BÉNÉVOLAT : Travailleuses de l’ombre au service des plus pauvres

Elles ont une situation confortable et ont fait le choix de donner de leur temps, parfois, sans compter, aux familles démunies de leur région respective. Dans un contexte où beaucoup ont choisi d’utiliser les actions sociales pour se mettre en avant, où l’argent a considérablement modifié le profil des ONG et des travailleurs sociaux, elles accomplissent leur mission dans l’ombre. Agnelle Ducray et Mirella Lee représentent ces rares bénévoles qui se sont engagés dans le social sans rien attendre en retour, si ce n’est le progrès et le bien-être de leurs bénéficiaires.
«Mirella ! Mo kapav koz ar ou ?»S’éclipsant, l’interpellée rejoint son interlocutrice, une mère de famille. À Tranquebar, Mirella Lee, travailleuse sociale bénévole, est souvent, pour ne pas dire toujours, sollicitée dès qu’elle sort. «Cette maman a besoin d’un sac d’école pour son enfant. Elle m’en a demandé», confie -t-elle. Quelques minutes plus tôt, elle sympathisait avec une jeune femme attristée par le départ de sa mère pour Rodrigues. Cette dernière, debout dans un coin de la rue à l’entrée du quartier Bangladesh, attend un transport devant ses bagages. Elle prendra le bateau pour Port-Mathurin. À Bangladesh, terre en pente et rocailleuse où une soixantaine de familles, pour la plupart d’origine rodriguaise, ont érigé des cases délabrées, Mirella Lee est connue de tous.
«Li fer boukou pou nou», dit Marie-Ange, 45 ans, victime d’une attaque cérébrale l’an dernier. Grâce à Mirella Lee, une de ses filles a été prise en charge par une structure. Il y a deux ans encore, personne n’aurait approché ce bout de femme aux regard qui pétille quand elle parle des familles de Bangladesh. Non pas parce qu’elle est intimidante, car elle a le contact facile, mais parce qu’elle n’était pas aussi active dans ce coin reclus de Tranquebar. Elle intervenait ailleurs dans sa région, dans l’ombre. «À Tranquebar, il y a encore beaucoup à faire pour combattre l’exclusion», dit Mirella Lee pour rappeler que sa tâche est loin d’être finie. Et c’est sans allocation, sans salaire qu’elle compte poursuivre la mission qu’elle s’est donné : oeuvrer pour réintégrer les exclus.
«Je suis une intermédiaire»
Comme Mirella Lee, Agnelle Ducray a toujours tendu la main aux plus démunis de Rivière-Noire, dans la discrétion. En prenant le temps d’écouter Agnelle Ducray, on découvre que, pour elle, aider ceux qui en ont le plus besoin est un acte spontané, naturel. L’on s’aperçoit aussi qu’en parler pour elle peut paraître étrange, tant le bénévolat fait partie de son mode de vie. Quand elle s’installe à Tamarin, il y une vingtaine d’années, elle met de manière plus concrète son charisme au service des plus nécessiteux. Elle est celle vers qui beaucoup de familles se tournent pour les aider à améliorer leur quotidien, entreprendre des démarches administratives, chercher de l’aide en tout genre.
Quand on la rencontre dans la bibliothèque — un conteneur transformé — de l’organisation non-gouvernementale Le Pont du Tamarinier auprès de laquelle Agnelle Ducray consacre quelques heures de son temps, sans rémunération, elle nous parle d’une jeune femme, Collina. Cette dernière, 20 ans à peine, est sans doute une des nombreuses rencontres marquantes d’Agnelle Ducray. La travailleuse sociale de Tamarin rêve d’un avenir meilleur pour Collina. La jeune femme, enceinte de cinq mois, est déjà maman d’un bébé. Mère célibataire, Collina vit dans la précarité la plus totale. Un jour, son chemin a croisé celui d’Agnelle Ducray. La jeune mère est non seulement rentrée chez elle avec des provisions et des petits pots pour nourrir son bébé, mais avec l’espoir de suivre une formation et trouver un l’emploi.
«En fait, je n’ai pas fait grand-chose pour elle !» dit Agnelle Ducray d’une voix posée. Elle s’explique. «La plupart du temps, je suis une intermédiaire entre ceux qui ont besoin d’aide et ceux qui peuvent en offrir. D’habitude, je fais appel à mes contacts, des personnes qui ont des effets à donner et la chance veut que j’en connais qui ont toujours des choses à donner. Grâce à ces personnes, je peux remettre de quoi vivre à des familles en difficulté. Même que je ne suis plus étonnée de découvrir des cartons déposés sur ma terrasse.»
