Anna, 52 ans, ex-travailleuse du sexe : Un corps abîmé sous un toit insalubre

Anna a 52 ans. Ancienne toxicomane — qui prend sa première dose à 14 ans — et travailleuse du sexe, elle vit dans une bicoque insalubre dans un quartier où le trafic de drogue synthétique, la prostitution, la délinquance et la précarité rythment le quotidien de ses habitants. Dans quelque temps, cet endroit va disparaître pour faire de la place à des logements sociaux. Mais Anna n’a pas les critères pour en être bénéficiaire. En attendant qu’on rase les taudis, dont le sien, Anna, malade, élève ses sept chats et poursuit sa vie dans l’incertitude.

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La porte en tôle de sa maison est ouverte. Anna (nom modifié) est donc rentrée. Une de ses voisines, rencontrée plus tôt, nous confiait qu’Anna s’était rendue à la National Housing Development Company pour « bann demars lakaz. » Nous voulions revoir Anna, dont nous n’avions plus de nouvelles depuis quelque temps. Anna, une ancienne toxicomane en réhabilitation et “tifi zardin”, fait partie de ces figures incontournables du koltar croisées un jour et que l’on revoit selon les circonstances. Anna a été témoin de tant de faits médiatisés et qui composent la réalité des toxicomanes et travailleurs du sexe. Elle a été aussi une des premières femmes bénéficiaires de la méthadone dans le cadre de la réhabilitation des toxicomanes. Elle a connu de près des victimes assassinées par des pervers qui, aujourd’hui, croupissent en prison.

Et la prison elle y a fait des allers-retours. Elle ne compte plus les fois où elle a été arrêtée et jetée en cellule pour prostitution. « Anna ! » Nos appels devant la porte qui laisse entrevoir la désolation qui caractérise une maison délabrée, restent sans réponse. Nous nous hasardons Nous nous avançons vers l’intérieur de la maison, au pire elle nous surprendra et ne sera pas contente que nous ayons enfreint les règles de politesse. Quelques pas suffisent pour trouver celle que nous cherchons. Dans des logements comme celui d’Anna, tout se passe dans une pièce. À moitié dénudée, Anna dormait à poings fermés. Des béquilles sont adossées à son lit. À côté d’une télévision, un ventilateur en marche aère la pièce étouffante.

Depuis l’incarcération de son compagnon pour vol, Anna vit seule. « Il m’arrive de me reposer ou faire la sieste sans fermer les portes. Je ne crains rien, quoiqu’une fois quelqu’un est rentré en douce pendant que je dormais, il a volé le portable et le paquet de cigarettes que j’avais posés à côté de moi », raconte-t-elle en s’étirant. Quant à l’ouverture béante par laquelle n’importe qui peut avoir accès dans sa maison, Anna dit ne pas s’en inquiéter. « Avez-vous vu l’état de cette maison ? Celui qui voudra s’introduire par cette ouverture prendra le risque de tout faire s’écrouler. On le ramassera à la petite cuillère sous des débris », lance-t-elle en riant. Mais Anna sait aussi que les petits trafiquants et revendeurs de drogue synthétique qui occupent le terrain jour et nuit à côté de sa maison ne lui feront pas de mal. D’ailleurs, dans son quartier, elle est connue et respectée. Cela fait plus de 20 ans qu’elle vit là. Dans cet endroit, où règne l’insécurité, se faire agresser quand on y met les pieds sans connaître les habitants n’est pas une légende !
« Je ne crains rien »

Anna est une « squatteuse ». Comme tous ceux qui ont construit des bicoques pour y vivre dans des conditions où l’absence de sanitaires et d’infrastructures a généré un environnement insalubre, Anna habite sous un toit précaire. Elle se redresse et s’assoit pour discuter avec nous. Elle a l’air perdue. En fait, elle l’est, entre son état de santé et celui de sa maison, elle ne sait plus où elle en est. Du coup, elle parle des deux à la fois. Parler, discuter est son fort. C’est aussi pour cela, dit-elle, que ses anciens clients l’appréciaient. Quand ils la sollicitaient pour quelques heures, elle commençait toujours son travail par une discussion.

