Après les inondations à Richelieu : une rencontre, Valencia

Il y a ces enfants qu’on croise ou rencontre plus longuement lors d’un reportage et qui bien des années plus tard vous interpellent parce qu’ils se souviennent encore de ce moment où leurs parents vous ont parlé de leur combat au quotidien. Valencia en fait partie. C’est dans les rues de Cité Richelieu, où les inondations ont laissé des traces que nous revoyons Valencia, âgée aujourd’hui de 18 ans et maman d’un petit garçon d’un an. Dans quelques jours, elle mettra au monde son deuxième enfant.

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Avant de revoir cette gamine qui, il y a sept ans, avait ému nos lecteurs, parce qu’elle n’avait ni matelas pour dormir ni couverture pour se réchauffer en hiver, nous arpentons les rues de sa cité, celle de Richelieu. Au lendemain des pluies torrentielles, Cité Richelieu, une des régions les plus affectées par les inondations, s’en remet aux rayons du soleil ardent pour faire sécher tout ce qui peut l’être. Ou ce qu’elle peut encore sauver.
Dans les rues, surtout celle de Black River, où l’eau a inondé des maisons, des effets sont amoncelés devant les portes. Derrière celles qui sont restées fermées, l’eau, l’humidité et des saletés ramenées par les manholes sont toujours présentes dans les maisons. Les occupants des lieux ont dû évacuer leur domicile précaire pour le centre communautaire de la cité. Là-bas, c’est la colère qui se mêle à la détresse.

« Je n’ai plus de vêtements ! » se désole une mère de famille. Sa fille, Annabella, 24 ans, porte une robe qui, dit-elle, n’est pas la sienne. « Linz mo nepli ena », confie la jeune femme. Son mari, maçon, est allé travailler. Son jeune frère, en Grade 3, n’a pas été à l’école. « Mo bann zafer lekol inn tranpe », explique l’enfant, qui fait passer le temps. Il joue à côté d’une tente de camping montée dans le centre communautaire. C’est Annabella et son mari qui y dorment.

Dans la cité, où les résidents seront bientôt des témoins directs du dépôt du métro express, c’est l’agacement qui se fait sentir et non l’enthousiasme de l’avènement d’un transport moderne. « Cela fait des années que nous sommes victimes des inondations après des pluies torrentielles. On a archi fait entendre nos griefs. Mais les autorités ont toujours fait la sourde oreille», scande le travailleur social Mario Maudarbacus.

Garder son sourire d’enfant

Nous continuons à avancer dans la cité. Le petit restaurant à l’entrée profite de la sortie du soleil pour faire sécher des saucisses chinoises, accrochées à une barre, laquelle est maintenue par un escabeau et le grillage du terrain de jeu.
En route, une jeune femme vient à notre rencontre. Son visage nous est familier. C’est ou plutôt c’était une enfant de la cité. Valencia Garnette a gardé le même sourire, les mêmes yeux malicieux de la fillette qu’elle était quand nous l’avons vue pour la première fois, un soir d’août 2011. Il y a sept ans, sa mère, Marie Claire Garnette, nous racontait les nuits d’hiver dans sa maison fragilisée par l’usure du temps et une certaine négligence. Pour que les plus petits, Valencia et son jeune frère, n’aient pas froid, elle avait cousu un drap avec des sacs de goni (jute) en guise de couverture. Et quand la nourriture faisait défaut, elle allait cueillir des brèdes dans le cimetière du village et se rendait à la grotte de la cité où elle trouvait du pain. Pour remplacer le thé qui manquait dans la tasse de ses enfants, elle torréfiait des grains de riz, y rajoutait du sucre pour les caraméliser avant de mélanger le tout à de l’eau.

Valencia, tient la main d’un enfant. C’est le sien. Il a un an. Et elle à peine 18 ans. À l’époque, elle avait des rêves de petite fille, c’est-à-dire devenir grande, travailler et être heureuse. Quand elle rentrait de l’école, Valencia ne jouait pas. Elle ne faisait pas ses devoir non plus. « Kan mo sorti lekol, mo al kot dimounn mo netwaye, mo ras lerb Mo gagn dis, kinz roupi. Mo donn mo mama larzan pou aste dipin », nous confiait-elle alors. Les années ont passé et Valencia dit vivre un de ses rêves de petite fille : elle est heureuse. Elle n’a jamais été douée pour les études. Mais pour des bêtises d’adolescente.
P

uis un jour, alors qu’elle vendait des boulettes à la gare de Curepipe, elle a croisé le regard d’un jeune homme. Elle avait environ13 ans. Il habitait aussi la cité. Ils sont tombés amoureux. Valencia est tombée enceinte alors qu’elle avait à peine 16 ans. Il était déjà adulte. Il a présenté sa fiche de paye auprès des services de l’enfance et a promis de s’occuper de la jeune fille. C’est ce qu’il a fait. Avec l’aide de son père, il a construit une maison dans un autre village pour sa compagne et son fils. « Il est un bosseur. Il travaille sur des chantiers et pratique le sport. Il me comble. Je n’ai même pas besoin de travailler. Je m’occupe de ma maison et c’est tout », nous confie-t-elle.

Avec Valencia, nous nous rendons chez sa mère. Là où nous l’avons rencontrée il y a sept ans. Valencia attend son deuxième enfant. « Mes affaires sont prêtes. Je vais accoucher dans quelques jours », dit-elle. Elle sait qu’elle est très jeune pour être à nouveau mère.
Mais dans la cité, personne ne la regarde autrement. « Ici, des filles tombent enceintes très jeunes », poursuit-elle. Valencia ne parle plus d’avenir. « Parce qu’aujourd’hui j’ai un petit garçon et après je vais élever mes enfants. J’irai peut-être travailler dans une usine non loin où j’habite », explique la jeune femme. Chez sa mère, le décor n’a pas beaucoup changé, si ce n’est les traces laissées par l’eau boueuse tant de Berguitta que des dernières averses. « Quand j’ai vu l’eau s’accumuler à l’intérieur de la maison vers une heure du matin, je me suis assise sur la table de la cuisine et j’ai attendu. Il était presque 4h lorsque j’ai entendu mes voisins dans la rue. Je suis alors sortie et j’ai été me réfugier au centre communautaire », raconte Marie Claire Garnette, 52 ans.

Depuis le départ de Valencia et son benjamin qui a été vivre chez des proches, cette dernière vit seule dans la maison imprégnée par l’humidité et une chaleur étouffante. Il y a sept ans, Marie-Claire Garnette nous montrait un lit dépourvu de matelas qu’elle partageait avec ses deux enfants. Hier, c’est un vieux matelas qu’elle avait mis à sécher dans l’arrière-cour délabrée. Si l’éponge ne sèche pas, c’est sur un lit à ressort sans matelas que Marie-Claire dormira.

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