ANNIVERSAIRE : Hergé, l’étoile mystérieuse

Le 3 mars dernier, le monde commémorait la mort d’un des plus grands créateurs du 9e art : Hergé. Alors que le père de Tintin aurait eu 106 ans ce mercredi 22 mai, l’occasion nous est donnée de revenir sur le parcours de cet auteur hors norme, dont le génie n’aura eu d’égal que le mystère qui l’entoure encore.
Tintin et Milou, Quick et Flupke, Jo, Zette et Jocko… Autant de personnages qui, des décennies après leur dernière apparition, continuent de ravir petits et grands, conservant intacte la flamme de nos coeurs d’enfants, emportés dans le tourbillon de leurs aventures palpitantes. Derrière eux se cachait un nom : Hergé, Georges Remi pour les intimes, dont l’on célèbre ce 22 mai le 106e anniversaire de la naissance.
L’homme, cependant, n’aura pas eu que des admirateurs, rumeurs et polémiques l’ayant poursuivi tout le long de son parcours artistique. Mais également par-delà la mort, tant certains de ses albums auront entre-temps été décryptés, décortiqués, autopsiés, et pas seulement par de simples amateurs de BD. Ainsi, Hergé est-il tour à tour comparé à Georges Simenon ou à un collaborateur passif de la cause nazie, à un génial auteur inspiré par son temps ou à un opportuniste ayant usé de stéréotypes aux relents racistes. Tel est peut-être finalement le prix de la gloire.
Il faut reconnaître que l’auteur de Tintin n’aura laissé passer, durant ses décennies créatrices, aucune occasion de nourrir l’argumentaire de ses détracteurs. Des albums comme Tintin au Congo, Tintin en Amérique, Le Lotus bleu ou encore Tintin chez les Picaros auront laissé chez certains l’arrière-goût de caricatures amères. Est-ce à dire que l’artiste était raciste ? À chacun sa réponse. Bien sûr, il aura réduit Chicago à un repaire de gangsters et les Africains à des êtres soumis à la suprématie blanche, mais ce faisant, il répondait à une autre réalité, celle de son époque, et donc à replacer dans un contexte historique.
“Tintin n’était pas raciste”
Preuve en est qu’aujourd’hui encore, Tintin reste extrêmement populaire en Afrique noire. Au Congo, où le jeune reporter avait fait ses premières armes, en 1931, on continue de rire des clichés véhiculés dans l’album éponyme. Décryptant la deuxième aventure de Tintin, certains y voient même des leçons de morale bien contemporaines. D’autres encore la voie ouverte à une décolonisation programmée, ou encore d’un paternalisme viscéral (le Congo était belge à l’époque de la parution de l’album). Interrogé sur Tintin au Congo, un Congolais déclarait d’ailleurs : “Tintin n’est pas raciste. Juste paternaliste, comme tous les Blancs de l’époque. Il montre les méfaits de la colonisation, le côté négatif des Blancs, leurs magouilles. Les aventures du petit reporter nous ont permis de sortir de notre isolement.”
On l’aura compris, Tintin n’était pas raciste. Mais son auteur, lui, était-il antisémite ? La question a longtemps été posée, et continue d’ailleurs d’alimenter de nombreuses discussions dans des forums dédiés aux aventures du petit reporter. La polémique ne date cependant pas d’hier, et remonte même aux premières années suivant la libération, soit après 1945. Les détracteurs du célèbre auteur rappellent qu’Hergé avait collaboré dans les années 30 avec un certain Léon Degrelle, connu pour avoir des opinions politiques bien tranchées, qui l’auront d’ailleurs poussé à rencontrer Mussolini et Hitler. Reste qu’Hergé se dissociera alors de la voie empruntée par Degrelle.
Cela n’empêchera cependant pas le dessinateur de servir la “cause antisémite”, notamment à travers deux de ses albums : L’oreille cassée (1936) et L’étoile mystérieuse (1941). Dans le premier, il y dessine pour la première fois un juif sous les traits d’un antiquaire qui s’adresse à Tintin. Et dans le second, il représentera deux juifs, poussant cette fois la caricature en leur donnant un nez crochu et une bouche lippue.
Des clichés qui fâchent !
Des années plus tard, l’auteur sera convié à s’expliquer sur cette sombre période de sa carrière. Revenant sur L’étoile mystérieuse, album taxé de “complaisance antisémite”, Hergé déclara alors : “J’ai effectivement représenté un financier antipathique sous les apparences sémites avec un nom juif : le Blumenstein. Mais il me semble que, dans ma panoplie d’affreux bonshommes, il y a de tout, sans faire un sort particulier à telle ou telle race. On a toujours raconté des histoires juives, marseillaises, écossaises. Ce qui n’a rien de bien méchant. Qui aurait prévu que les histoires juives, elles, allaient se terminer de la façon que l’on sait, dans les camps de la mort ?”
Mais le débat ne s’arrête pas là. Car d’autres clichés apparaissent véhiculés à travers l’oeuvre d’Hergé. Que ce soit dans Le lotus bleu, où les Japonais apparaissent cruels et fourbes, ou encore dans L’oreille cassée et Tintin et les Picaros, où l’action se situe dans un pays imaginaire d’Amérique latine faisant face à d’incessantes joutes révolutionnaires. Autant de stéréotypes qui reflètent l’instantané d’une époque pour le moins mouvementée.
Dès lors, une question demeure : faut-il ou non s’attacher à cette face cachée d’Hergé ou, au contraire, doit-on s’en dégager ? La réponse dépendra en fait de la sensibilité du lecteur. Prise au premier degré, ou replacée purement dans son contexte historique – avec un recul approprié – , la BD reste et restera longtemps un agréable divertissement. Mais elle contient aussi une somme de messages subliminaux. Et donc à ne pas mettre entre toutes les jeunes mains, sans explication préalable.

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