Bahal Gowry : « Ma chanson a marqué l’histoire »

«Donn to lame, pran mo lame, lame dan lame… » Bahal Gowry, aujourd’hui âgé de 82 ans, avait composé cette chanson alors que Maurice faisait face aux bagarres raciales en décembre 1967. Il voulait, à travers cette chanson, réveiller le patriotisme chez les Mauriciens. Aujourd’hui, la chanson, devenue légendaire, a été reprise pour les célébrations du 50e anniversaire de l’Indépendance de Maurice. Il a de quoi en être fier. Rencontre…
Nous sommes en décembre 1967. Maurice est frappée par des bagarres raciales. Seewoosagur Ramgoolam tente tant bien que mal de calmer les esprits. Mais ce sera une chanson qui viendra atténuer, dans une certaine mesure, la colère des gens. Aujourd’hui, 50 ans après, cette chanson est toujours appréciée. Son compositeur, Bahal Gowry, revient sur la composition de cette chanson historique.

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Assis dans son fauteuil à son domicile à Vacoas, Bahal Gowry s’apprête à nous faire le récit de son parcours. « Depuis que je suis jeune, je chante pour le Parti travailliste. À l’époque de Seewoosagur Ramgoolam, j’étais toujours à ses côtés pour chanter dans ses congrès et meetings », dit-il.

En 1967, les frères Gowry étaient déjà célèbres pour leur utilisation de la langue bhojpuri dans leurs chants. Vu leur notoriété locale, le député Preeduth Mewasingh met alors à leur disposition son collège pour leurs répétitions. C’est là que Bahal Gowry écrit les paroles de « Donn to lame pran mo lame ».

« À cette époque, il y avait les bagarres raciales. Je m’en suis inspiré pour écrire une chanson. J’ai composé la chanson et j’ai commencé à chanter. Preeduth Mewasing m’a entendu et a couru dans ma direction pour m’arrêter. Il m’explique que j’ai utilisé des mots diffamatoires. Je ne comprenais rien vu que je n’avais étudié que jusqu’à la sixième. Il a pris la chanson et est allé voir plusieurs intellectuels, dont Vikramsingh Lallah et le Dr Raman, qui était en charge de l’hôpital Brown-Séquard à cette époque. Ces derniers ont modifié les paroles diffamatoires. Et par la suite j’ai interprété la chanson », relate Bahal Gowry.

Les éloges ont commencé à pleuvoir. Même Seewoosagur Ramgoolam a été impressionné. « Il m’a demandé de venir interpréter la chanson dans son meeting. Je me souviens qu’un jour SSR m’a invité à monter sur le caisson d’un 4×4 avec lui. Il devait sillonner les rues de Plaine-Verte et de Roche-Bois, deux endroits chauds durant les bagarres raciales. Il m’a demandé d’interpréter la chanson. Il a levé ses bras et je chantais. Une foule s’est amassée autour du véhicule et les gens ont commencé à danser. Ma chanson était très appréciée », se souvient le chanteur.

Peu de temps après, l’indépendance de Maurice est annoncée. Démarrent alors les campagnes électorales, à partir de janvier 1968. « SSR est venu me voir et m’a dit qu’il fallait que j’interprète la chanson tout le long de la campagne électorale. Avec l’aide d’un de mes musiciens, nous avons traduit les paroles en bhojpuri. J’interprétais la chanson en kreol et en bhojpuri », dit-il.

Depuis, cette chanson est restée sur les lèvres des Mauriciens. Petits et grands la fredonnent à l’occasion des fêtes de l’indépendance. Cette année, la chanson a été reprise dans une nouvelle version. « Je suis tellement fier. Ma chanson a marqué l’histoire. J’étais ravi quand les ministres Nando Bodha et Prithiviraj Roopun m’ont approché pour reprendre la chanson, à l’occasion des 50 années de l’Indépendance de Maurice. Toutefois, on voulait changer le refrain « anou bâtir nation mauricienne » en « nou fine fini bâtir nation mauricienne ». J’ai refusé catégoriquement. Nous avons encore à bâtir la nation mauricienne. Ils pourront changer le refrain à l’occasion du 100e anniversaire de l’Indépendance », précise-t-il.

Chanteur de « gamat »
Né à Vacoas, Bahal Gowry est fils d’un entrepreneur et d’une femme au foyer. Il est issu d’une fratrie de cinq frères et deux sœurs. Bahal relate qu’il a étudié jusqu’à la sixième. « À l’époque, les enfants allaient à l’école pieds nus. Les gens n’avaient pas les moyens d’acheter des chaussures. Après la sixième, j’ai abandonné les études car le secondaire était payant. Mes parents n’avaient pas les moyens de financer la scolarité de tous leurs enfants ».

Bahal et son frère jumeau prennent alors de l’emploi dans une usine fabriquant des sacs en goni. « Nous commencions à 18 heures pour terminer à 6 heures le lendemain matin. Nous obtenions un salaire de Rs 35 par semaine. Trois ans après, j’ai abandonné ce métier pour devenir peintre au PWD. J’y ai travaillé pendant 17 ans. Ensuite, je suis allé en quête de meilleures opportunités en Angleterre mais j’ai dû rentrer quatre ans après. J’ai entrepris des petits travaux à droite et à gauche pour subvenir aux besoins de la famille, jusqu’à l’âge de la retraite », avance le chanteur.

Bahal Gowry indique qu’il est devenu chanteur par hasard. Son jumeau Chandu et lui avaient l’habitude d’aller chanter dans des « gamats » dans les mariages. C’est à partir de là que les deux frères ont commencé à développer un intérêt pour le chant. « De retour à la maison après les gamats, mon frère et moi avions l’habitude d’imiter les chanteurs. Par la suite, c’est devenu une passion et nous avons commencé à acheter des instruments de musique. Et graduellement, nous sommes devenus chanteurs ».

Les frères Gowry interprétaient des morceaux en kreol, jusqu’au jour où un de leurs musiciens leur rédige des chants en bhojpuri. « Le bhojpuri n’était pas en vogue à l’époque, mais mon frère et moi avons tenté me coup. Finalement, ce fut un grand succès et nous sommes devenus populaires grâce aux chansons en bhojpuri. C’est ainsi qu’est né le groupe Gowry Brothers ».

Bahal Gowry s’estime chanceux d’avoir eu l’occasion d’interpréter ses chansons bhojpuri à New Delhi, devant de grandes personnalités indiennes, dont Indira Gandhi. Il a eu une deuxième opportunité de chanter pour cette grande dame, quand elle était en visite officielle à Maurice. « J’ai interprété l’hymne national indien pour elle quand elle est arrivée au domicile de sir Seewoosagur Ramgoolam, à la rue Desforges à Port-Louis. Ce jour-là, SSR était très impressionné », se souvient Bahal Gowry.

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