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Carl de Souza : « J’ai l’immense chance de vivre au milieu de délicieux fantômes »

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Carl de Souza : « J’ai l’immense chance de vivre au milieu de délicieux fantômes »

Pourquoi l’écrivain Carl de Souza écrit-il ? Nous avons essayé de le comprendre. D’abord, en l’interrogeant sur son tout dernier roman L’année des cyclones, publié aux Éditions de l’Olivier. L’auteur nous entraîne dans les champs de cannes de Piton et les bitation des camps sucriers à la poursuite d’une histoire que nous voulons croire sienne. Où commence la fiction et où finit la réalité ? On ne le saura jamais vraiment. Sans doute est-ce cela le propre des auteurs au tempérament cyclonique.

En attendant la venue de bourrasques sous nos latitudes, Scope propose une prise de paroles décoiffante, exprimée avec sincérité.

Carl de Souza, quel est le thème central de L’année des cyclones ?

C’est effectivement l’histoire d’une famille : les deux frères et la sœur ont bel et bien existé, avec des vies quelquefois dramatiques. Mais comme tout auteur, je les ai accommodés à ma façon. C’est donc fictif… Mais on sait que tout roman part de la réalité, même si on essaie de s’en échapper. Mais personne n’a essayé de flinguer les autres… 

Diriez-vous que votre écriture est une prise de parole rebelle ?

Je tiens de mon père (et de sa famille) une prise de parole inhabituelle – de son temps, on ne disait jamais “rebelle”. Comment voulez-vous ! C’était sous les Britanniques, sinon le Vatican. Il était flic, responsable de la sûreté de la police coloniale : il m’a inspiré le roman et le lieu où je vis actuellement. Rassurez-vous, il n’a jamais tiré sur Anjalay ! (si cela avait été le cas, je suis certain que le pacifiste qu’il était se serait arrangé pour la rater). Au fil de l’écriture, le personnage s’est détaché de lui pour ressembler davantage à un cousin. De son temps donc, on parlait “d’excentricité”, qui était une forme polie de rébellion.

Il m’a légué les maths, la lecture, le jardinage, la musique (c’était un bon pianiste autodidacte) et le badminton. Il a assisté aux premiers meetings MMM et écrivait en créole avant certains auto-déclarés “experts” récemment. Il ne m’a fait que deux compliments de toute sa vie : “Ar sa piti-la zame ou kone ki li kapav fer” (c’était avant un match de badminton contre un champion kenyan), et un autre jour : “Sana-la, so lespri pa travay kouma pou tou dimounn.” Les de Souza étaient très francophones, anglophones et, comme toutes les personnes des bitation, spontanément créolophones.

Pourquoi confronter lutte ouvrière et bourgeoisie ?

Je ne fais que décrire spontanément une situation de fait. Quand j’écris des romans, j’essaie de ne pas calculer mais d’entrer dans la tête de mes personnages.

Vous avez vécu un moment à Piton. Est-ce exact de dire que L’année des cyclones raconte au fond l’auteur lui-même ?

Tout à fait : une des “stations” de mon père était la responsabilité de la région Nord. J’y ai habité, suis allé à l’école du village (en passant, la meilleure école primaire à laquelle je suis allé et qui a fait de moi un biologiste et un jardinier). Mes copains de classe maniaient la pioche mieux que moi. Des écoles primaires, j’en ai connu huit ! Dont une a glissé sur le flanc de la Montagne des Signaux, déclenchant un roman et une pièce de théâtre. J’ai fréquenté celle de Port-Mathurin, ainsi que le RCPL et le RCC. Ma mère institutrice faisait le rattrapage de tous ces décalages. Oui, c’est toujours hypocritement autobiographique.

Ce piano au salon, ce n’est pas un hasard ?

Non, il y est toujours. Aujourd’hui (NDLR : à Piton), il ne joue plus des opérettes, mais du jazz et aussi Mozart en séga.

Diriez-vous que l’environnement du romancier détermine le décor du roman ?

En ce qui me concerne, tout à fait. Le moment déclencheur du roman a été l’attentat de Charlie Hebdo, chez qui travaillait un des bédéistes dont je parle dans mon roman (Calvo) en son temps. J’étais au volant, me promenant au milieu de “mes” karo kann.

Quid des personnages qui peuplent ce roman ?

Ils viennent me voir la nuit, profitant que dorme le reste de l’humanité. J’ai l’immense chance de vivre au milieu de délicieux fantômes. Ma maison de Mont Piton, où j’habite depuis quatre ans, retentit de leurs rires et de leurs ironies. Les membres de ma famille paternelle sont foutan par définition. Un jour, je m’intéresserai à celle de ma mère. 

Pourquoi écrivez-vous, Carl de Souza ?

Mes premiers écrits datent du collège Royal de Curepipe où j’ai été puni par un prof obtus (il y en avait quelques-uns à côté d’esprits brillants), pris en flagrant délit d’écriture de roman à 14 ans alors que le devoir était sur la versification, qui me saoulait.

J’écris des lettres d’amour, des contes pour enfants parce que je me suis endormi chaque soir sur l’épaule d’un père qui avait encore plus d’imagination que moi.

J’écris parce qu’un jour Daniel Koenig, mon prof de français, avec qui je me suis chamaillé durant toute ma scolarité, m’a appelé à 22h pour me dire que sa petite-fille s’était endormie grâce à mon conte, La tififi Citronnelle.

J’écris parce que Georgie Noël, cet extraordinaire comédien qui était notre prof de GP, refusant le rôle de Daronville que je lui proposais pour la pièce La Maison… parce qu’il était pratiquement sur son lit de mort, d’une voix faible, m’a ordonné : “N’arrête jamais d’écrire.”

J’écris parce qu’en Form V, mon prof de maths Wan Hok Chee m’a regardé comme si j’étais la racine carrée d’un nombre négatif, et a dit : “De Souza, I’ve overheard in the staff room that your essays were… rather interesting.”

Beaucoup de mes camarades du RCC comprendront parfaitement ce que j’avance sur ces profs formidables. Ah oui, j’oubliais : j’écris pour emmerder mes proches, ce qui est puéril et jouissif.

Notre passé colonial est-il encore à exorciser, selon vous ?

Il est à reconnaître, à évaluer, à dénoncer, à valoriser… Pourquoi ne m’interrogez-vous pas sur notre présent colonial ? Avec nos néo-colonisateurs trumpisants, quand ils ne viennent pas de Beijing ou de New Delhi ?


En quatrième de couverture

“Cette année-là, la maison des Rozell a partiellement résisté au passage dévastateur des cyclones, mais ses occupants ne s’en sont pas remis. Kathleen a quitté le domaine du Piton, abandonné son mari Hans à sa vie solitaire, et emmené leur fille Noémie loin de ce lieu maudit.

Hans, Noémie, Kathleen, chacun à leur manière, reviennent sur l’histoire familiale. La maison coloniale au milieu des champs de cannes, un cadet rêveur, une fille au caractère trempé, un aîné brillant, un piano dans le salon, une exploitation sucrière promise à une belle prospérité avec l’arrivée de William Wright, un ingénieur à l’esprit original et séduisant… Jusqu’au jour où William Wright est découvert à demi-mort dans son pavillon.

Au cœur de ce roman, trois générations de Rozell se trouvent emportées par le souffle de l’Histoire, les passions et les sacrifices.

L’Année des cyclones : une grande saga familiale à l’île Maurice au siècle dernier.”