AQIIL GOPEE, lauréat du Prix du jeune écrivain de langue française : « Je me suis senti opprimé, tellement différent… »

À 16 ans, Aqiil Gopee, élève au collège Royal de Curepipe, est parmi les quatorze lauréats du Prix du jeune écrivain de l’Organisation internationale de la Francophonie. Auteur de plusieurs nouvelles dont le recueil Fantômes, édité par Barlen Pyamootoo et préfacé par Ananda Devi, l’adolescent pour qui « l’écriture est le moyen principal de (s)’affirmer » a également décroché une mention au prix de poésie jeunesse Point Barre en mars 2013. À croire que ce mois lui porte chance, à pareille époque cette année, il se verra décerner son Prix du jeune écrivain au Salon du livre à Paris. Y sera présentée la publication, par Buchet Chastel, du recueil de 14 nouvelles dont la sienne intitulée Loup et Rouge. Le jeune nouvelliste dont le talent ne cesse de se confirmer en profitera pour trouver un éditeur français pour son prochain roman. Dans cet entretien, celui qui aime à parler du « coeur ténébreux de l’écrivain » évoque une période de « dépression » qui a suivi son succès. « Je me sentais opprimé à cause des jeunes. Je me suis senti tellement différent à un moment ».
On vous connaît pour votre talent d’écrivain alors que vous n’avez que 16 ans. Mais, à côté de cela, qui est Aqiil Gopee ?
Je suis l’aîné d’une fratrie de quatre enfants. J’ai trois frères. Mon père est ingénieur civil et ma mère, femme au foyer. J’habite Beau-Bassin. Je suis plutôt calme. Je me mets le plus souvent à l’arrière-plan pour observer autour de moi. J’ai commencé à écrire à l’âge de onze ans. Je lisais beaucoup à l’époque. Je pense que c’est la surcharge de lectures qui en fut à l’origine… Mon père m’achetait des livres tous les jours.
Écrivez-vous également en anglais ?
Très peu. J’écris et je lis davantage en français.
À onze ans, quand vous avez commencé à écrire, quels étaient les auteurs que vous aviez entre les mains ?
C’était surtout des livres pour la jeunesse tels la collection Chair de Poule par R.L. Stine.
C’est de là que proviennent le macabre et le fantastique qui caractérisent votre écriture ?
Oui, mais c’était surtout à mes débuts. Aujourd’hui, j’essaye d’aller vers des thèmes moins sombres. J’essaie de combiner plusieurs genres. Avant, c’était seulement le fantastique et le macabre. Mais, j’ai toujours le temps d’essayer. Dans mon dernier recueil de poésie, Orgasmes, j’aborde les troubles de l’adolescence, la sexualité et la violence…
Est-ce que le macabre était un moyen pour vous de mieux mettre en relief certaines réalités de la vie ?
Je pense que oui car quelque part, il y a une dimension de fiction et de réalité qui attire davantage que des faits divers qu’on voit tous les jours dans les journaux. Dans mon deuxième livre, Fantômes, je parle beaucoup de la souffrance des femmes liée aux hommes, la violence conjugale. C’était peut-être un peu macabre mais cela laissait en même temps apparaître la réalité.
Vous vous attelez actuellement à la publication d’un nouveau roman…
Je prépare un roman dont l’histoire se déroule à l’époque de l’immigration indienne à Maurice. J’essaie de tendre vers ce réalisme.
Avez-vous beaucoup avancé ?
Pas vraiment. (Rires) J’essaie d’abord de faire beaucoup de recherches. Je travaille également sur une nouvelle que je dois soumettre cette semaine dans le cadre d’un concours en France, le Prix de la Jeune écriture francophone Stéphane Hessel, destiné aux 15 à 20 ans.
De quoi parlait votre oeuvre primée au Prix du jeune écrivain de langue française et qui vous vaudra une participation au Salon du livre à Paris en mars prochain ?
Le titre est Loup et Rouge. C’est la reconstruction du conte du Petit Chaperon Rouge. Le loup devient protagoniste en même temps que Rouge. Et, la grand-mère devient l’antagoniste. Elle prostitue sa petite-fille, Rouge. Loup joue le rôle du sauveur…
Cette déconstruction du conte a visiblement plu…
Oui !
Vous avez dit dans un article de journal que l’acte d’écrire est « ma seule façon à moi de m’affirmer, de m’assurer que je mérite vraiment une place dans le monde où je vis […] ». Le pouvoir de l’écriture est pour vous indéniable ?
