Armoogum Parsuramen, président-fondateur de la Global Rainbow Foundation : « Nous attendons toujours une loi pour les personnes handicapées »

Dans l’interview qu’il a accordée au Mauricien, le président et fondateur de la Global Rainbow Foundation (GRF), Armoogum Parsuramen, passe en revue la situation des personnes handicapées et celle des personnes âgées, qui sont les plus à risques en cette période de crise sanitaire. Il observe ainsi que le pays est toujours en attente d’une législation pour les personnes en situation de handicap. Il évoque également le travail accompli par la GRF, qui célèbre cette année ses neuf ans d’existence. Armoogum Parsuramen réaffirme aussi sa décision de ne pas s’engager dans la politique active, tout en se réservant cependant le droit de dénoncer ce qu’il considère comme étant des injustices.

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Vous avez invité le gouvernement à réfléchir sur les recommandations de l’Union européenne en faveur des personnes handicapées. Pouvez-vous nous en parler ?

À l’heure actuelle, nous sommes tous conscients que la pandémie actuelle de coronavirus pèse sur tout le monde. La GRF est très préoccupée par la situation des personnes handicapées et des personnes âgées, qui sont les plus vulnérables pendant ce couvre-feu sanitaire. Ces personnes sont confrontées à un risque accru d’infection par le Covid-19 ainsi qu’à des abus physiques et psychologiques dus à l’isolement, à la négligence et, même, à l’abandon. La situation qui règne génère un air condescendant d’inquiétudes à Maurice, qui favorise la violence domestique, les conflits familiaux et les mauvais traitements envers ce groupe vulnérable. Ce dernier est principalement exposé à ces conditions de vie conflictuelles et inquiétantes en plus de l’impossibilité d’accéder aux traitements, à la nourriture, aux couches, le tout sans l’aide requise, etc.
L’Union européenne (UE), après une observation approfondie, des recherches et un service actif de première ligne au groupe vulnérable, à travers son forum européen des personnes handicapées (EDF), exerce une forte pression sur le monde afin d’agir en faveur des personnes handicapées. Elle met l’accent sur les recommandations visant à faciliter l’élaboration de politiques en vue d’améliorer les conditions de vie des personnes handicapées. Conformément à sa mission, l’UE est résolument engagée à éliminer les inégalités pour promouvoir l’inclusion sociale, l’indépendance économique et politique, et une intégration globale des personnes handicapées dans différents domaines de la vie. C’est dans cette ligne que ces recommandations ont été judicieusement formulées.

Donc, la GRF travaille en collaboration avec l’UE ?

La GRF travaille beaucoup avec l’UE pour ses projets concernant les handicapés depuis une année. Ce projet couvre différents handicaps et différentes activités, et comprend la fourniture de prothèses, des visites médicales, la formation d’ONG et l’organisation de campagnes de sensibilisation pour défendre les droits des handicapés. Nous faisons également la formation pour l’emploi. La GRF est très inspirée par l’UE, qui est une organisation indépendante, avec sa propre vision et sa propre philosophie. Elle a une stratégie très claire avec certaines exigences, comme la « gender parity ». Elle joue aussi son rôle pleinement à Maurice. L’ambassadeur de l’UE accorde d’ailleurs beaucoup d’importance à la défense des droits des handicapés. Une législation a été annoncée, mais n’a pas été présentée durant les cinq dernières années. C’est une faiblesse majeure pour les personnes handicapées. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas de législation, ces personnes continueront d’être marginalisées. Un grand pays comme l’Inde a déjà sa législation. Je sais que l’ambassadeur de l’UE attache beaucoup d’importance à cette législation ainsi qu’à toutes les questions concernant la « gender-based discrimination ». Nous comptons sur lui pour donner un coup de main dans l’intérêt de Maurice dans le cadre de la vision européenne. Notre devoir est de faire des représentations auprès de ces organisations, qui ont une influence sur Maurice, donnant ainsi un coup de main au plaidoyer que nous faisons.

Quelle est la situation des personnes en situation de handicap à Maurice en cette période de confinement ?