«Le temps, l’amour de l’être humain»
Quand on demande aux deux bénévoles ce qu’elles disposent comme moyens pour intervenir auprès des plus démunis, ces femmes, rencontrées séparément, partagent la même réponse : «Le temps, l’amour de l’être humain.»Aujourd’hui, dans un contexte où le financement des projets sociaux par le biais de différents programmes privés et publics est devenu une pratique courante et non sans intérêts pour les bailleurs de fonds, l’argent a refaçonné le profil du volontariat. Dans leur quête de professionnalisation, des organisations non gouvernementales à mission humanitaire ont oublié l’essentiel — plaider et agir pour les bénéficiaires — pour faire passer d’autres intérêts.
La reconnaissance du travail social par une rémunération n’est pas à remettre en question tant que les principes et l’éthique restent les socles d’une structure d’intervention. Mais est-il fini ce temps où des hommes et des femmes qui, de manière volontaire, sans être affiliés à une structure, oeuvraient pour le développement de leur communauté ou pour le bien-être des nécessiteux ? Sur le terrain, l’on constate qu’ils ne sont plus aussi nombreux qu’autrefois. Et rares sont ceux qui prêtent main forte aux ONG de manière désintéressée afin d’améliorer la vie des plus pauvres.
Mirella Lee, qui consacre une partie de son temps à certains services de Caritas, explique que sa vocation est innée. «Ma mère, qui tenait une boutique, remettait souvent des denrées alimentaires aux familles qui avaient des problèmes financiers. Je l’ai toujours vu agir ainsi. Et aujourd’hui encore, elle me remet des repas pour les enfants de Bangladesh.» Pour sa part, Agnelle Ducray confie qu’elle est issue d’une famille de huit enfants. Dès son plus jeune âge, elle acquiert la notion du partage. La situation sociale et professionnelle confortable des deux femmes ne les a pas déviées de leur sens de l’entraide. Bien au contraire, disent-elles, elles ont saisi des opportunités et des ressources qui s’offraient à elles pour faciliter leurs actions.
«Seule, je n’y arriverais pas»
Mirella Lee, mariée et mère de famille, est un ancien cadre du secteur privé. Agnelle Ducray, mariée et grand-mère, est à son propre compte dans le prêt-à-porter. En 2008, la première fait le choix de quitter son emploi. «Quand je travaillais, j’avais très peu de temps à consacrer au volontariat. Néanmoins, j’en ai trouvé quand même pour donner un coup de main à l’abri de nuit de Caritas, acheter du matériel scolaire des enfants ou de la nourriture pour des familles. Je faisais souvent appel à mes collègues ou des contacts pour obtenir des dons», raconte la bénévole de Tranquebar.
Disponible, elle commence d’abord à consacrer une partie de son temps au service d’écoute de Caritas. Là, elle apprend à mieux connaître les plus démunis de Tranquebar et à cerner leurs besoins. Une relation de confiance s’installe entre elle et eux. Quand ils ont besoin d’aide, de ses conseils, elle les soutient personnellement,   jusqu’à ouvrir la porte de sa maison.«Mon téléphone peut sonner à n’importe quel moment. Je réponds toujours», dit-elle.
Mirella Lee va aller plus loin. Profondément touchée lorsqu’elle découvre les conditions de vie des squatters, dont de nombreux enfants de Bangladesh, elle décide de mettre en place deux projets : distribution de repas aux enfants et accompagnement scolaire. Entre-temps, pour se faire accepter par les familles, elle les visite régulièrement.«Pour arriver jusqu’à elles, il faut grimper une pente rocheuse, sous un soleil de plomb, et transpirer à grosses gouttes ! Pas facile !», dit-elle en riant.
Dans un premier temps, elle finance le projet de repas. Elle se fait aider par sa famille. Dans un autre temps, elle fait appel à des commerçants et autres donateurs. «Seule, malgré toute ma volonté, je n’y arriverais pas !»,précise-t-elle. Depuis, deux samedis par mois, sous une tente dressée, des enfants de Bangladesh sont conviés à déjeuner. Ils participent aussi à des sorties à l’initiative de Mirella Lee. Il y a un an, le 30 mars 2013, cette dernière raconte qu’elle ne s’est épargné aucun effort pour faciliter la distribution des dons aux familles après les inondations.
À Rivière-Noire, Agnelle Ducray, que des enfants ont surnommée «marraine», a trouvé un moyen pour financer l’achat de vivres et autres pour les familles qu’elle soutient. Une fois par mois, elle participe à un vide-grenier à Tamarin. Toutefois, selon les situations, Agnelle Ducray n’hésite pas à mettre la main à la poche pour dépanner une famille. «On ne peut pas quantifier ce que l’on dépense ! Ma voiture ou ma moto, je ne compte plus mes frais de carburant. Tout ça, ça ne compte pas», affirme Mirella Lee. «Donner est un acte de renoncement», ajoute Agnelle Ducray, également active au Cheshire Homede sa région. Une des plus grandes satisfactions des deux femmes est de voir «les changements qui découlent de petits gestes.»Quant aux critiques du genre «li guet figir», elles ne comptent pas.

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