BREXIT : Break up !

Les séparatistes ont donc remporté la victoire au référendum du 23 juin dernier. Mais quel est le profil de ces coalisés qui veulent ainsi tourner le dos à l’Union Européenne ? Selon les nombreux commentateurs et observateurs, ce sont majoritairement des aînés et des personnes d’âge mur, des agriculteurs et des travailleurs, des individus avec peu ou pas de formation, bref en gros des citoyens n’ayant pas beaucoup de prise sur les leviers du pouvoir et du business.
Ils ont donc succombé aux pièges tendus, à l’aide des contre-vérités, sur la capacité du Royaume-Uni de se débarrasser du fléau des immigrants et sur le transfert de 350 millions de livres sterling par semaine du budget européen au profit du National Health Service. Pourquoi le message des séparatistes a-t-il obtenu autant de succès auprès de la population britannique? Quelques pistes de réflexion méritent d’être évoquées et c’est ce qui sera fait dans les lignes qui suivent.
Les inégalités
Un tel degré d’incompréhensions relève, hélas, des inégalités dans la société britannique, par rapport aux richesses, aux revenus, à la formation, à l’accès au logement convenable, et ainsi de suite. Un tel constat vaut non seulement pour le Royaume-Uni, mais pour toute société qui ne soucie pas de lutter contre les inégalités de manière continue et efficace. Sans nul doute, c’est un combat difficile à mener dans le monde actuel, lequel est fortement caractérisé par un individualisme forcené où l’égoïsme et la loi du plus fort l’emportent sur des valeurs d’entraide et de solidarité.
L’immigration sauvage
C’est dans un tel environnement que des politiciens aux accents populistes acquièrent de la popularité. Leur principal cheval de bataille est l’immigration dont l’ampleur est considérable, suite aux actions de certains tyrans de l’ère moderne, notamment au Moyen-Orient. Cela fait le jeu de ces partis d’extrême- droite qui gagnent du terrain en France, en Angleterre, en Autriche, et dans d’autres pays d’Europe occidentale. N’oublions pas, non plus, Donald Trump, l’imprévisible d’outre-Atlantique, futur bâtisseur de murs d’enceinte, pour protéger son Amérique à lui des immigrants indésirables. C’est bien dommage que l’immigration soit ainsi devenue la bête noire de tant de pays.
L’immigration contrôlée
Le dernier quart du 20ème siècle a été caractérisé par l’avènement de la mondialisation. On avait déjà commencé à parler du village global surfant sur le progrès technologiques en matière de communications et de connectivité. Puis s’ouvrirent les frontières  et fut signé l’Accord de Marrakech en 1994, donnant naissance à l’Organisation Mondiale du Commerce (l’OMC). Mais cette mondialisation- là est incomplète: moyennent l’observance de maints règlements, l’OMC vise à la libre circulation des biens et des services à travers les frontières. Mais le mouvement de personnes à travers les frontières est hors du champ d’application de l’OMC et c’est là où le bât blesse. Désirant aller plus loin que l’OMC, l’Union Européenne vise, à travers les accords de Schengen, à la libre circulation des personnes entre pays signataires. Malheureusement, le flux des immigrants clandestins est venu mettre à mal cette noble ouverture à la libre circulation des personnes. Quant au Royaume-Uni, quoique non-participant notoire à l’Accord de Schengen, il n’a pu empêcher l’immigration d’Européens (Polonais, Français, Italiens etc.) sur son territoire, cela en vertu de sa participation à l’Union Européenne. Ce qui a échappé aux partisans du Brexit, c’est que la participation de Royaume-Uni au marché unique européen ne peut pas faire l’économie d’une libre circulation des personnes, soit des Européens vivant et travaillant au Royaume-Uni et des britanniques vivant et travaillant dans les 27 autres pays faisant partie de l’Union Européenne. Dans une telle configuration, il n’y a pas de place pour un Little England renfermé sur lui-même et isolationniste.
L’excès de bureaucratie
Les séparatistes se sont aussi élevés contre l’excès de bureaucratie sévissant au sein  de l’Union Européenne et contre les directives émanant de Bruxelles, ce qui leur paraît  comme une atteinte à l’exercice de souveraineté par leur pays. Dans la mesure où une telle critique est justifiée, elle pourrait être corrigée par l’application du principe de subsidiarité au sein de l’Union européenne: dans le cadre de principes généraux adoptés par les autorités de la Commission à Bruxelles, accorder davantage de latitude aux pays membres pour les appliquer chez eux dans le respect de leurs législations respectives, de leurs us et coutumes et de leur culture. Se servir du prétexte de l’abus réglementaire pour se séparer n’est guère une solution efficace et intelligente. C’est jeter le bébé avec l’eau du bain.
