AUTOROUTE TERRE ROUGE/VERDUN: Ces kilomètres qui font trembler !

Après plus d’un an de retard et de nombreuses controverses, le plus grand et important projet routier de ces dernières années à Maurice a été inauguré début décembre 2013 par le Premier ministre Navin Ramgoolam. Cet ouvrage gigantesque a, d’emblée, plu aux Mauriciens puisqu’il permet d’accéder au Nord et au Centre de l’île en évitant Port-Louis mais aussi parce qu’il offre des paysages pittoresques. De l’émerveillement du début, on est passé à l’inquiétude. Déjà deux accidents en contrebas de la descente à Valton et un premier décès.
Alors que tout le long, la route est composée de deux chaussées totalement séparées, le fait que dans la partie la plus à risque on se retrouve avec une  chaussée unique, avec deux voies montantes et une seule descendante fait craindre le pire. Les autorités ne s’y sont pas trompées puisqu’elles ont elles-mêmes mis cette partie de la route sous surveillance policière constante et maintenant, un radar fixe y est installé. Tout cela parce qu’une partie de la voie montante n’a pu être complétée.
Les autorités ont d’abord prétexté le mauvais temps pour expliquer la maldonne, mais il ressort, d’une enquête de Week-End, que c’est l’incompétence qui est à l’origine de la non-complétion des travaux dans les délais. Comme dans l’affaire de la Ring Road et ses crevasses géantes, la Road Development  Authority, client et son consultant EGIS, maître d’oeuvre, sont dans le collimateur des professionnels, alors qu’eux pointent du doigt les contracteurs. Quoi qu’il en soit, on a au final une route non complétée et qui exigera presque Rs 800 millions supplémentaires pour la terminer et la rendre plus sécurisante pour ses usagers. Encore du gaspillage des fonds publics comme dans le cas de Bagatelle Dam, pour lequel le gouvernement n’assumera pas ses responsabilités…
Longue de 24,5 km, l’autoroute Terre-Rouge/Verdun/Ébène incluant une bretelle de Belle-Terre à Petit-Camp (toujours en construction) est un projet ayant coûté, avec retard, Rs 4,2 Md contre Rs 3,5 Md prévu initialement. La partie de l’autoroute Terre-Rouge/Verdun qui fait 15.7 km de long, comporte 5 ronds-points et prend naissance  à Calebasses pour aboutir à Verdun.
La 2e partie est le prolongement de la route de Trianon à Ébène qui fait la jonction avec la partie nord au niveau de Verdun. Une “grade separated junction” permet d’accéder à Verdun et une autre est en construction à Valentina pour rejoindre cette M2. Trois ronds-points lient les automobilistes à Côte d’Or et Bagatelle. Le tronçon Bagatelle/Valentina vient d’être complété et est déjà opérationnel.
Paysage sauvegardé
Cette nouvelle autoroute à double voie sur la majeure partie de son tracé est très propice à la vitesse avec ses longues lignes droites. Elle offre un spectacle naturel pittoresque et les nombreux automobilistes qui l’ont empruntée ont découvert des paysages méconnus d’une rare beauté. Comme le village de Crève Coeur, la descente vers Valton, la côte nord du pays, la chaîne de montagnes avec le Pouce et Pieter Both en vedette, et l’entrée spectaculaire sur Ébène et ses gratte-ciels. Devant un tel attrait qui a occasionné de nombreux arrêts de voitures sur la bande d’arrêt d’urgence, le gouvernement a décidé d’aménager des view-points et des parkings pour sécuriser ceux qui veulent profiter de la beauté de la nature.
Depuis, le PM, comme il l’a annoncé lors de son message de début d’année, a entériné au conseil des ministres du 21 février dernier que cette autoroute sera prémunie de panneaux publicitaires, comme suggéré par des Mauriciens qu’il a rencontrés. Ainsi la Road Development Authority ne recevra pas des demandes pour les panneaux d’affichage le long de la route. Il s’est aussi assuré que le “ministère du Logement et des Terres émettra de nouvelles directives de planification visant à préserver le paysage original de la région le long de la Terre Rouge-Verdun Link Road, surtout en ce qui concerne les aspects extérieurs des constructions en ligne de visibilité de la Link Road; le défrichement des terres, l’enlèvement de la couverture végétale et le verdoiement le paysage et l’identification de structures inesthétiques ainsi que d’autres mesures d’atténuation pour améliorer l’environnement.” Tant mieux pour la paysage et la nature.