Oui, c’est quelque chose qui a quand même changé ma vie. Je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui si je n’avais pas écrit. J’ai peut-être un peu exagéré en disant que c’est la seule chose que je puisse faire. Je peux faire autre chose mais l’écriture est le moyen principal pour moi de m’affirmer.
Quels sont les autres pouvoirs de l’écriture ?
Cela permet, peut-être inconsciemment, d’influencer les gens.
L’écrivain n’existe pas sans ses lecteurs, dit-on. Êtes-vous d’accord ? Pensez-vous aux destinataires de votre texte lorsque vous écrivez ou est-ce surtout pour votre propre plaisir que vous écrivez ?
Je pense que c’est le plaisir qui est avant tout le but de l’écrivain. De l’autre côté, il est très difficile d’ignorer complètement le lectorat. On écrit pour soi mais si on veut être publié, on doit penser à l’éditeur et aux lecteurs. Le mieux est de ne pas penser à tout cela parce qu’on pourrait être pris de doute. On ne sait plus si c’est pour soi ou pour le lecteur. Il peut y avoir beaucoup de doute.
Qu’est-ce qu’un écrivain pour vous ? A-t-il un rôle purement artistique ou aussi utilitaire ? Est-ce l’art pour l’art ou l’art pour la société ?
Pour moi, personnellement, c’est l’art pour l’art. Mais, je pense que c’est au lecteur de prendre cet art et de le mettre au service de la société. Pour moi, c’est avant tout l’écriture et non pas écrire pour dénoncer un travers. Mais, les lecteurs peuvent l’interpréter à leur manière. Si je dénonce quelque chose, je le fais subtilement. Il y a toujours une petite brume de fiction autour. Je ne le fais pas ouvertement.
Vous avez déjà dit que les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent rien de la vie et que c’est une chance de ne rien connaître de la vie, qu’ils sont malgré tout heureux. Que vous, vous vous haïssez et que l’avenir vous est incertain. C’est un peu fort. Est-il vrai pour vous qu’on est mieux inspiré quand on souffre ? Faut-il avoir ce “vague à l’âme” ?
(Rires) À l’époque où j’ai écrit cela, j’étais assez dépressif. Mais, c’est une époque où j’ai en même temps beaucoup produit. Donc, je dirais que oui, la souffrance n’est peut-être pas essentielle à l’écriture mais aide grandement. On est mieux inspiré, surtout pour la poésie parce qu’on ne réfléchit pas vraiment en écrivant. Cela vient naturellement et cela fait toujours sens.
Vous inspirez-vous d’un style précis pour la poésie ?
J’ai plutôt un style libre et j’aime la prose poétique.
Qu’est-ce qui vous interpelle chez les jeunes de votre âge ? Partagez-vous les mêmes valeurs qu’eux ?
Je pense que oui. De manière basique, oui. Mais, j’ai peut-être une façon un peu plus profonde de voir les choses et d’analyser. Ce qui fait que je diffère quand même. Mais, je suis jeune, je pense donc que je partage la même culture qu’eux.
Vous disiez plus tôt que quand vous avez écrit que les jeunes ne savent rien de la vie, vous étiez assez dépressif. Vous sentiez-vous mal par rapport à ceux de votre groupe d’âge ?
Je me sentais opprimé à cause des jeunes. Je me suis senti tellement différent à un moment. Je pense que c’était juste un cap.
Vous aimez parler du “Coeur ténébreux de l’écrivain”. Quelles sont les souffrances que vous vivez quand vous vous mettez à écrire ?
(Rires) C’était surtout au moment où j’écrivais Orgasmes. Je me suis lâché. J’ai écrit toutes mes souffrances, mes plaintes. C’est surtout quand j’écris de la poésie parce que la poésie vient de l’intérieur. Par contre, quand j’écris de la prose, je souffre moins. Peut-être légèrement par rapport à mes personnages parce que je me sens attaché à eux. Sinon, c’est plus facile pour moi.
Comment conciliez-vous l’écriture et les études ?
Je viens de prendre part aux examens du School Certificate. Même quand j’étudie, je note toujours quelques petites idées dans ma tête même si je n’écris pas à plein temps. Généralement, je m’en sors et je manque beaucoup de sommeil parce que j’écris la nuit.
Vos parents, comment voient-ils le fait que vous veillez la nuit pour vous consacrer à l’écriture ?
Ils me laissent faire. Ils ont confiance en moi parce qu’ils savent que je ne vais pas délaisser mes études.
Vous prenez des leçons particulières ?
Très peu.