Rejet de l’ordre établi
Le monde actuel fait face à une opposition de plus en plus forte à l’ordre établi. Deux facteurs de cause sont à l’oeuvre :
D’une part, l’individualisme gagne du terrain dans tous les pays. L’exaltation des droits est patente, l’exécution des devoirs est minorée ou ignorée ;
D’autre part, dans de nombreux pays pratiquant la démocratie, l’impression, sinon la réalité, est que le pouvoir est, d’année en année, confisqué par des cliques dynastiques plus ou moins éloignées du petit peuple. Ajouter à cela l’impression — sinon — la réalité que ces pouvoirs politiques sont de mèche avec les barons du business, et voilà que l’homme de la rue n’attend que le moment de voter contre l’ordre établi.
Des exemples abondent: en Italie, la mairie de Rome vient de tomber aux mains d’un tout nouveau parti politique, hostile aux forces politiques traditionnelles ; en Autriche, un candidat d’extrême-droite a manqué de peu d’être élu à la présidence; en France, Marine Le Pen ne sera pas qu’une figurante aux prochaines élections présidentielles ; en Espagne, les partis politiques traditionnels sont incapables de gouverner car leur audience s’est effritée au bénéfice de deux nouveaux partis, l’un de centre-droit et l’autre d’extrême gauche. Et, outre-Atlantique, Donald Trump, le franc-tireur, a réussi à mobiliser l’électorat républicain au grand dam des dirigeants traditionnels de parti, tandis que Bernie Sanders a mené la vie dure à Hillary Clinton, la grande dame du pari démocrate.
Le Brexit s’inscrit dans cette mouvance du rejet de l’ordre établi. Le risque est que cette mouvance s’accentue maintenant au sein-même du Royaume-Uni avec, notamment, l’Écosse, où le sentiment pro-européen est fort. Même sentiment de rejet au sein du Parti Travailliste britannique : le leadership de Jeremy Corbyn est fortement contesté par ses propres députés dont la majorité a voté une motion de censure à son égard, et plusieurs membres du Shadow Cabinet ont démissionné de leur poste.
Conflit intergénérationnel
Pourrait aussi intervenir, de manière sous-jacente, un conflit intergénérationnel, car on a pu entendre des jeunes britanniques reprocher à leurs aînés d’avoir  choisi l’isolement et le séparatisme, alors que l’avenir du monde se construit dans l’ouverture et les échanges transfrontaliers. Ces jeunes britanniques ont peut-être à l’esprit l’erreur commise par des empereurs de la dynastie Ming aux 16ème et 17ème siècles : leur recours à l’isolationnisme mit un frein au rayonnement de la Chine hors de l’Asie. La Chine  souffre encore des séquelles de cet enfermement.
What next ?
Les observations qui précèdent ont évoqué les causes possibles du vote majoritaire en faveur du retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Pour rappel, ce sont l’incompréhension et la frustration des citoyens par rapport aux décisions prises par leurs gouvernants, le ras-le-bol, le rejet de l’ordre établie et des excès de la bureaucratie et du régime des règlementations.
Les jeux sont-ils donc faits et le divorce bientôt proclamé ? On est encore bien loin, semble-t-il malgré les pressions que tentent d’exercer l’Allemagne et la France, entre autres. Car les opposants à la séparation n’ont pas baissé les bras, ils savent que le référendum n’est qu’une consultation n’engageant pas le Parlement qui reste souverain, et que la majorité des députés du Parlement actuel est opposée au Brexit.
Beaucoup d’eau risque encore de couler sous les ponts de la Tamise. En attendant, le Royaume-Uni est secoué sur ses assises, et c’est une bien triste fin de règne pour la vaillante nonagénaire qu’est Elizabeth II.
Parallèlement, la santé de l’économie risque de se détériorer, par rapport aux prix, à l’emploi, au commerce international et aux investissements. La Cité de Londres, temple de la finance, devra déployer toutes ses énergies pour garder son rang.
De manière plus générale, il est regrettable de constater que le Brexit contient, en germe, un possible affaiblissement de l’Union Européenne. Quand on sait que cette Union a été construite au cours de ces soixante dernières années afin de maintenir un climat de paix en Europe et de promouvoir son développement socio-économique, il y a de quoi s’inquiéter à l’idée que le Brexit puisse annoncer une vague de balkanisation, assorti d’une recrudescence du protectionnisme qui attend toujours sa chance pour s’imposer dans les échanges commerciaux entre les pays.
D’aucuns se réjouissent à l’idée que le Commonwealth sera revigoré, avec notamment un retour à une intensification du commerce entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, d’une part, et le Royaume-Uni, d’autre part. Pareillement, Maurice se verra peut-être offrir davantage de facilités dans ses relations commerciales avec le Royaume-Uni. Ce sera une mince consolation par rapport au désordre mondial causé par la décision du Royaume-Uni de tourner le dos au marché unique, dont les bénéfices découlant de l’ouverture entre 28 pays valent bien les exigences et les contraintes associées au partage des décisions prises dans le respect de la souveraineté. 

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