Financé par l’Agence France de Développement (AFD), la Banque arabe de Développement économique en Afrique (BADEA) et l’OPEC Fund for International Development (OFID) et le budget national, cette autoroute permet aux automobilistes se rendant dans le Nord d’éviter la capitale, de réduire la congestion sur la M1 et de gagner du temps sur l’ensemble des trajets entre le Nord et le Sud nécessitant le passage dans les Plaines Wilhems. Selon les Infrastructures Publiques, la route permettra des développements dans la région centrale, stimulera la croissance économique et aura des retombées positives dans les secteurs touristique, manufacturier et commercial. En cas d’incidents (inondations, émeutes) sur la M1 et la M2, le trafic routier sera dévié sans conséquence majeure.
Glissements de terrain pas maîtrisés
Mais la construction de la portion entre Ripailles/ Melotte et Valton n’a pas été réalisée dans les meilleures conditions et sur quatre kilomètres, l’autoroute n’est même pas complétée. Les travaux préparatoires n’ont apparemment pas permis  de détecter les réelles conditions topographiques. Des dépenses supplémentaires sont donc à l’agenda du jour avec le lancement d’un nouvel appel d’offres pour poursuivre les travaux de la voie (Sud) et en entreprendre à nouveau d’autres pour éviter des glissements de terrain, dont de nouveaux aménagements des drains additionnels. Il faudra réaliser des travaux du même type que ceux qui ont été réalisés sur le talus en direction du Nord. Un talus qui a été bétonné par un muret de 200 mm d’épaisseur, cloué sur la paroi jusqu’à une profondeur de sept mètres environ, pour prévenir des éboulements sur la chaussée empruntée par les automobilistes.
Contrairement à ce qu’avait déclaré à Week-End des ingénieurs proches des clients de la route, la RDA, au lendemain de l’inauguration de la route, ce ne sont pas les pluies diluviennes de mars 2013 qui ont révélé au client et au maître d’oeuvre les difficultés du terrain choisi pour le tracé de la route. En effet, dès juin 2012, l’Assistant Divsionnal manager de la RDA, Rishikesh Jugoo notait des problèmes de topographie. Il devait même déclarer à la presse: “On a dû couper la terre en deux afin de construire des routes. Il y a eu des glissements de terrain. On n’avait pas prévu cela. C’est une des causes du retard. On a connu ce problème sur une distance de 5 kilomètres, de Crève Coeur à Ripailles.”
C’est effectivement cette partie de l’autoroute qui est aujourd’hui inachevée. La double voie en direction du Sud est fermée à mi-montée et rejoint la voie Nord pour former une route sans séparation à trois voies dont deux vers le Sud en montée et une vers le Nord en descente. Ce qui est loin d’être idéale, voire dangereuse, sur une portion de la route la plus risquante en temps de pluie. D’où la nature inachevée de l’ouvrage.
En réponse à une question parlementaire, en mai 2013, le ministre des Infrastructure Publiques, Anil Bachoo confirmait la nature des retards : “Refusal of four ex-land owners to vacate the site, bad weather conditions, additional works et unforseen lanslides in the mountain areas.”
Et c’est là où le bât blesse. Selon des spécialistes rencontrés par Week-End, les glissements de terrains et les éboulements, s’ils n’étaient pas prévisibles avant les travaux-puisque les intenses forages d’avant projet n’avaient rien révélé de patent-ils étaient cependant visibles dès le début des travaux. Et les mesures pour y remédier auraient dû avoir été prises à ce moment-là. L’affirmation du ministre Bachoo au Parlement ne les a pas convaincus : “All types of remedial measures were taken, but despite it the landslide has continued as a result of which again the consultants have also mobilised experts from France to come and have a look at the project.” Rien n’a été fait à l’origine et ce n’est que lorsque les fouilles étaient terminées que les traitements divers et expérimentaux ont été entrepris, dont ceux par drains rocheux tapissés de géotextile qui ont rapidement montré leurs limites, lors des pluies diluviennes qui ont suivi leur mise en place.