Les personnes handicapées font partie des groupes les plus vulnérables, avec une hygiène de vie spécifique. Sans compter que, dans de nombreux cas, elles ont besoin d’aide pour effectuer les tâches quotidiennes les plus simples. En plus d’être particulièrement confrontées à un risque accru d’infection par le Covid-19, ces personnes peuvent pâtir de difficultés d’accès aux soins, d’un manque de nourriture ou de couches, de la solitude, de se retrouver sans aidant (« carer ») au quotidien… Mais aussi, elles peuvent subir des abus physiques et psychologiques dus à l’isolement, à la négligence et, même, à l’abandon.
A la GRF, nous sommes très préoccupés par la situation de ces personnes, qui sont aujourd’hui plus vulnérables que jamais. C’est pourquoi nous travaillons activement et restons opérationnels durant le confinement en mobilisant notre personnel et nos sponsors afin de leur venir en aide prioritairement. Nous leur apportons une aide psychologique, un support ainsi que des conseils via un service de télémédecine, assuré par nos généralistes, psychologues, kinésithérapeutes et ergothérapeutes. Nous avons également mis en place un service d’aide alimentaire et assurons la distribution de « food packs », de couches et de masques à nos amis handicapés.

Comment le gouvernement peut-il aider les handicapés pendant cette période de confinement ?

Comme stipulé dans les recommandations faites par le forum européen des personnes en situation de handicap, il faudrait dans un premier temps désigner des prestataires de services à domicile (soins, personnel de soutien et assistants). Ces groupes de services de soutien doivent pouvoir obtenir un permis de travail pour rendre visite à leurs patients, recevoir les équipements de protection individuelle nécessaires et bénéficier d’une courte formation afin de minimiser l’exposition et la propagation de l’infection.
La mise en place d’une ligne d’assistance téléphonique pour ces services permettrait de faciliter la communication avec le gouvernement, qui serait ainsi au fait de la situation sur le terrain et proposerait des réponses concrètes aux préoccupations des professionnels de la santé, des aidants. Il est par ailleurs indispensable que le gouvernement organise des campagnes de sensibilisation et de suivi pour identifier et aider les personnes en situation de handicap privées de liberté ou maltraitées à domicile, et leur fournir un soutien adéquat dans le respect de leurs droits fondamentaux. Pour terminer, il lui faut travailler de concert avec les entreprises, les associations et ONG pour s’assurer que les personnes ayant besoin d’aide aient un accès prioritaire aux services de livraison de nourriture et de courses, ainsi qu’à d’autres aides essentielles à domicile. Cette liste de mesures à prendre d’urgence est bien sûr non exhaustive, mais garantirait néanmoins aux personnes handicapées, aux travailleurs sociaux et aux équipes de soin de santé l’assurance de vivre mieux et de surmonter cette période de confinement.

Vous consacrez-vous entièrement à la cause des handicapés ou avez-vous d’autres activités également ?

En fait, je suis heureux de mentionner que malgré le couvre-feu, mon équipe et moi, ainsi que nos collaborateurs et sponsors, travaillent dans un état d’esprit enthousiaste. Nous avons été en première ligne pour la distribution de colis alimentaires aux groupes nécessiteux et vulnérables. Nous sommes en contact permanent avec nos bénéficiaires via WhatsApp, Zoom, le téléphone, etc., pour assurer leur accompagnement dans ces moments difficiles. Nous avons mis en place des services de télésanté. Nous organisons également des campagnes contre la violence domestique. Nous avons lancé un concours de dessins et de peintures pour les 0-15 ans. Nous sommes engagés dans des formations et des cours en ligne, entre autres, et organisons des cours pour nos bénéficiaires. Comme vous pouvez le constater, la GRF diversifie ses services en gardant les personnes handicapées et les personnes âgées au cœur de ses activités.

Puisque vous êtes aussi engagés auprès des personnes âgées, comment se présente leur situation en cette période de confinement ?

