ART SINCRONISS : L’art de l’espoir

Ils sont sculpteur, slameur, musicien. Ces trois jeunes de la Cité La Ferme ont uni leurs connaissances pour encadrer des enfants de leur quartier à travers l’art. En un an, sans grand moyen mais avec une passion réelle, Art Sincroniss a contribué à offrir de nouveaux rêves à ces derniers.
Donnez-lui une ravanne et le petit Freddy ferait danser n’importe qui. C’est qu’il a le sens du rythme, du doigté, et une voix, ce petit bout d’homme. Mettez-le au milieu d’autres gamins tout aussi doués et enthousiasmés et le résultat ne pourra qu’être explosif.
Dans le Centre de Jeunesse de Bambous cet après-midi-là, les roulements des ravannes et des djembés accompagnent avec entrain un pot-pourri improvisé des tubes du moment. Chansons locales et internationales, tout s’enchaîne au rythme du séga. L’ambiance monte d’un cran. Chloé et les autres petites danseuses ne tiennent plus en place et ne résistent pas à l’appel du rythme. Dansant devant les musiciens, elles sont aussitôt rejointes par leurs autres camarades dans un joyeux brouhaha.
Cette petite fête est en réalité une classe d’art. Le plus souvent, l’ambiance est très studieuse lorsqu’on apprend la sculpture, le dessin, la peinture, ainsi que les bases théoriques de la guitare, des percussions ou du chant. Mais régulièrement, quand vient l’heure des travaux pratiques, le décor change. Comme aujourd’hui.
La Ferme.
Ce n’est certainement pas Bleck Lindor qui refrénera l’enthousiasme de ses élèves. Beaucoup aura été dit sur la Cité La Ferme, d’où est issue la vingtaine de jeunes venue assister au cours de musique du jour. La précarité, la pauvreté et leurs dérives rendent difficile le cadre social dans lequel ils grandissent. “Ici, nous leur donnons l’occasion de s’exprimer. L’art, la musique, le slam, la sculpture, la peinture, leur donnent la possibilité d’extérioriser ce qu’ils ressentent au fond d’eux-mêmes”, confie le formateur.
Dans un environnement où les choses ne sont pas tous les jours roses, une telle occasion prend tout son sens pour ces enfants. C’est pour offrir une autre chance à leurs petits voisins que des jeunes de la région ont créé Sincroniss Art.
Progrès.
Ce n’est ni une ONG ni une association. La structure n’a pas été formalisée, encore moins officialisée. D’ailleurs, rien ne dit que le groupe évoluera en ce sens. Mais le travail s’y fait avec sérieux et rigueur vers les objectifs identifiés lorsque des amis du coin l’avaient mis sur pied.
Formateur en sculpture, Bleck Lindor, 23 ans, est aussi musicien. Brandone Pirogue, 22 ans, chante et joue de la musique, avec entre autres, Azaria Topize, fils de Kaya. Le slameur Fabien Raffaut est champion de Maurice, des Mascareignes et de France dans cette discipline.
Ici ou ailleurs, chacun a déjà goûté au succès et à la gloire. Ils ont eu l’occasion de grandir à travers l’art et ont décidé de partager leurs acquis auprès des autres gosses du quartier. “Nous n’avons pas encore terminé notre apprentissage. Nous le continuons maintenant auprès de ces enfants”, souligne Bleck Lindor, ancien apprenti du sculpteur de Bambous, Lewis Dick. Le partage se fait dans les deux sens, précise Fabien Raffaut : “Si tu expliques l’a, b, c, d du slam à un enfant, lui viendra y ajouter e, f, g, h. Tu apprends beaucoup à travers eux parce qu’une fois qu’ils ont saisi le sens des choses, ils progressent rapidement.”
Synchronisation.
Sincroniss Art, explique l’as des mots, est une expression trouvée pour résumer la philosophie du groupe qui fait que différentes formes d’expression artistique se rejoignent vers le même but. Plusieurs autres jeunes de la région se sont joints au trio de formateurs, et les rencontres se font deux fois la semaine. Mercredi après-midi, c’est classe de musique; le samedi est consacré aux autres disciplines. “Si ces enfants n’avaient pas été avec nous, on les aurait vus jouer au football sous le soleil, courir les rues à moitié habillés ou gambader au bord du réservoir.” Mais l’oisiveté les aurait surtout rendus vulnérables à des tentations aux conséquences souvent dévastatrices.
Sincroniss Art travaille en étroite collaboration avec les parents des enfants qu’il accompagne. Le projet a été expliqué aux adultes à travers des réunions de discussions organisées par les animateurs, qui demeurent à l’écoute des demandes des enfants. Initialement, ils avaient commencé par la sculpture. Les autres disciplines ont été rajoutées au programme lorsque les enfants ont manifesté le désir d’être exposés à d’autres formes d’art.
Bonjour.
Quand Bleck Lindor, Fabien Raffaut et Brandone Pirogue se rencontrent, ils se saluent toujours en se disant : “Mo kontan twa.” Devant les enfants, le geste constitue un message positif destiné à valoriser l’amitié et le sens du respect. Depuis qu’ils fréquentent Sincroniss Art, certains des enfants, qui avaient grandi sans vrais repères, ont commencé à dire bonjour et savent comment mieux se comporter. Avant, personne ne leur avait expliqué ces rudiments de la vie en société.
L’apprentissage à l’art est également devenu une occasion de mieux préparer à la vie ses enfants nés dans des circonstances défavorables. Ici, on leur apprend aussi à bien se tenir qu’à assumer leurs responsabilités. Les résultats se font ressentir dans les études académiques.
Attentes.
Freddy, le batteur de ravanne, espère un jour monter sur une grande scène pour montrer ce qu’il a appris ici. C’est désormais le rêve de plusieurs de ces enfants. Les expositions et petites fêtes organisées pour les parents et le voisinage leur ont permis de prouver ce dont ils sont maintenant capables, avec une fierté légitime qui les aide à construire leurs personnalités. Le petit Delton, lui, veut apprendre ses airs préférés à la guitare et Chloé veut que ses parents constatent ses progrès.
Sincroniss Art doit donc poursuivre sa route, puisqu’il y a de vraies attentes qui ont été construites autour du groupe. Des échanges, de nouvelles expositions, des concerts et plusieurs autres activités sont envisagés pour aider au développement des enfants. La volonté est là, mais la logistique et les moyens financiers n’existent presque pas. Soutenu par le Centre de Jeunesse de Bambous, le groupe lance un appel à des sponsors qui pourraient l’aider sur certains de ses projets.

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