Là aussi, ce sont les clients, la RDA, et le maître d’oeuvre, EGIS qui sont pointés du doigt. Leur manque de réactivité dès la vision de la roche mère altérée est inexplicable. Les filets de rétention installés en zone élevée pour prémunir des d’éboulements démontrent qu’ils avaient, pourtant, bien identifié ces zones dangereuses. “Dès les premières fouilles lorsque le basalte altéré est apparu en place, aulieu du basalte plus stable, il aurait fallu faire les traitements d’usage comme le renforcement avec les murets à clous et la construction de talus et de drains intermédiaires. Certes, il est toujours plus difficile de réaliser des travaux sur le versant amont de la route. Du côté aval, il a suffi d’écrêter les reliefs dangereux pour enlever le poids sur les talus et disposer ce supplément de terre de l’autre côté de la montagne”, déclarent ces spécialistes.
Manque de réactivité des consultants
En amont, cela est plus difficile. Le principe veut que pour minimiser les coûts, il faut combler les creux avec les excès de terre extraits de la montagne pour élaborer le tracé final et une topographie régulière et plane de la route. Cela évite les frais très onéreux de transport de la terre vers d’autres lieux. Sur la descente entre Ripailles et Valton, les reliefs ont été aplanis du fait que les vallées, équipées de tuyaux d’évacuation d’eau, ont été comblées par les remblais dont le matériau extrait de la montagne, côté amont. Par endroits, ces remblais ont atteint des hauteurs de 70 et 50 mètres environ.
Une visite de terrain confirme les dires de ces spécialistes. Plus même. Car la dégradation des drains, ceux en roches bétonnées ou ceux en couches rocheuses sur du géotextile, et des talus bétonnés sur la partie amont de la montagne, est choquante et démontre que les choix de design du maître d’oeuvre et de son client en la matière n’étaient définitivement pas adaptés au terrain. Les nombreux monticules de terre témoignent d’éboulements plus ou moins récents et il faut saluer, malgré leur déconvenue, la sagesse des autorités d’avoir choisi la sécurité dans un premier temps, en ne persistant pas à ouvrir la route. Les nombreux témoignages physiques d’éboulements montrent comment cela aurait pu être meurtrier si elles avaient persisté à ouvrir cette voie.
Maintenant que la montagne a été fouillée et que les zones de départ des éboulements se trouvent parfois en hauteur, il sera plus délicat de traiter ces zones de glissements de terrain et d’éboulements. Cela nécessitera des techniques plus onéreuses mais aussi plus à risques pour ceux qui y travailleront.
Il a donc été annoncé qu’un nouvel appel d’offre est nécessaire pour compléter cette autoroute. Il est actuellement estimé que ces travaux supplémentaires pourraient coûter entre Rs 600 et 800 M supplémentaires, si ce n’est plus. Quant on ajoute à cela les réclamations de Rs 709 M supplémentaires exigées par le constructeur Colas pour les retards et travaux additionnels, il va sans dire que, comme le barrage de Bagatelle, ce sont encore une fois les contribuables mauriciens qui feront les frais de cette surcharge de plus de Rs 1,3 milliard qui relève d’une mauvaise évaluation ou de l’incompétence des professionnels. Là aussi, ce sont surtout les consultants d’EGIS et le client, la RDA, qui sont pointés du doigt.
Les conditions d’élaboration de cette route sur cette partie étaient, certes, difficiles, mais maîtrisables pour des professionnels aguerris. Il faudra, donc, cette fois aussi, situer les responsabilités et sanctionner ceux qui ont fait preuve d’incompétence ou de maldonne. Il n’est pas acceptable que ce qui constitue un gaspillage majeur des fonds publics reste impuni. Il faut bien sauvegarder l’environnement immédiat de cette route, mais il faudra aussi veiller à ce que les impôts des contribuables mauriciens soient dépensés à bon escient et non gaspillés sur l’autel de l’amateurisme. Une demande au ministre le plus adulé de ces derniers temps, Anil Bachoo, à faire diligence en la matière, peut, sans doute, accélérer ls choses avant que cette route ne produise d’autres victimes.

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