Au Morne, des familles n’entendent pas quitter les terres de leurs aïeux

En juillet 2015, la Cour suprême tranche en faveur d’une société qui revendiquait en même temps que 200 familles 43 arpents de terre (appelés La Fourche), derrière le village du Morne. Sommées d’évacuer les lieux, les familles qui s’y étaient installées gardent néanmoins espoir qu’elles retrouveront ces terres, ayant appartenu, insistent-elles, à leurs ancêtres, lesquels y cultivaient des légumes. Plus de trois ans après ce jugement, la directrice de la société et sa nouvelle organisation non-gouvernementale envisagent de créer un village intégré à vocation écologique. Mais des familles qui, malgré le jugement de la cour, ont construit des cases en bois et en tôle sur le terrain, et d’autres qui commencent à s’y installer n’entendent pas partir. Même que la résistance sur le terrain s’organise.

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C’est une végétation luxuriante qui a pris ses droits sur le terrain pentu, dominé par une petite colline. Malgré le ciel plutôt couvert, la vue panoramique qui donne sur la mer, l’îlot Fourneau et légèrement plus loin, Le Morne est à couper le souffle. Dans cet environnement vert où des arbres fruitiers en tous genres poussent librement ça et là, des palmiers donnent un cachet tropical à cet immense jardin idyllique. “Regardez cette mer, cette vue, c’est tout ça qu’on veut nous prendre, nous arracher !” dit une jeune femme qui s’est installée sur le terrain depuis quelques années. Sa maison, située en hauteur, c’est son mari, dit-elle fièrement, qui l’a construite de ses mains.

Des blocs posés les uns sur les autres qui font office de marches, un peu tremblotantes quand même, mènent vers la petite maison en tôle. L’habitat a l’air solide. “Delo pa rantre kan lapli tonbe”, nous confirme la propriétaire. “Sa later-la pou nou sa !” nous dit la jeune mère de famille, avant d’affirmer que rien ne la fera quitter les lieux. “Partir d’ici ?” demande-t-elle en riant. “Jamais ! Nous ne bougerons pas de là.” Sans se départir de son grand sourire, elle confie “se sentir bien sur cette terre.” Pour cause, l’air y est pur. Et cet air, nous laisse-t-on comprendre, “c’est ce qu’elle voudrait vendre aux étrangers !”

« Ma grand-mère a cultivé du maïs ici »

“Elle”, la directrice de l’organisation non-gouvernementale dont la propriété de 43 arpents lui a été reconnue par la Cour suprême, sera omniprésente dans les conversations. Et pour démontrer sa détermination de vivre sur une parcelle qu’aurait bien connue ses aïeux, la jeune maman, aidée de son mari, a fait pousser des légumes et démarré un projet d’élevage. Elle nous propose de voir le travail accompli. Bringelles, patates, manioc, piments, brèdes giraumon et des plantes de maïs à hauteur d’homme affichant des épis gorgés de soleil ont été cultivés sur ces terres fertiles.

“On a décidé de faire de l’élevage de chèvres. C’est mon mari qui s’en occupe le plus”, nous dit-elle devant l’étable aménagée un peu plus loin derrière sa maison. Il y a aussi des canards et des poules. “Grâce à nos animaux, nous n’utilisons que de l’engrais naturel pour faire pousser nos légumes. Ici tout est bio. Ma grand-mère a cultivé du maïs ici. Aujourd’hui, je fais comme elle”, nous dit notre interlocutrice.

Une bonbonne de gaz sur les épaules, l’homme, qui revient d’une boutique en contre-bas, grimpe la pente avec une facilité déconcertante. Lui, c’est l’époux de la jeune femme rencontrée plus haut. “Personne ne nous achètera. La vie ici n’a pas de prix”, lâche-t-il en rentrant chez lui. Avant d’aller rejoindre deux hommes assis au pied d’un arbre, il nous confie : “Elle nous a parlé d’un projet. Nous, c’est-à-dire les familles qui ont décidé de s’implanter ici, allons être inclus. Nous allons vivre dans de nouvelles maisons que nous devrons rembourser et travailler sur une ferme. Si elle veut d’un ferme, nous pouvons l’aménager nous-mêmes et ensuite vendre nos produits. Mais nous ne voulons être attachés à personne !” 

Si ce dernier a pu s’arranger avec des proches pour obtenir de l’eau potable et de l’électricité, tel n’est pas le cas pour d’autres maisons déjà construites ou en construction, à l’instar de celle d’un trentenaire qui, ce jour-là, s’affairait à monter des poutres de sa future case. Pas de fondation, l’herbe sera arrachée et le sol recouvert de béton. Il y aura deux chambres, nous explique-t-il. Un coin qui servira de cuisine sera aménagé à l’extérieur, tout comme les latrines. Une fois la structure recouverte de tôle, l’homme, sa femme et ses deux enfants pourront s’y installer.

« Attachés à personne ! »

“Cela fait un mois depuis que je construis ma maison”, dit-il. Comment s’est-il octroyé sa “part” de terrain ? C’est une autre jeune femme qui donnera la réponse. “Il y a 200 familles, toutes originaires du Morne, qui ont le droit d’habiter ici. Nous nous connaissons toutes et il y a comme un accord sur l’attribution des lots. Je sais qui habitera à côté de moi, ou un peu plus loin, etc. Des personnes qui ne sont pas de la région ont essayé de s’installer ici. Nous les avons délogées”, explique-t-elle. Dès qu’elle aura suffisamment d’argent, dit-elle, elle achètera les matériaux nécessaires à la construction de sa maison.

Une des maisons en construction. La fragilité de cette structure en dit aussi long sur la problématique du logement pour une frange de la population restée en marge du progrès

Malgré le verdict de la Cour suprême, des maisons ont été construites sur le terrain de la discorde. Convaincus qu’ils ont le droit d’y vivre, les villageois avancent qu’ils restent sceptiques face aux arguments avancés et documents présentés par la directrice de l’ONG. Celle-ci a prévu de construire un bureau sur place et les premiers signes de ce futur local sont loin de décourager les villageois. “Si nous n’avions réellement pas le droit de nous installer à La Fourche, on aurait dû nous avoir délogés depuis longtemps. Pourquoi est-ce que les 43 arpents de terres n’ont pas été délimités, alors qu’il y a des démarcations par endroit ?” se demande un de nos interlocuteurs.

 

Un vieux conflit

La directrice de l’organisation non-gouvernementale est à l’étranger, c’est ce que nous ont indiqué ses collaborateurs après que nous n’avons pu la joindre au téléphone. Cette dernière, nous a-t-on expliqué, ne rentrera pas au pays de sitôt. Week-End leur a toutefois demandé de lui faire parvenir sa requête pour une déclaration. Le conflit qui oppose les villageois qui revendiquent le terrain concerné à la directrice de l’ONG ne date pas d’hier.

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