APPEL DU JUGEMENT MEDPOINT: Vers le Privy Council dans l’intérêt général

Les hommes passent, les institutions demeurent. Ainsi le principe d’une interprétation finale de la POCA par le Conseil Privé de la Reine (Privy Council) ne peut qu’avoir préséance sur la carrière d’un politicien, quel qu’il soit. Et dans le sillage des innombrables controverses autour de l’acquittement de Pravind Jugnauth, tout citoyen ne peut que se réjouir, au nom de l’intérêt général, de la décision du Directeur des poursuites publiques (DPP) de faire appel contre le verdict prononcé par la Cour Suprême.
Les enjeux le justifiaient. Satyajit Boolell énonce clairement que l’intérêt public, l’administration de la justice et le développement d’une loi efficace pour combattre le fléau de la corruption commandent que soient clarifiée l’article 13 (2) de la POCA qui traite du conflit d’intérêts. Le DPP prend aussi soin de préciser que ce recours à Londres s’avère d’autant plus important car l’interprétation de la Cour Suprême dépasse l’affaire Medpoint et déborde sur d’autres cas de conflits d’intérêts. Ils seraient au nombre de vingt-huit présentement dans l’escarcelle de l’ICAC  selon les recoupements de la presse.
Le DPP, lui, s’en tient au droit: comment décider de la culpabilité d’un prévenu sous ce fameux article? Quel doit être le degré de connaissance des faits et d’intention criminelle pour déterminer l’existence d’un conflit d’intérêts? La bonne foi peut-elle constituer une défense? Que signifie ‘Personal Interest’? Exclut-il un parent actionnaire dans une société? A quoi se réfère l’interdiction de participer aux ‘proceedings’? Ce caractère restrictif s’étend-il à toutes les étapes (any step) dans l’exécution d’un contrat octroyé par un ‘public body’ à un établissement dans lequel le parent du ‘public official’ détient des actions?
L’interprétation de la Cour Suprême est connue. Attendons celle des Law Lords. Et faisons l’impasse sur celles des courtisans et adversaires du présent régime, forcément sujettes à caution du fait de leur caractère partisan.  Difficile de séparer le bon grain de l’ivraie.
Toutefois, deux contributions méritent attention: celle d’Alexandre Barbès-Pougnet, juriste (Forum – Le Mauricien du 31 mai et 1er juin 2016) et celle de l’avocat Sonah Ruchpaul dans Week-End du 5 juin. Schématiquement les deux auteurs procèdent à une analyse de fond du jugement de la Cour Suprême. Leurs papiers ne laissent aucune place à l’ambiguïté. Barbès-Pougnet semble être doté de prescience, anticipant les points litigieux soulevés par le DPP et apportant des ‘thought-provoking’ nuances aux interprétations dont furent l’objet plusieurs arrêts par la Cour Suprême (Salomon v/s A Salomon & Co. Ltd, etc.).  Justifiant ainsi son postulat: « …les motifs retenus par la haute juridiction m’apparaissent comme contradictoires et mal fondés. A une interprétation erronée de la loi s’ajoutent dans notre espèce de nombreux renvois inappropriés car hors contexte à la jurisprudence étrangère…». Me Ruchpaul abonde dans ce sens quand il affirme: «…Les juges citent alors plusieurs jugements anglais pour se soutenir, mais j’ai l’impression que dans ce contexte ils mélangent les pommes et les oranges…» Le citoyen, lui, ne se veut pas poire et s’interroge quand Me Ruchpaul en rajoute plusieurs couches: « Ce jugement [de la Cour Suprême dans l’affaire MedPoint] sème, en effet, plus de doute dans l’esprit de son lecteur que celui des magistrats de la Cour Intermédiaire; …En plus, il me semble évasif sur certains points, incohérent et brouillon sur d’autres.  Ne serait-ce pas un jugement écrit ou amendé à la hâte dans l’intempérance? …Le jugement de la Cour suprême répand autant d’obscurité que les écrits des magistrats…».
En sollicitant l’arbitrage des Law Lords, le DPP fait, accessoirement, taire cette inqualifiable infamie véhiculée çà et là, liant Medpoint à une autre affaire… Mais que ce honteux amalgame n’occulte pas l’essentiel, notamment son choix de laisser le soin à Londres, notre ultime rempart, de jauger la justesse, par extension, d’un autre propos du juriste Barbès-Pougnet «…Cette jurisprudence n’apporte pas une avancée aux droits de l’Homme mais permet l’impunité… » Celle-là même qui nourrit davantage ces trop nombreuses dérives que nous impose l’absence dramatique d’éthique de la classe politique et dont nous sommes les témoins impuissants…

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