AUDIT – RÉALISÉ PAR UN EXPERT FRANÇAIS : Rapport accablant sur le Conservatoire National François Mitterrand

Claude-Henry Joubert, un expert français ayant réalisé un audit sur le Conservatoire National François Mitterrand, dresse un constat très négatif de l’institution. Ce dernier, qui a été lauréat du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et directeur du conservatoire d’Orléans, entre autres, souligne les manquements au niveau de la formation, plus axée sur la théorie. Il évoque également les difficultés de la directrice, Claudie Ricaud, à lui fournir des informations « chiffrées » dans le cadre de cet exercice ainsi que la situation des enseignants, qu’il juge « préoccupante », car la plupart ne sont pas titulaires et ne perçoivent pas de salaire pendant les vacances.
Ce n’est pas la première fois que le Conservatoire National François Mitterrand fait l’objet de critiques dans le sillage d’une évaluation. Celle qui vient d’être entreprise en novembre de l’année dernière a été menée par Claude-Henry Joubert. Un exercice commandité par le ministère des Arts et de la Culture à la demande du conseil d’administration de l’établissement, en partenariat avec l’ambassade de France. Dans son examen de la situation, l’expert français note : « Lors des premières rencontres avec les élèves et les professeurs, j’avais été surpris par le nombre important d’élèves débutants, souvent en première année, parfois en deuxième. Lorsque Claudie Ricaud, la directrice, a pu me fournir (oralement) les chiffres que je lui demandais, la situation est apparue clairement : en 1er cycle (3 premières années d’études) : 425 élèves; en 2e cycle (après 3 années) : 75 élèves; et en 3e cycle (7e et 8e année) : 24 élèves. »
Claude-Henry Joubert relève qu’une « immense majorité d’élèves disparaît après trois années ». Analysant cette situation, il attribue les abandons à la qualité de l’enseignement qui, selon lui, demeure « théorique » tandis que « le son n’y joue qu’un rôle mineur, lorsqu’il n’est pas parfois inexistant ». Il cite en exemple la fois où il a assisté à un cours de solfège portant sur les gammes mineures, la gamme harmonique et les gammes mélodiques. « La leçon a  duré 30 minutes sans qu’une seule fois un exemple sonore ait été produit. À la fin de la leçon, je me suis permis de jouer la gamme de “la” mineur harmonique, demandant à la trentaine d’élèves s’il s’agissait d’une gamme harmonique ou mélodique. La moitié des élèves s’est prononcée pour la gamme harmonique et l’autre moitié pour la gamme mélodique. La leçon avait été à peu près inutile », souligne Claude-Henry Joubert.
Ce dernier note ainsi : « De grands progrès doivent être accomplis dans les classes de “Formation musicale”, également nommées “Solfège” ou “Theory”. La théorie règne en maître, théorie d’un niveau très faible, ainsi que la lecture de notes parlées. (…) Sur des tableaux affichés aux murs, on lit qu’une ronde (4 temps dans la mesure à 4/4) doit se lire “ron-on-on-de”; la ronde alors, ne dure que trois temps (!) et n’est pas vraiment musical. Même remarque pour les blanches que l’on doit lire en parlant : “blan-che, blan-che”, ce qui correspond exactement au rythme répété noire-croche-demi-soupir… »
Claude-Henry Joubert parle également de l’absence de motivation « dynamique », de même que certaines « attitudes pédagogiques », qui poussent les enfants à abandonner les cours. Il évoque également les absences liées à la période d’examen du troisième trimestre à Maurice, ainsi que les leçons particulières.
Plus loin, l’expert français dit son étonnement de constater que les élèves du Conservatoire National François Mitterrand travaillent à partir de photocopies. Même si une redevance est payée pour cela à la Rights Management Society, l’auteur dit ne pas comprendre dans quelles conditions, ni dans quelles proportions cela se fait. « Mais ne jouer toute sa scolarité que sur des photocopies me semble fâcheux. Je crois à la valeur du livre, de la partition, de l’écrit susceptible d’être conservé et respecté. La bibliothèque musicale d’un élève constituée uniquement de photocopies me semble désolante et démotivante. »
Autre situation jugée « préoccupante » : celle des enseignants. Le rapport souligne que ceux-ci sont jeunes et qu’en dépit de leur générosité, « ils n’ont reçu aucune formation pédagogique, sauf rare exception ». Qui plus est, sur 38 professeurs, seuls deux, à savoir Sophie Némorin et Alain Deschambeaux, sont titulaires, tous les autres étant des contractuels. « Ils ne sont payés ni pendant les vacances ni pendant d’éventuels congés de maladie. Leur maintien dans l’équipe obéit à des critères qui sont, pour moi, demeurés flous », souligne Claude-Henry Joubert.
L’absence de dialogue entre la direction et le corps professoral est aussi abordée dans le rapport. Celui-ci précise : « Mme Ricaud a toujours répondu très volontiers à toutes mes questions, mais l’organisation des activités du conservatoire, clairement exposée par la directrice lors de nos entretiens, ne semble pas être toujours clairement perçue par le corps professoral. Envisager un dialogue plus efficace est nécessaire. »
Claude-Henry Joubert raconte également cette anecdote : « J’ai prononcé à l’Institut Français de Maurice, le 29 septembre à 18h, une conférence tout public, mais spécialement destinée aux professeurs et aux grands élèves du conservatoire. Malheureusement, à ce moment (18h30), une répétition de l’orchestre et du choeur était programmée. Ce qui était dommage. »
De même, il est noté que le président du conseil d’administration, Paul Olsen, et la directrice, Claudie Ricaud, ne sont pas sur la même longueur d’ondes concernant les projets. « Monsieur Olsen m’avait demandé si cet établissement pouvait former des instrumentistes susceptibles de composer un jour un orchestre symphonique. (…) Mme Ricaud n’est pas de cet avis et pense que cette demande demeure minoritaire. »
L’expert français parle également du « syllabus » que lui a présenté Claudie Ricaud. Il se dit ainsi « étonné de l’importance qui y est accordée aux gammes et aux arpèges », ajoutant : « Des listes de tonalités encombrent les pages du syllabus; on préférerait y trouver des recommandations techniques. » Tout en soulignant que la directrice du conservatoire a fait comprendre que ce syllabus est « un travail d’équipe réalisé par les professeurs », Claude-Henry Joubert ajoute : « J’hésite à considérer ce document comme le résultat d’un travail d’équipe, la technique du copier-coller y semble très employée. »
L’absence de créativité du « syllabus » est aussi soulignée ainsi que celle de morceaux choisis pour les contrôles et les examens. Toutefois, Claude-Henry Joubert trouve intéressant l’ouverture, en 2e et 3e cycle, vers le « non-classical et non-western traditions ». En ce qui concerne les évaluations – auditions au conservatoire, au MES par des musiciens extérieurs ou celui de la Royal School of Music –, l’expert note que les trois types sont « critiquables et démotivants ». Il est aussi d’avis que même si l’Associated Board of the Royal Schools of Music est une association pédagogique et musicale, elle est « surtout commerciale ». Le fait que cette association ne délègue qu’un seul membre du jury à Maurice pour les examens des premiers cycles et que celui-ci a « autorité sur tous les instruments allant du piano au tuba » est critiqué.
En conclusion, Claude-Henry Joubert souligne : « L’impression ressentie après deux semaines de séjour dans le conservatoire est qu’il s’agit d’un établissement d’initiation et d’éducation populaire. La formation à la Western Music (musique classique européenne) est fragile et très élémentaire. » Une série de recommandations est aussi faite pour aider à surmonter tous les problèmes soulevés dans le rapport.

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