Sur le battant de ce qui reste d’une armoire, elle a collé des photos d’elle à une autre époque. Jeune, jolie, elle se prostituait déjà. « Mo’nn komans droge laz katorz-an. » Anna, c’était les drogues dures. Elle a connu le temps où explosait l’héroïne. Une fois, elle a vendu son corps pour se procurer de la drogue, elle l’a fait une deuxième fois, puis une autre Cela a duré pendant 25 ans, des années où elle a frôlé la mort entre les mains d’hommes sans pitié, où elle a enfanté deux fois Et avec les années, son corps a fini par s’abîmer. Idem pour sa maison. Au fil du temps, les tôles ont pourri, les poutres en bois d’eucalyptus rongées. Des trous et des fissures se sont formés.

Pendant les averses ou cyclones, l’eau traverse la maison tel un ruisseau. « Je me mets au lit et je regarde l’eau circuler », confie Anna. Pendant le passage de Calvinia, elle avait l’impression, dit-elle, de dormir à ciel ouvert, « delo ti pe rant partou kote. » Cependant, elle affirme n’avoir pas voulu se réfugier dans un centre. « Je ne peux pas me déplacer sans mes béquilles. Pa ti pou fasil pou mo res dan enn sant ek mo lipie-la. » Depuis quelque temps, son pied s’est infecté et nécessite un traitement. Puis, une première chute n’a pas été sans conséquence au ventre et une autre a corsé l’état d’un genou déjà mal en point. Tout cela lui a valu une hospitalisation.

« Enn bann zafer inkrwayab »

Malgré son état, Anna a fait de son mieux pour se rendre à la NHDC, où elle était conviée le jour où nous l’avons rencontrée. Elle raconte qu’elle est rentrée de ce rendez-vous confuse. Pour cause, Anna ne travaille pas et ne perçoit pas de salaire. Elle est volontaire ponctuelle pour le compte d’une organisation non-gouvernementale. Elle reçoit une aide sociale de Rs 2 000. « À la NHDC, on me demande de faire un dépôt pour bénéficier d’une maison. Mo pena kas pou fer depo ! Je n’en ai même pas assez pour payer un loyer », dit-elle. Dans ce cas de figure, elle pourrait bénéficier du soutien de la National Empowerment Foundation, qui financerait la construction d’une maison sociale. Mais là aussi elle n’est pas éligible à cette option, car elle ne dispose pas de terrain pour accueillir la construction. Son avenir, elle le conjugue avec incertitude. À 52 ans, souffrante, vivant avec le VIH et sous méthadone, Anna n’espère plus rien. Le seule luxe dont elle peut s’accorder c’est de rêver qu’un jour, peut-être, elle sera ailleurs que dans le taudis où elle vit.

Anna appelle ses chats qui déambulent dans sa pièce. Elle affirme qu’elle ne se prostitue plus et que la drogue, pour rien au monde elle n’y touchera. « Plusieurs fois on m’a proposé du synthétique. Mo na pa le. Ar sintetik kouma yenn-la fini, to bizin rod ankor. Avan, kan to pike gramatin, brown-la tini twa ziska tanto. Parfwa to kapav fer enn zour net tou », dit-elle. Les ravages de la drogue synthétique, elle les constate d’abord dans son environnement. Les délires de ceux et celles qui en consomment transpercent la tôle de sa maison. Elle entend, dit-elles, « enn bann zafer inkrwayab. » Elle voit aussi «ces enfants qui sont impliqués dans le trafic de drogue. » Et celui-ci se fait au vu et au su de tous. Les jeunes femmes, constate-t-elle, vendraient leur âme au diable pour se procurer leurs doses quotidiennes.

« Quand je les vois, négligées, au Jardin de la Compagnie, je me dis qu’en mon temps nous nous prostituons certes, mais nous étions mieux habillées et nous faisions attention à notre hygiène !» Anna concède que certains de ses anciens clients l’appellent des fois. « Même si je le voulais, je ne suis pas en état de me prostituer. Dès que tu franchis la trentaine, tu es vieille dans ce métier. J’ai 52 ans », dit-elle. Toutefois, elle reconnaît qu’elle met ces derniers en contact avec «bann fam ki trase. » Pour elle, « il n’y a rien de mal à cela. » Elle rend service, pense-t-elle.

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