À BOUT DE SOUFFLE

À bout de souffle.
Nous l’imaginons, ce petit garçon de 10 ans, autiste, cherchant vainement dans le silence de ce jeudi soir, les battements de coeur de sa maman, celle qui a compris son univers de la nuit et lui a offert un amour sans partage. Elle est venue de loin, Janice Farman. De sa lointaine Ecosse et elle a incarné pour cet enfant, pas comme les autres, la sécurité et la protection affective que seul l’amour inconditionnel, par-delà les différences et les préjugés sait offrir à ceux atteints de troubles mentaux. Il a dû assister à toute une scène de violences inouïes, incapable d’en saisir l’horreur, impuissant, muré dans le silence ou gémissant de douleurs indicibles. Et elle, au seuil de la mort, luttant pour défendre la vie, la sienne et celle de son enfant. De quelles pensées a été faite la trame de ses derniers instants ? Souffrances et regrets de le laisser seul sur la rive d’un monde cruel ? Fouillant dans ses plus profondes ressources de vie, puisant dans les bribes de sa mémoire défectueuse, l’enfant, penché sur le corps de sa mère, a dû mobiliser toutes ses capacités cognitives pour comprendre qu’il ne verrait plus son sourire. Malgré le grand désarroi, l’urgence de communiquer était là. De faire savoir. Dans la pauvreté des mots, avec les images insoutenables qui choquent la pensée.
Tous les crimes sont choquants et la population mauricienne n’est heureusement pas devenue aussi cynique pour ne plus clamer son indignation et sa solidarité avec les proches des victimes. Le marqueur dans cette récente tragédie, c’est l’amour que portait cette femme pour notre pays, pour notre société malade, pour nos enfants atteints de troubles de comportements, délaissés par beaucoup; c’est l’amour et la protection qu’elle voulait continuer à offrir à son fils, à travers une vie de dignité. C’est l’amour qui l’animait pour vouloir offrir à ceux qui cherchent dans leur nuit, une passerelle de lumière dans un lieu apaisant. Que lui avons-nous offert sur notre sol ?
Notre société est en déliquescence. Chaque semaine, chaque jour apporte son lot de drames et de scandales, les uns plus dévastateurs que les autres. Symptômes d’un mal qui ronge profondément l’ossature même du corps social. Nous connaissons tous les facteurs sociaux et économiques qui contribuent à ce délitement des liens sociaux et favorisent la criminalité. Outre ces facteurs, depuis quelques années, nous assistons à la crise des institutions. Une crise qui prend de plus en plus d’ampleur. Dans cette crise profonde, je redirai sans hésiter que l’absence d’une autorité vraie, reconnue, légitimée est à la source de notre destruction. À tous les niveaux, à commencer par le sommet même de l’État. Dans nos familles, nos écoles, nos institutions publiques et parapubliques. Nous avons jeté aux orties droits et devoirs qui accompagnent l’exercice de l’autorité. Elle est devenue un mythe.
Nous disions déjà en 2013 à propos des jeunes et de la crise d’autorité dans le domaine de l’éducation que « l’autorité, la vraie – pas l’autoritarisme qui, en fait est généré d’une absence d’autorité – permet d’exiger. Elle est droit, devoir, capacité d’interdire, de réprimander, de sanctionner, donc de provoquer du déplaisir. Elle occasionne des frustrations (celles qui font grandir) en posant des limites claires. Elle est dans le même temps capacité de complimenter et de récompenser, en donnant aux jeunes une image valorisante, l’envie de se dépasser ».
Aujourd’hui, le bien collectif est confisqué. L’autoritarisme fait loi. Ouvertement. L’absence de vrai leadership se manifeste par l’absence de critiques raisonnées, d’évaluations construites, de limites transparentes et de sanctions éclairées.  Les représentants de l’ordre se ridiculisent. Paroles et gestuelles démontrent une absence totale de respect de soi et de dignité dans nos plus augustes assemblées. Les institutions policières, judiciaires, politiques, à suivre les travaux de la Commission sur la drogue, renient leurs missions. Comment, dans une accélération si grande de déliquescence de nos institutions, ne pas penser à l’absence d’un quelconque principe de vie qui freinerait les pulsions des criminels et meurtriers en puissance ? Au-dessus des lois. Fais ce qui t’arrange. C’est ce que notre société est en train de projeter à nos enfants comme modèle de réussite.
À bout de souffle.
Pendant qu’un petit garçon puise dans ce qu’il lui reste de souffle pour alerter, nous nous laissons aller à la dérive, oubliant nos réflexes de survie. Le souffle nous manque mais ce n’est pas grave. Rien n’est grave. Rien n’est notre problème.
NON. Il y a encore des voix qui se font entendre, qui recherchent la vraie autorité, le vrai souffle qui saura rassembler, dynamiser, redonner un idéal de paix et de justice. La politique est guerre, la morale est paix, disait Raymond Aron, 1973.
« Tu dois t’opposer au mal par la force, sinon tu es responsable de son triomphe…  L’homme d’action est celui qui, en une conjoncture singulière et unique, choisit en fonction de ses valeurs et introduit dans le réseau du déterminisme un fait nouveau ». Max Weber, 1973 (1).

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