Ça sent la banane

Les membres de l’opposition qui l’avaient affirmé avaient-ils donc raison ? C’est surtout pour se venger d’une conversation rapportée — espionnée ? — que le Premier ministre a fait voter, avec certificat d’urgence, l’amendement à la loi sur l’immigration. Une loi qui lui donne le pouvoir de décider si un étranger ou une étrangère ayant épousé un ou une Mauricien(ne) pourra ou non vivre à Maurice. C’est Pravind Jugnauth lui-même qui l’a révélé lors du meeting du 1er – Mai en faisant référence à l’ex-pilote d’Air Mauritius qui l’avait, dans une conversation privée, traité de fou. La pratique des dirigeants politiques de faire amender les lois pour se débarrasser d’un adversaire ou de quelqu’un qui a osé les critiquer a un nom et est monnaie courante dans les républiques bananières : dictature. C’est la culture de ces dictateurs aux petits pieds qui, incapables de répondre à la critique par des arguments, utilisent l’intolérance et l’arsenal de l’appareil d’Etat pour tenter de la faire taire politiquement et économiquement. Encore une mesure qui va encourager l’investisseur étranger à venir s’installer à Maurice ! On dirait que cette pratique, qui relève d’un ego qui n’arrive plus à se contenir — surtout lorsqu’il est applaudi et encouragé par des courtisans — est en train de gagner du terrain à Maurice et ne vise pas que les ressortissants étrangers.

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Top FM, une des premières radios privées du pays, est en train de revoir sa politique éditoriale en adoptant un ton critique contre le gouvernement et les oppositions. Quelques-unes de ses enquêtes sur des membres du gouvernement et, plus particulièrement, son ton en ce qui concerne les commentaires sur les meetings et les foules du 1er-Mai, ont agacé ceux qui conseillent le Premier ministre. Pis, la direction de Top FM, suivie par les autres radios privées, avait eu l’outrecuidance de dénoncer les conditions dans lesquelles les permis ont été délivrés — offerts ? — aux deux nouvelles radios, dont la proximité avec le pouvoir est établie. Oser critiquer ou contester le pouvoir a un prix et la direction de Top FM vient de le découvrir à ses dépens. Subitement, une agence gouvernementale, dont les bureaux sont situés dans un immeuble appartenant à la direction de la radio, a mis fin à son bail et annoncé son déménagement. Le budget publicitaire des entreprises paraétatiques attribué depuis des années à Top FM a été substantiellement réduit, et il semblerait que cela concerne également le cas du budget publicité des prochains Jeux des îles. Cette manière de faire fait également partie du fonctionnement des dictatures qui prolifèrent dans les républiques bananières. Quand on ne peut pas réfuter les critiques par des arguments, il faut les asphyxier au plan financier. C’est exactement ce que Navin Ramgoolam et son gouvernement ont tenté de faire avec la presse indépendante en la privant de la publicité gouvernementale. Et dire qu’à cette époque le MSM et son leader avaient dénoncé cette pratique comme étant une dérive dictatoriale…

Air Mauritius a aussi adopté, depuis pas mal de temps, la tactique d’essayer de faire taire à n’importe quel prix les critiques — de plus en plus méritées — adressées à sa direction. Souvenez-vous : pour empêcher la comparution d’un membre de l’équipe de lakwizinn devant un comité disciplinaire, la direction ne trouva rien de mieux à faire que de licencier le PDG de la compagnie ! Ces dernières semaines, la direction a démontré son incapacité à accepter les critiques en prenant des décisions qui auraient fait tiquer les plus endurcis des dictateurs. C’est ainsi que pour essayer de faire taire Raj Ramlagun, ex-employé et porte-parole des petits actionnaires, la direction lui a fait servir du papier timbré lui réclamant… Rs 50 millions pour ses critiques qui auraient porté atteinte à l’image de la compagnie. Après tous les scandales de ces derniers temps, le nombre de vols annulés ou retardés par Air Mauritius, la compagnie a-t-elle encore une image de marque ? L’ex-pilote Patrick Offman a eu lui aussi droit à son papier timbré délivré comme un cadeau juste après son mariage civil. Air Mauritius l’estime responsable de la grève des pilotes et lui réclame quelques dizaines de millions comme manque à gagner. Sur cette lancée, la direction d’Air Mauritius a également interrogé des membres du personnel navigant sur les commentaires qu’ils ont postés sur les réseaux sociaux. Puisque Air Mauritius tire sur tous ceux qui osent le critiquer, on ne comprend pas que la compagnie aérienne n’ait pas encore fait servir du papier timbré au ministre du Tourisme. Il a durement — et avec raison — remis en question au Parlement, et ailleurs, la stratégie de la direction et lui a attribué la baisse d’arrivées du marché touristique chinois.

Avec les exemples qui précèdent, et les nombreux autres répertoriés, il faut reconnaître que Maurice est en train de se forger une réputation dans une catégorie politique que l’on croyait en voie de disparition. Celle des républiques bananières.

Jean-Claude Antoine

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