Boskalis – Culpabilité de Chady et Maunthrooa : Un procès à rebondissements qui restera dans les annales

L’affaire Boskalis a marqué le judiciaire, la sphère politique et le monde des affaires. Cette affaire a été grandement médiatisée, non seulement à Maurice, mais aussi à l’étranger, vu l’implication d’une firme néerlandaise, mais aussi d’enquêtes qui ont amené les autorités mauriciennes vers des pays comme la Suisse, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. Cette saga remonte à 2006, après l’octroi du contrat de dragage du port à la firme hollandaise alors que Siddick Chady était Chairman de la Mauritius Ports Authority (MPA). Treize ans plus tard, soit le 13 novembre dernier, après un procès de longue haleine ayant duré près de sept ans, Siddick Chady et Prakash Maunthrooa sont reconnus coupables de corruption et d’entente délictueuse respectivement, et attendent désormais la sentence qui leur sera imposée. Retour sur ces étapes majeures qui ont fait de ce cas de corruption un des plus marquants que le pays ait connu.

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C’est après la décision de la MPA, le 14 juillet 2006, d’attribuer un contrat pour les travaux de dragage dans le port à la compagnie Boskalis que les choses se sont envenimées en premier lieu pour Siddick Chady, ancien ministre travailliste, et vont s’enchaîner, menant, le 5 septembre 2008, à son arrestation. L’ex-président de la MPA est arrêté après une enquête menée par l’ICAC, qui le soupçonne d’être impliqué dans un versement de 25 000 euros sur un compte bancaire à Singapour, appartenant à Gilbert Philippe, le 6 février 2007, par la société néerlandaise Boskalis International. L’enquête avait été initiée après l’interception d’un fac-similé émis par Boskalis, informant le président de la MPA d’alors du versement d’une somme sur le compte en banque. Après de vaines tentatives pour obtenir la radiation de la charge provisoire retenue contre lui, Siddick Chady obtiendra gain de cause en février 2011, lorsque la cour soutient que l’ICAC a mis trop de temps pour instruire le procès.

12 juin 2012 : nouvelle arrestation

L’ICAC ne baisse pas les bras et va même jusqu’à faire une demande d’entraide judiciaire auprès de pays comme le Singapour, la Hollande et la Grande-Bretagne. Siddick Chady est de nouveau arrêté dans le cadre du scandale Boskalis, ainsi que Prakash Maunthrooa. Ce dernier est appelé par la police à s’expliquer sur une quinzaine de transferts d’argents sur des comptes bancaires et sur son degré de participation dans les affaires entre la MPA et Boskalis. L’enquête connaît un nouveau tournant lorsque l’ICAC décide de confier le dossier au CCID. Des enquêteurs et des hommes de loi se rendent à Genève, où des preuves seront recueillies.

Le procès contre Siddick Chady et Prakash Maunthrooa est appelé en Cour intermédiaire pour la première fois, le 15 février 2013, devant la magistrate Véronique Kwok Yin Siong Yen. Siddick Chady retient les services de Me Said Toorbuth alors que Prakash Maunthrooa retient ceux de Me Roshi Badhain. Siddick Chady est poursuivi sous six charges de “public official using office for gratification” alors que Prakash Maunthrooa est accusé d’avoir agi comme complice, répondant de trois charges de “aiding an abetting the author of a crime”.

Les témoignages

Depuis le début du procès, des témoins qui ont été appelés à la barre ont permis d’apporter des éclaircissements sur cette affaire. Marcel Raymond Lagesse, directeur de compagnie et agent exclusif de Boskalis à Maurice, avait indiqué qu’un haut cadre de la firme Boskalis, Pieter Boer, lui avait demandé d’organiser un dîner de remerciement pour Siddick Chady, et ce après la finalisation du contrat de dragage obtenu par la firme. Pieter Boer aurait aussi rendu visite à Siddick Chady à son domicile à plusieurs reprises, en compagnie de Prakash Maunthrooa.