Les séniors, à l’instar des personnes handicapées, font partie des groupes les plus vulnérables et les plus à risque face à la pandémie de Covid-19 qui sévit actuellement. Ils subissent de plein fouet le confinement en se retrouvant, pour certains, plus isolés et démunis que jamais. Dans un contexte où la solitude et l’ennui sont parfois plus mortels qu’un virus, il nous faut donc par tous les moyens manifester notre présence auprès de nos aînés. L’accès aux soins, à la nourriture, aux services, comme la banque, n’est pas des plus facile et s’avère être source de stress pour beaucoup. Sans compter le risque accru de contamination. Tous n’ont pas non plus la possibilité de se mouvoir, de faire la queue au supermarché ou à la pharmacie. L’accès à la nourriture et aux médicaments devraient par conséquent être facilité par un service de recensement des personnes nécessiteuses et de livraison à domicile quasi systématique.
Si le confinement est, en effet, une nécessité absolue pour protéger les personnes les plus fragiles, il peut par ailleurs entraîner des conséquences fâcheuses sur la santé physique et mentale de nos aînés. L’absence de visites, l’inactivité physique, la sédentarité, le stress et l’angoisse les affaiblissent. C’est pourquoi ils doivent avoir un référent à contacter et à qui parler en cas de problème, car les contacts sont cruciaux durant la crise. Et autant que possible, ils doivent rester « actifs » en se levant toutes les heures, ou du moins en mobilisant leurs bras et leurs jambes régulièrement.

Vous-même, comment cette pandémie vous interpelle-t-elle ?

La crise mondiale que nous traversons actuellement nous interpelle tous. Elle bouleverse nos habitudes, notre quotidien. Nous essayons tant bien que mal de nous y adapter, en gardant calme et patience. En ces temps d’incertitudes, comment tenir le coup sur la durée, physiquement mais aussi spirituellement ? Comment préserver les liens et soutenir ceux qui sont touchés personnellement par le virus, leurs proches, mais aussi les plus démunis, les plus isolés, les plus fragiles ? Nous n’avons pas la réponse à toutes nos questions, mais cela ne doit pas nous empêcher, bien au contraire, de retrouver notre sens des responsabilités, notre rôle citoyen, et de mettre nos égoïsmes de côté.
Le coronavirus nous amène définitivement à nous interroger sur nous-mêmes, sur le sens de la vie et celui de l’humanité. Personnellement, alors que je suis quelqu’un d’habituellement hyperactif, qui voyage beaucoup, je me retrouve face à moi-même, confiné à domicile comme des millions d’autres personnes. Alors, bien que déjà très porté sur la spiritualité, je médite beaucoup, je prie, je fais du yoga, je marche, je me repose davantage… J’en profite également pour contacter connaissances et amis afin de m’enquérir de leurs nouvelles, et enfin, je profite du temps passé en famille. Ce qui ne m’empêche pas de continuer à travailler depuis la maison, car à la GRF, nous restons plus mobilisés que jamais. Avec nos fidèles et incontournables partenaires et sponsors, nous réfléchissons sans arrêt ensemble aux moyens à mettre en œuvre pour venir en aide aux plus vulnérables. D’où les actions citées précédemment, entreprises au pied levé depuis quelques semaines.

Quels ont été les moments qui vous ont le plus marqué en tant que président de la GRF ?

La GRF célébrera bientôt ses neuf ans d’existence. Nous avons commencé par offrir des prothèses à des amputés. A ce jour, nous avons aidé quelque 2 000 amputés, qui ont reçu des prothèses pour les pieds ou les mains. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. Je me souviens encore de la première fois où nous avons offert une prothèse à une personne qui était restée pendant cinq ans chez elle sans aucune mobilité. Lorsqu’on lui a remis sa prothèse, un 24 décembre, cette homme a dit, en larmes, qu’il avait reçu son cadeau de Noël et pouvait désormais marcher. C’était très fort et cela m’a touché au plus profond de mon cœur. Nous avons aussi donné des équipements à des enfants.

Pensez-vous que des mesures suffisantes ont été prises pour faire face à cette crise à Maurice ?