On retrouve souvent dans votre écriture des phrases qui s’enchaînent de manière imagée sans ponctuation, des choses décrites avec excès et de manière acerbe… Vous vous inspirez d’Ananda Devi. Vous inspirez-vous d’autres écrivains tels que Céline, connu aussi pour ses mots choquants parce que violents et inattendus ?
Céline, non. Ananda Devi, oui.
Vous êtes jeune, il est vrai. Mais, ne vous reproche-t-on pas parfois d’avoir un style que vous auriez trop emprunté à Ananda Devi ? N’y a-t-il pas parfois trop de ressemblances ?
Parfois, c’est vrai qu’on me dit : « Tu dois te détacher d’Ananda Devi ». En fait, après la lecture des collections de jeunesse, c’est Ananda Devi le premier auteur que j’ai vraiment lu et qui m’a inspiré. Donc, je pense que c’est normal qu’au début j’ai été complètement inspiré par elle. Mais, c’est vrai que parfois on me dit « ton style est trop proche de celui d’Ananda Devi. Il faut que tu trouves ton propre style ». J’essaie de le faire, de me détacher de l’écriture mère – pas Ananda Devi – mais l’écriture. J’arrive de plus en plus à le faire. J’essaie d’écrire un peu moins poétiquement avec des images un peu moins métaphoriques. J’essaie de dire les choses telles qu’elles sont mais pas trop non plus. J’élargis aussi mes horizons de lecture. Avant, je ne lisais qu’Ananda Devi.
Quels sont les auteurs que vous lisez maintenant ?
Je me suis intéressé aux membres du Jury du Prix du jeune écrivain. Il y en a 17 je crois ! Je vais acheter les livres de chacun… Il y a par exemple Sylvie Germain et Bernard Quiriny. Chacun a son propre style. Et, ce que j’écris désormais est un peu le résultat de tout cela.
Avec la reconnaissance et la médiatisation de vos talents depuis ces deux dernières années, comment vos amis de classe et vos profs vous voient-ils ? Leur regard est-il demeuré le même ?
La plupart ont plus ou moins changé.
Ou alors est-ce vous qui avez changé par rapport justement à cette médiatisation de votre talent ?
(Rires). En général, je pense qu’ils sont assez fiers de moi. J’ai eu beaucoup d’encouragements d’eux mais c’est vrai qu’il y en a qui me regardent d’un regard un peu moins joyeux. Je ne dirais pas que c’est de la jalousie mais il y a quand même un certain mépris. Justement, c’est l’une des raisons qui m’avaient poussé à la dépression… Il y avait des gens qui commençaient vraiment à devenir méchants.
Par exemple, des commentaires ?
Des commentaires. Ils ne venaient pas forcément me les faire en face. C’est encore plus douloureux. Des gens que vous croyiez être vos amis.
Vous faites partie de l’élite du secondaire, étant au RCC. Que pensez-vous des star schools et des stars colleges ? Êtes-vous pour ou penchez-vous plus pour un système de régionalisation ?
Je pense que la régionalisation a ses avantages. Mais, de l’autre côté, les stars schools peuvent aider les élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes. Mais, cela peut créer aussi une sorte de déchirement, certains voulant y aller mais ne le pouvant pas.
Vous vous voyez déjà dans une carrière précise ?
C’est un peu difficile à dire parce qu’il y a tellement de possibilités contrairement à ceux qui disent que quand on choisit la littérature, ses horizons sont réduits. Au contraire, moi je trouve qu’il y a trop de choix. Principalement je souhaiterais me lancer dans une carrière d’écrivain mais à côté, il faut absolument que je fasse quelque chose d’autre. Il y a le journalisme, la photographie, le Graphic Design.
Quelles sont les matières que vous comptez étudier en HSC ?
Français, anglais et sociologie comme matières principales et islamique comme matière subsidiaire.
Vous serez au Salon de Paris en mars prochain où vous recevrez le Prix du jeune écrivain de langue française. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Pour moi, c’est une confirmation de ce que je peux faire et aussi une ascension au niveau international. Cela me donne plus de confiance dans mon écriture et j’ai tendance à aller maintenant davantage vers l’international qu’avec les éditeurs locaux. Pour mon prochain livre, je vais essayer de trouver un éditeur français. J’aurai l’occasion d’établir des contacts au Salon.
Ce Salon est une aubaine pour vous. Êtes-vous le seul Mauricien à être primé à l’issue de ce concours ?
Je pense que depuis toute l’histoire du concours, je suis le seul Mauricien à avoir été primé.

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