Gilbert Philippe, ex-conseiller au PMO pour le port, avait été lui-même arrêté puis a obtenu l’immunité pour témoigner dans ce procès. Il avait, lui, indiqué avoir reçu 25 000 euros sur son compte en banque à Singapour, sur instructions de Siddick Chady, soutenant toutefois qu’il s’agissait du remboursement d’un prêt. Vyas Rughoonauth, ex-secrétaire du Conseil d’administration de la MPA, a, lui, soutenu que Chady et Maunthrooa n’avaient pas participé aux réunions de négociations pour le dragage du port.

Le Chief Investigator de l’ICAC, Robert Seeruttun, est lui aussi longuement interrogé lors du procès. Il avait expliqué que l’ICAC avait procédé à l’interrogatoire de 28 personnes et que 8 personnes étaient considérées comme suspects, soit Siddick Chady et son épouse, Bashir Nazeer – ex-conseiller municipal qui était un des directeurs et actionnaires de Blockbuster Video Networking Ltd –, Gilbert Philippe, ou encore Chetan Rao Luximon, Bilkiss Rawat et Yudeshwar Teeluck. Le CI Seeruthun devait indiquer que, de 2009 à 2012, soit pendant l’enquête, Siddick Chady était celui qui intéressait le plus la commission anti-corruption de par les preuves à charge recueillies contre lui. Il avait expliqué que c’est après les déclarations de Gilbert Philippe sur la somme de 25 000 euros créditée sur son compte au Singapour que Siddick Chady avait été arrêté le 5 septembre 2008.
Le CI Seeruthun devait aussi expliquer qu’à la suite des négociations pour une entraide judiciaire, la City of London Police avait remis à l’ICAC des copies certifiées des relevés bancaires, qui démontraient que des compagnies spécialisées dans la distribution de films et partenaires en affaires de Siddick Chady, avaient obtenu des paiements de Boskalis International BV.

Les témoins néerlandais

Ce procès a aussi été grandement marqué par le témoignage via visioconférence des cadres de Boskalis, Antonius De Goede et Jan Cornelius Haak. Ces derniers devaient être entendus à Maurice, mais, craignant pour leur sécurité, ont préféré témoigner de la cour de Rotterdam via visioconférence. Malgré de nombreux couacs avec le système et certaines réticences du tribunal de Rotterdam, les auditions ont bien lieu et les témoins sont principalement interrogés sur les courriels qu’ils ont enlevés du système de Boskalis pour les remettre à la police mauricienne. La magistrate trouvera toutefois dans son jugement que les témoignages des Néerlandais sont « peu fiables » concernant l’authenticité de ces documents.

Le procès est aussi entaché par de nombreux renvois, notamment en raison de motions à tout va logées par la défense. La magistrate va même mentionner dans son jugement que 19 “rulings”, qui ont été délivrés entre le 15 mai 2013 et le 16 mai 2019 « upon motions of stay of procedings for abuse of process or to dismiss the information (information defective, breach of the Constitution, disclosure of documents, trial by the press, immunity to prosecution witnesses, editing of statements, calling of prosecution witnesses, privilege, mutual assistance in criminal matters, evidence through live video link, validity of appointment of dutch interpreter, Power of attorney, calling of defence witness) », dit-elle.
Siddick Chady et Prakash Maunthrooa devaient tout au long du procès et, dans leurs “statements”, réfuter toute implication dans un cas de corruption. Au final, la cour trouvera Chady coupable sous une accusation sur six de « public official using office for gratification » sous la POCA et Prakash Maunthrooa sous une accusation sur trois de « aiding and abeting the author of a crime » sous le code pénal.

Siddick Chady a été reconnu coupable d’avoir, le 8 janvier 2007, alors Chairman de la MPA, fait faire un paiement par Boskalis à Gilbert Philippe, à qui il devait de l’argent, alors que ce dernier n’avait aucun lien professionnel avec Boskalis. Prakash Maunthrooa a, lui, été trouvé coupable d’avoir, en 2006, arranger des rendez-vous privés entre Siddick Chady et Pieter Boer, représentant de Boskalis, après que ladite compagnie a obtenu le contrat de dragage. Pour la cour, il était clair que les trois “meetings” organisés par Maunthrooa avaient pour but de faciliter la tâche de Chady pour obtenir des pots-de-vin. L’épilogue de cette saga palpitante sera connu le jeudi 21 novembre.

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