avais la tête fatiguée.
GG : A aucun moment dans votre enquête vous n’avez dit que Jangi vous avait appelé.
Me Gavin Glover lui demande alors comment il a pris la décision de donner une déposition un dimanche à 17h et si son homme de loi avait fait les arrangements au préalable. Rakesh Gooljaury devait répondre avoir des problèmes de « conscience » et qu’il voulait dire la vérité « une bonne fois ».
GG : Mais Mr Gooljaury, vous réalisez que vous aviez donné une fausse déposition la première fois et que vous aviez commis une offense. Votre nom était dans tous les journaux, il y avait plusieurs enquêtes de la MRA sur vos compagnies, vous étiez un bon ami de l’ancien Premier ministre…
RG : Je suis toujours son ami.
L’avocat de Navin Ramgoolam est alors revenu sur le moment où Rakesh Gooljaury est allé donner sa déposition au CCID, soit un dimanche.
GG : Vous aviez eu une conversation avec la police avant ?
RG : Non.
GG : Vous vous souvenez dans quelle pièce vous étiez ?
RG : Pas vraiment, peut-être au milieu.
GG : Combien de policiers étaient présents ?
RG : Trois au quatre.
GG : Un dimanche pour donner votre déposition, vous avez un ACP, un DCP et trois policiers… Étiez-vous “under caution” ?
RG : Oui.
Me Gavin Glover : Savez-vous que dans le “Diary Book”, il n’y a aucune entrée selon laquelle vous avez été interrogé “under caution” ?
RG : Non.
GG : Vous êtes reparti après avoir donné votre déposition et à aucun moment il y a eu d’arrestation…
RG : Jangi m’avait fait comprendre qu’il allait me rappeler.
GG : Si c’était vrai, il aurait dû y avoir une entrée dans les livres, mais il n’y a rien !
RG : Mon homme de loi avait pris un “undertaking”.
GG : Mr Jangi vous a laissé partir sans aucune condition. Dimans-la pa aret ou, de lapolis par la suite dan sa zafer la, la oussi pa arete ou… Au fait, zame finn aret ou.
RG : J’étais “under caution”.
GG : Ne me montrez pas ce que dit la loi.
Me Gavin Glover revient alors sur les compagnies de Rakesh Gooljaury. L’homme de loi le contre-interroge une fois de plus sur les enquêtes de la MRA. Rakesh Gooljaury maintient qu’il n’a pas ces détails et qu’il faudra vérifier. Me Glover lui demande ensuite qui est le directeur de la compagnie Luvoxy. Rakesh Gooljaury explique alors que cette compagnie a été créée par lui et vendue par la suite. C’est sa compagne, Farhana Farouk Hossen, qui détient les actions dans cette compagnie, Rakesh Gooljaury soutenant ne pas être au courant des affaires de sa compagne.
Me Panglose, qui agi comme “watching brief”, soulève à ce moment une objection, indiquant que ces informations « n’ont rien à voir avec le procès ». Le magistrat Seebaluck lui fait alors comprendre qu’en tant que “watching brief”, il ne peut loger des objections, car c’est à la poursuite de le faire.
Sur le même volet, Rakesh Gooljaury a confirmé être marié à Natasha Rughoo, ajoutant qu’ils étaient en procédure de divorce. Et d’ajouter avoir un enfant avec cette dernière, et ce alors que, dans sa déposition en cour, lors de son procès, il avait dit en avoir deux. Ce à quoi Rakesh Gooljaury a rétorqué hier en cour : « Ma compagne a aussi un fils et je le considère comme mon enfant. » Me Glover le confronte alors à ces contradictions.
GG : Le 3 juillet, vous aviez dit dans votre déposition que lorsque vous êtes rentré dans la chambre, la police avait pris le drap sur lequel il y avait du sang ? Pourquoi en cour vous aviez dit que le lendemain c’est Das Chetty qui avait ramassé le drap ?
RG : Quand j’ai vu le drap, la police le ramassait.
Rakesh Gooljaury : Vous avez menti pour vous tirer d’affaire.
RG : Non, Das Chetty avait ramassé le drap et l’avait remis à la police.