Ce n’est pas le moment de polémiquer. Face à cette pandémie, quelles que soient nos convictions politiques, nous devons nous exprimer d’une seule et même voix. L’Etat et les citoyens, dans leur ensemble, doivent s’efforcer de respecter les consignes strictes, et largement diffusées, en matière de prévention et d’hygiène, afin que les dégâts sur la population mauricienne soient limités. Le gouvernement doit cependant mettre l’accent sur une communication efficace, privilégier la santé publique, prendre les mesures d’urgence qui s’imposent et tenir compte des suggestions des uns et des autres, afin que personne ne soit laissé sur le carreau pendant et après la gestion de cette crise sanitaire, qui laissera derrière elle une situation économique et sociale critique.

Pourquoi ne vous êtes-vous pas engagés en politique ?

Lorsque je suis rentré au pays, après 14 ans passés à l’Unesco et à la Banque mondiale, j’avais 60 ans et je me demandais ce que j’allais faire. J’ai eu une invitation pour entrer en politique et j’ai refusé. Et ce pour deux raisons. D’abord, parce que je ne me sentais plus à l’aise en politique. Et ensuite, j’ai réfléchi à mon parcours personnel. J’ai été ministre de l’Education pendant 13 ans, mais aussi été à l’étranger… Bref, dans le cadre de ma réflexion, j’ai eu un déclic. J’ai réalisé que j’étais né dans une maison en paille, que mes parents n’étaient pas scolarisés. Je faisais partie d’une famille de 11 enfants et j’ai eu un sens de la gratitude pour mon père et ma mère, puis ensuite envers la circonscription, où j’ai été élu quatre fois, et mon pays. Comme je suis croyant, je me suis dit que Dieu m’a beaucoup donné dans cette vie, et qu’il fallait que j’aide les personnes au bas de l’échelle qui souffrent, afin qu’elles réussissent leur parcours. Depuis 2011, lorsque j’ai créé la GRF, je consacre mon temps à toucher le maximum de personnes à travers Maurice. Je me considère comme un citoyen du monde. J’ai travaillé au Sénégal, en Inde, aux Seychelles, aux Comores… Mais nous sommes bien établis à Maurice, avec une équipe formidable. La mission que j’ai choisie ne s’arrêtera pas maintenant. Je demande donc à Dieu de me donner le temps nécessaire pour accomplir ma mission. Je le fais avec amour et conviction. Je ne retournerai pas en politique. Je n’ai aucune ambition politique. Je ne suis motivé que par d’autres services, et à ce titre, je ne pourrais me taire si je vois des injustices, sans pour autant m’aligner sur aucun parti politique.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Il est difficile de se projeter dans l’après-confinement alors que nous sommes accaparés par la gestion de crise au quotidien. Cependant, au niveau de la GRF, je fais, et ferai, mon possible pour assurer la continuité de nos services et pour faire en sorte que nous tirions les leçons de cette épreuve. Ce contexte a été l’occasion de resserrer les liens avec nos partenaires, notamment avec l’UE, et nous entendons bien à l’avenir continuer de travailler conjointement en vue de renforcer les capacités de nos amis porteurs de handicaps, dans tous les domaines de la vie, afin de les aider et de leur donner les moyens de se lever et de briller. Nous sommes activement engagés dans notre mission commune d’effacer les inégalités en faveur de l’inclusion socio-économique, politique et professionnelle, sans aucun aspect discriminatoire. L’objectif premier est non seulement d’assurer l’égalité des chances, mais aussi de renforcer et d’améliorer les conditions de vie et l’indépendance économique. Antoine de Saint-Exupéry a dit : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »

Et Gandhi, un de mes maîtres spirituels, disait, lui : « Soyez vous-même le changement que vous voudriez voir dans le monde ! »

D’autre part, je crois fermement en Dieu et j’ai la conviction que les choses reviendront à la normale en temps voulu. C’est indéniablement une période difficile, mais nous la surmonterons dans la foi, l’unité, l’amour et le soutien. Inutile de dire que notre vie humaine a pris une direction différente. Nous sommes passés par une introspection importante pour une meilleure version de nous-mêmes ainsi que du monde en général.

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