Bicentenaire de la naissance de Charles-Edouard Brown-Séquard

Alors que Brown-Séquard (8 avril 1817-8 avril 2017) n’était pas un penseur philosophique, en plus d’avoir enrichi la médecine et la physiologie par des découvertes magnifiques d’une importance capitale, dépassant le cadre scientifique, il aura sans doute beaucoup fait réfléchir ses contemporains. En effet, il est dit qu’il aura établi sur une base scientifique solide nombre de nos connaissances actuelles concernant les maladies du système nerveux et que, même ses erreurs, contenaient des pistes dignes du plus grand intérêt. Il reste cependant méconnu comme pionnier de l’endocrinologie, après avoir pourtant démontré, à travers ses expériences, l’importance des glandes surrénales. Au regard de l’immense oeuvre laissée, il n’y a encore que peu de reconnaissance pour la contribution indéniable qu’il a faite à la pensée médicale moderne. Sans avoir isolé et découvert la testostérone ou l’adrénaline, il en a deviné l’existence et même maladroitement, s’est déjà préoccupé de thérapie substitutive…
Nous rendant récemment devant sa tombe pour nous recueillir, au cimetière du Montparnasse à Paris, nous avons été fort étonnés de constater que son nom ne figurait nullement sur la notice énumérative des célébrités enterrées là. Un oubli ? Nous pensons plutôt que peu nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, connaissent l’importance de ce savant, pourtant bien fondateur de la neurologie et créateur de l’endocrinologie. Les Mauriciens ne revendiquant plus vraiment la valeur du scientifique, il est dommage de constater que, petit à petit, l’injustice de l’oubli s’est installée, à Maurice comme outremer.
La vie de Brown-Séquard, par bien des aspects, a frisé le fantastique, son activité fébrile, ses voyages incessants entre plusieurs continents, ne le présentent guère sous l’image d’un pilier de laboratoire. Pourtant, durant sa vie entière, ce sont plus de 500 articles qu’il a publiés… Il résida quatre fois en Amérique, retourna deux fois à Maurice, demeura en Angleterre quatre ans et s’établit six fois en France… Il occupa quatre chaires de physiologie et en refusa autant sinon plus, il fonda trois journaux, se maria trois fois. On prétend qu’il traversa les océans 60 fois… C’est plusieurs vies en une seule! Il possédait une énergie démesurée, se levant tous les jours à 3h du matin, s’imposant une discipline de vie sans concessions, travaillant même à bord des bateaux qui l’emmenaient au loin. Il aura influencé comme fort peu, l’ensemble de ses contemporains, tant par le sillage laissé par une oeuvre scientifique majeure, que par le personnage qu’il fut un peu malgré lui, inspirant de nombreux romanciers de son temps.
Malgré l’éloignement, sa vie nous le montre extrêmement attaché à son île natale, pour ne pas dire patriote, même si le terme peut paraître anachronique… Chaque fois qu’il l’a pu, et particulièrement lorsque son destin subissait le deuil ou la tristesse, c’est dans l’univers de son enfance qu’il désira toujours se ressourcer. Profondément Mauricien, nous le percevons multilingue et volontiers cosmopolite, pour ne pas dire citoyen du monde, enraciné dans sa culture d’origine et toujours à l’aise dans la communauté mauricienne de l’étranger.
L’étonnement est d’ailleurs grand, de découvrir à travers lui, les Mauriciens outremer, organisés, regroupés entre eux, se fédérant volontiers et avec fierté derrière ce grand savant, qui, tel un vénérable patriarche à la sagesse et au renom reconnus par tous, aura su leur offrir l’exemplarité d’un destin assurément hors du commun.
L’Île Maurice du XIXe siècle n’est pas celle qu’on croit et en matière de Science, d’Art ou de Littérature, sa soeur voisine et elle n’ont rien à envier à leurs métropoles respectives. Ce n’est pas par hasard qu’un Charles Darwin y fait escale… C’est à partir des îles, en l’occurrence les Galapagos, et la comparaison de leurs faunes, que naîtra plus tard la théorie de l’évolution par la sélection naturelle des espèces. La séparation, l’isolement des îles entre elles, permettait la vision d’une évolution que n’offrait nullement le continuum continental. C’est aussi au sein des Sociétés d’Histoire naturelle des deux îles qu’on perçoit très clairement la naissance de l’idée de dérive des continents, cela près de 50 ans avant Alfred Wegener et sa théorie. Ce n’est donc pas une simple coïncidence si l’Île Maurice vit naître un génie de l’envergure de Charles-Edouard Brown-Séquard, cela témoigne au contraire, de la grande vitalité intellectuelle dans laquelle baignaient les îles soeurs à cette époque.
La culture mauricienne, pour peu qu’on y réfléchisse, n’aura pendant longtemps été qu’inhibition et hontes secrètement dissimulées, au prix d’un paradoxe, celui d’un peuple allant jusqu’à galvauder son héritage plutôt que d’en revendiquer fièrement une paternité pourtant évidente. Il en alla ainsi de tout ce qui nous fit nous-mêmes, l’essentiel de notre langue commune, de notre musique, de notre passé, de notre être ensemble, de nos femmes et hommes célèbres,… nous commençâmes ainsi avec méthode, par les enfouir au plus profond de notre inconscient, jusqu’à parvenir à croire qu’ils n’avaient pas existé ou qu’ils se montreraient indignes de nous… Juste pour ne pas nous en prévaloir et pour endosser les masques coloniaux de nos illusions et les valeurs aliénées d’un autre de nous-mêmes…
Nous faillîmes bien croire, de la sorte, en une nouvelle culture, celle de l’effacement de nos ancêtres et de nos valeurs propres. À ce jeu absurde, beaucoup firent les frais de l’Histoire avec une grande hache et les victimes furent légion qui crurent bien faire en s’assimilant à cet autre, soi-disant plus pur, plus noble et plus beau… Brown-Séquard était malheureusement de ceux qui, tels Ti-Frère, Malcolm de Chazal, et tant d’autres, subirent les affres d’un long purgatoire et qu’on tenta même de passer à la trappe de notre mémoire sélective en les rabaissant, en les ostracisant, en les ridiculisant. Les Mauriciens se vantent toujours d’avoir la bataille du Grand-Port inscrite sur l’Arc de Triomphe de la Place Charles de Gaulle, anciennement Place de l’Étoile, mais aucun ne mentionne jamais le nom de Brown-Séquard comme rue du 15e arrondissement, c’est très triste. Puissent les Mauriciens de Paris, un jour, refleurir sa tombe avec la seule fierté de tout un pays en tête.

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