Attentat à Toronto : Un Mauricien qui vit à cinq minutes de Greektown raconte

L’horreur a encore frappé à Toronto dimanche dernier. Alors que la métropole économique canadienne est encore en train de se remettre de l’attentat à la camionnette bélier qui avait fait 10 morts en avril dernier dans le nord de la ville, dimanche, un homme de 29 ans a tiré sur la foule dans le quartier de Greektown. Il a tué une fillette de 10 ans et une jeune femme de 18 ans et a fait une quinzaine de blessés avant d’être abattu lors d’un échange de tirs avec les policiers. Son action a été revendiquée par Daech, le mercredi suivant. La police de Toronto n’a pas validé cette thèse mercredi, mais l’enquête se poursuit sur l’attentat meurtrier de dimanche. Un événement qui suscite l’incompréhension, la peur et des interrogations dans ce quartier, pourtant tranquille. Henry Li, un Mauricien établi à Toronto depuis 31 ans, et qui vit à cinq minutes de Greektown, le lieu du drame, nous raconte…
Dimanche soir, à Greektown, des centaines de personnes sont dans les rues de Danforth. C’est une artère principale, où chaque week-end des restaurants grouillent de monde. Les citoyens profitent de la chaleur estivale en se répandant sur les places et dans les rues. “Greektown est un quartier plutôt calme. Les week-ends, c’est plutôt animé, car les gens, en famille ou en groupe d’amis dînent ou prennent un pot au restaurant. Quelques fois, il y a des petites bagarres, comme c’est le cas un peu partout dans les grandes villes bondées de gens. Donc, lorsque j’ai entendu les sirènes retentir, cela ne m’a pas inquiété”, dit Henri Li. Ce Mauricien d’origine habite près de Danforth Street. Seul à son domicile, ce soir-là, — son épouse se trouvant en vacances à Maurice —, il venait de se mettre au lit lorsqu’aux alentours de 22h, il a entendu hurler les sirènes et des cris. “C’était beaucoup plus fort que d’habitude. Beaucoup plus insistant. Cela a duré assez longtemps. Il y avait aussi ces cris. Mais, moi, j’étais loin d’imaginer un drame pareil. Je pensais à un accident”, dit-il.
Henri Li s’endort alors paisiblement. Il sera cependant réveillé par un coup de fil très tôt lundi matin. C’est sa femme qui l’appelle pour s’enquérir de ses nouvelles. “Elle m’a demandé si j’allais bien et ce que j’avais fait le dimanche soir. J’ai répondu que c’était comme d’habitude. C’est ensuite qu’elle m’a demandé si je n’avais pas été sur les lieux. Je ne savais pas de quoi elle parlait. Elle m’a alors annoncé la nouvelle de la fusillade qui avait eu lieu à deux pâtés de maisons de mon appartement. J’étais sidéré !”, raconte le retraité. Immédiatement, il allume sa télé. Toutes les chaînes racontent l’horreur de la veille. Plusieurs de ses amis qui vivent au Canada aussi bien qu’à Maurice l’appellent pour savoir s’il est en sécurité. Henri est estomaqué. Une fusillade a eu lieu à quelques centaines de mètres de chez lui !
Cela s’est passé vers 22h. Plusieurs témoins racontent qu’un homme vêtu de noir portant une sacoche et armé s’est approché d’un restaurant. Il a fait quelques pas avant de lever les bras devant lui et tiré sur des passants et des dîneurs attablés dans des restaurants et sur des terrasses, en zigzaguant le long de Danforth Street.
“Nous voyons des policiers partout. Ils sont dans les voitures, dans les rues, en civil, et même à cheval”
“Il y a eu beaucoup de coups de feu : des tirs, puis une pause, puis de nouveaux tirs et à nouveau une pause. Il doit bien y avoir eu 20 ou 30 coups de feu. Nous nous sommes mis à courir”, a déclaré un témoin, John Tulloch, cité par le Globe and Mail. Cette série de coups de feu a été suivie par des cris de gens qui fuyaient ce quartier animé de Toronto. Le tireur, un dénommé Faisal Hussain, a été retrouvé mort après avoir échangé des coups de feu avec des policiers. Lors de son attaque, il a fait deux victimes, Julianna Kozis, une fillette de 10 ans de Markham et Reese Fallon, une étudiante de 18 ans. Il a blessé une quinzaine de personnes, selon les autorités torontoises.
Ce soir-là, c’était la panique totale à Greektown. Du jamais vu. “Notre quartier est très calme. C’est un peu comme la rue Royale, à Port-Louis. C’est très animé, mais les citoyens sont respectueux. Ce qui s’est passé est inhabituel et troublant”, dit Henri Li.
Le Maurcien, qui donne un coup de main à son ami dans une boulangerie non loin de Greektown, a d’autres amis dans Danforth Street. Pas de Mauriciens, dit-il, cependant. Les nombreux Mauriciens qui y vivaient ont tous déménagé pour le nord de Toronto. Le quartier grec est devenu plutôt un quartier arabe, explique Henri Li. “Un quartier calme”, insiste-t-il.
Très tôt, lundi matin, il s’est rendu sur les lieux. Plusieurs pâtés de maisons au coeur de Greektown étaient bouclés par un ruban jaune de la police et presque toutes les entreprises locales étaient fermées.
Toutes les conversations, aujourd’hui encore, tournent autour de ce drame. Greektown pensait être à l’abri. Mais elle s’est trompée. Si, dans un premier temps, selon la presse canadienne, la famille du tireur a évoqué des problèmes mentaux pour expliquer l’acte de Faisal Hussain, mercredi après-midi, Daech a revendiqué l’attaque meurtrière.
Depuis Toronto est sur le qui-vive. Suivant l’attentat à la camionnette bélier perpétré en avril dernier, dans lequelle dix personnes sont mortes et plusieurs blessées, les effectifs policiers avaient été renforcés dans les principales artères de la ville. Depuis dimanche, ce nombre a doublé. Les patrouilles sont plus fréquentes, indique Henri Li. “Nous voyons des policiers partout. Ils sont dans les voitures, dans les rues, en civil, et même à cheval”, raconte-t-il. Le sentiment de peur s’estompe peu à peu. Néanmoins, les interrogations fusent.
Mercredi soir, plus d’un millier de personnes se sont rassemblées sur les lieux de la fusillade. Henri Li y était. “Les gens se sont réunis à l’angle des avenues Danforth et Bowden pour ensuite marcher jusqu’au petit parc Alexander the Great”, raconte-t-il. Une marche en hommage aux victimes, mais aussi en guise de remerciements aux travailleurs d’urgence qui ont tout fait pour sauver des vies et rassurer ceux présents lors du drame. “S’il n’y avait pas de policiers, il y aurait eu plus de morts”, pense Henri Li.
“Lundi, les choses étaient calmes. Les gens ne sortaient pas beaucoup. Mais aujourd’hui, la routine a repris le dessus. Il faut bien que l’on vive. Si nous n’avons pas peur, parce que l’on sait qu’il y a des patrouilles policières, on ne peut s’empêcher de se poser des questions. Ce drame, avec celui d’avril dernier, revient dans toutes les conversations”, dit-il.
Dans deux semaines, il prend l’avion pour rejoindre sa femme à Maurice pour des vacances. “Ce sera l’occasion de se couper de cette atmosphère. Mais en même temps, comment oublier ?” dit-il.

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