GG : Vous vous souvenez pourquoi la police a pris une autre enquête avec vous en 2016 ?
RG : Non.
GG : Après l’enquête de 2011, la police vous a contacté plusieurs fois pour l’enquête et vous avez fait la sourde oreille.
RG : Ti pe passe par mo avoka.
GG : Ran mwa enn servis, laiss avoka in pe an deor, se tan-si, avoka in pe dan dife. (…) Aujourd’hui, vous étiez préparé à répondre à des questions sur Roches-Noires. Préparer est un mot « très bête » n’est ce pas ?
RG : Je m’étais préparé moralement.
Me Glover revient alors une fois de plus sur ses affaires et lui demande s’il est au courant que sa compagne, Farhana Hossen, a lancé une invitation à la presse pour le lancement de sa nouvelle boutique, Woman Secrets, et que dans l’invitation, elle fait référence à « notre magasin ». Ce à quoi Rakesh Gooljaury a maintenu ne rien savoir des affaires de sa compagne.
Me Glover revient ensuite sur les procédures de divorce avec Natasha Rughoo. L’homme de loi lui fait ainsi remarquer qu’il n’était pas présent en cour lorsque l’affaire avait été appelée. Mais Rakesh Gooljaury lui a expliqué qu’il avait à cette époque « des choses à revoir » par rapport à des montants cités. Il ressort que Rakesh Gooljaury avait pris l’engagement de verser Rs 150 000 par mois à son ex-épouse, de lui donner Rs 200 000 pour élever son enfant, de lui acheter une maison meublée à Moka, de lui donner une voiture Kia Rio, qui serait renouvelée tous les quatre ans, et de lui verser Rs 1,5 M pour démarrer un nouveau business.
GG : Ou pa ti ena nanyen ou ti koz menti ?
RG : Non, il y a un deuxième “agreement”. J’ai dit que je vais recommencer à travailler et que j’allais essayer.
GG : Quand vous aviez changé de version, en 2015, vous vouliez dire que vous n’étiez pas présent à Roches-Noires et que c’était des mensonges ?
RG : Oui.
GG : Vous dites que vous n’étiez pas d’accord mais que vous n’aviez pas de choix, c’est ça ?
RG : Oui.
GG : Pour le chèque de Rs 100 000, une femme à l’aéroport vous avez fait comprendre qu’on allait vous appeler pour aller remettre le chèque. Vous êtes partis de votre propre initiative ?
RG : Non, j’avais reçu un appel sur mon fixe.
GG : Dans votre enquête, vous n’avez pas dit cela.
RG : La police ne m’a pas demandé.
GG : Bann move garson-la promet ou enn ta zafer apre poursuiv ou. (…) Vous aviez dit que vous avez reçu un appel sur l’un de vos deux portables le 3 juillet 2011 vers 2h du matin. Avec qui aviez-vous parlé ce jour-là ?
RG : Nandanee Soornack.
GG : D’après vos relevés téléphoniques, à 2h03 vous étiez à Lallmatie, et pas à Saint-Pierre. Puis au Coco Beach et Poste-Lafayette.
RG : Quand j’ai reçu cet appel, je suis allé directement à Roches-Noires et je suis passé par ces endroits.
GG : Il n’y a aucun appel de Nandanee Soornack ou du téléphone de Roches-Noires ce jour-là.
RG : C’était la voix de Nandanee Soornack au téléphone.
GG : Lapolis ek ou pe mars lame dan lame dan sa zafer-la.
RG : Non.
GG : En 2016, vous savez pourquoi vous aviez donné une autre enquête ? Je vais vous le dire : parce que la police a eu vos relevés téléphoniques et qu’il fallait changer ce que vous aviez dit.
RG : Non.
À ce stade, Me Gavin Glover a demandé un renvoi, soutenant qu’il devra vérifier certains détails avant de continuer son contre-interrogatoire. L’homme de loi souligne qu’il n’est pas prêt d’en terminer et qu’il aura encore « beaucoup de questions » pour son témoin. Les avocats représentant les deux autres accusés affirment de même que leur contre-interrogatoire « risque d’être long ». Le procès reprendra le 31 juillet.

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