Après la farce, la tragédie

Avinaash I. Munohur

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L’histoire se répète toujours deux fois.

La première fois comme tragédie, la seconde comme farce.

[Karl Marx]

À moins d’un renversement spectaculaire dont elle semble avoir le secret, Ameenah Gurib-Fakim quittera le poste de la présidence de la République le 23 mars prochain. Ces derniers jours ont vu se défiler une série d’événements tous aussi ubuesques les uns que les autres. Pour faire simple : une nominée politique – s’appuyant sur une Constitution qui ne permet pas la destitution rapide de la présidente qui n’est pourtant pas une élue du peuple – a tenté de prendre le gouvernement démocratiquement élu de la République de Maurice en otage. Certains parlent déjà de coup d’État ou de putsch. Ce n’est techniquement pas le cas, mais nous ne sommes, dans les faits, pas aussi éloignés que cela du compte. C’est dire la gravité de ces événements.

L’histoire avait pourtant bien commencé. Elle était même belle. Un conte de fées à l’ère des réseaux sociaux. Une fiction bollywoodienne devenue réalité, avec château à la clé. Un symbole de réussite et un emblème féministe à prix discount, comme seuls savent nous vendre les grands publicitaires. Elle n’est pas sans rappeler Marguerite, jeune fille timide se métamorphosant grâce à ses bijoux en une femme sûre de son aura, dans l’Air des Bijoux de Charles Gounod – air d’opéra rendu célèbre par le personnage de la Castafiore dans Tintin. Ameenah Gurib-Fakim, femme originaire d’un milieu modeste ayant gravi les échelons de la hiérarchie sociale mauricienne grâce à l’éducation, à la persévérance et au travail, devient présidente de la République à l’issue d’un virement politique dont le ministre mentor peine toujours à s’en remettre. Un symbole fort que le rêve mauricien est toujours intact dans notre société post-Soornack.

Mais ça, c’était avant. Force est de constater que nous sommes aujourd’hui face à une situation inédite dans notre histoire politique et la réponse que nous donnerons à ce précédent qui vient d’être créé aura des répercussions profondes sur l’avenir de notre démocratie. Jamais un président n’avait autant su utiliser pour son compte les zones d’ombre et les non-dits de notre Constitution sur les pouvoirs de la présidence de la République, ainsi que la séparation des pouvoirs entre le chef d’État et le chef du gouvernement. Cette sordide affaire aura donc au moins un mérite, celui de faire éclore au grand jour une très grande faiblesse de notre système : le fait qu’une nominée politique puisse aussi facilement contrarier les mécanismes démocratiques de notre gouvernement.

Imaginons un instant que le Premier ministre commandait une faible majorité à l’Assemblée nationale et que les forces de l’opposition ne s’étaient pas clairement déclarées contre les agissements de Madame Gurib-Fakim. Que se serait-il alors passé ? Le bras de fer entamé par la présidente se serait transformé en une spirale infernale où chaque apparition et déclaration de cette dernière aurait eu pour objectif de mettre à mal l’action du gouvernement. La conséquence d’une telle escalade aurait été qu’une nominée politique aurait de facto paralysé l’action d’un gouvernement démocratiquement élu au suffrage universel. Le Premier ministre n’aurait alors pas beaucoup d’autres choix que de déclarer des élections générales. Il serait légitime, dans cette hypothèse, de parler d’un éventuel putsch.

Il s’agit ici, bien évidemment, d’une fiction. Les choses ne sont pas allées aussi loin que cela, fort heureusement. Et quel que soit notre sentiment sur l’actuel gouvernement, nous devons absolument nous préserver d’un modus operandi aussi ouvertement anti-démocratique et dangereux – chose que les leaders des différents partis politiques ont fait avec brio, sauf peut-être Navin Ramgoolam dont les déclarations à la suite de la nomination de la fameuse « Commission d’enquête » entretiennent une ambiguïté qu’il aurait tout intérêt à éclaircir. Mais la boîte de Pandore que vient d’ouvrir la future ex-présidente ne peut pas rester sans réponse politique car elle a fait la démonstration qu’un tel scénario était effectivement possible, et qu’une personne qui n’est pas un(e) élu(e) du peuple – il ne faut jamais cesser de rappeler ce fait – a eu les moyens pendant quelques jours de jouer avec la chose politique comme s’il s’agirait de sa propriété.

Ne nous y trompons pas, nous ne sommes qu’au premier chapitre de cette farce. Le précédent que vient d’engendrer Madame Gurib-Fakim fera un jour des émules – il ne s’agit là qu’une question de temps et d’opportunité. Espérons que nos élus auront la sagesse de proposer rapidement des solutions adéquates facilitant la mise à l’écart du président de la République si une telle situation venait à se reproduire ; voire même, pourquoi pas, considérer l’abolition d’un poste qui coûte Rs 60 millions par an au contribuable – le pays étant beaucoup mieux servi si cet argent était investi dans la lutte contre les inégalités sociales.

Il en va, dans tous les cas, de la pérennité de notre démocratie de s’assurer que cette farce ne se répète pas un jour sous la forme d’une tragédie.

Avinaash I. Munohur est le fondateur de l’Institute for Policy Studies, un think-tank indépendant dont le but est la production et la promotion d’idées politiques progressistes à Maurice. Pour en savoir plus : www.mauritiusforward.org

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