CATHERINE BOUDET: Une journaliste en liberté sous caution

Cela fera bientôt un an que Catherine Boudet, journaliste réunionnaise exerçant à Maurice, est en liberté sous caution. Portrait d’une journaliste devenue, à son corps défendant, le principal personnage d’une enquête policière qui a depuis longtemps viré au mauvais feuilleton.
Catherine Boudet est née à la Réunion — et on l’entend dans la manière chantante dont elle prononce certains mots et noms — et n’aime pas beaucoup parler de son enfance. Elle préfère dire qu’elle beaucoup voyagé en Europe, a vécu au Mexique, séjournée à Haïti, en Inde, en Australie et en Afrique du Sud avant de se rapprocher de plus en plus de sa destination privilégiée : l’île Maurice. Après des études de langues étrangères appliquées au commerce international, Catherine Boudet fait des études en sciences politiques à Bordeaux où elle obtient un DEA sur les relations de Maurice et de la Réunion avec l’Afrique du Sud après l’apartheid. Elle revient ensuite à la Réunion où elle prend de l’emploi dans une compagnie maritime. C’est dans ce secteur très particulier qu’elle prend conscience de son envie de réfléchir, écrire et de continuer à étudier. Par ailleurs, elle découvre que les franco-mauriciens occupent une place de choix dans les réseaux de distribution et décide de leur consacrer une thèse de doctorat. « Dès le départ, des amis universitaires m’ont dit qu’écrire une thèse sur les franco-mauriciens était infaisable. C’était un challenge. J’ai commencé à réfléchir, à chercher un directeur de thèse, à trouver un thème, puis à commencer à faire des recherches et du travail sur le terrain. Le sujet de la thèse est : « Les franco-mauriciens entre Maurice et l’Afrique du Sud : identités, stratégies migratoires et tentatives de recommunautarisation ». Il a pour but de définir le groupe franco-mauricien, de comprendre comment il se positionne par rapport aux autres, comment il se vit lui-même et quelle est sa vision des choses. « Les premières recherches vont révéler à Catherine Boudet une chose qu’elle ignorait : ses liens de parenté avec certains franco-mauriciens. » Cette découverte inattendue a été tout d’abord un choc pour moi. « Elle m’a ensuite permis d’inclure une donnée émotionnelle dans ma recherche. Cette découverte a été un enrichissement énorme pour ma thèse, qui a été une étape marquante de ma vie. Elle m’a permis de comprendre, de prouver et de théoriser le fait que le groupe franco-mauricien est une diaspora d’une nouvelle forme.  » Si la thèse est très bien accueillie par le jury, elle l’est moins par les franco-mauriciens. Surtout ceux qui ne l’avaient pas lue et qui réagissant, sur des oui-dire ont eu des réactions assez excessives. « Ils m’ont condamné en se disant : de quoi elle ses mêle celle-là, pourquoi a-t-elle besoin d’écrire sur nous. Ils craignaient sans doute ce que j’avais écrit sur l’esclavage, l’engagement, l’apartheid les relations avec les autres communautés à Maurice et en Afrique du Sud. L’accueil a été différent quand certains ont enfin lu cette thèse et se sont rendus compte que mon propos n’était ni polémique, ni de parti-pris et que c’était un travail de recherche honnête. » Après la présentation de sa thèse, Catherine Boudet a la possibilité de choisir entre plusieurs poste en France, mais choisit de revenir à la Réunion. « Je n’avais pas une idée précise de ce que je voulais faire professionnellement, les choses se sont faites au fur et à mesure. Mais j’étais sûre d’une chose : je ne voulais pas travailler en métropole. Je voulais continuer à réfléchir, à écrire, faire des recherches et ça je ne pensais pas pouvoir le faire en France.  » Catherine Boudet revient donc à la Réunion et prend un poste de chargé de cours à l’université. Pendant dix ans, elle va enseigner la sociologie politique, les méthodes de recherche, d’analyse et de rédaction en anglais. Parallèlement elle écrit des textes académiques, de la poésie et donne des conférences. Mais après dix ans d’enseignement, Catherine décide de faire autre chose. « Je voulais sortir du bocal fermé de l’université où l’on évolue en vase clos pour aller dans la vraie vie, sur le terrain. Une amie m’a proposé de faire du journalisme, ce qui m’a semblé au départ insensé, ne correspondant pas à ma formation. Puis j’ai réfléchi et j’ai décidé de faire un essai en acceptant un poste de secrétaire de rédaction à temps partiel dans un journal économique. J’ai dû désapprendre a écrire comme une universitaire, me départir du carcan de la théorie et découvert que le journalisme qui, quand il est bien fait, combine réflexion, recherche et travail sur le terrain était le métier qui me convenait parfaitement. Mais tout comme je ne voulais pas enseigner en France, je ne voulais pas travailler comme journaliste à la Réunion. » Catherine Boudet met donc le cap sur Maurice où elle passe un an à l’Express « où j’ai appris à simplifier mon écriture, à choisir le bon angle, les bons sujets, traiter les dossiers de fond ». Un an plus tard elle quitte l’Express pour se joindre à l’équipe du magazine Impact News. C’est là que, dans le cadre d’une enquête pour le magazine, qu’elle devient une journaliste en liberté sous caution.
En avril de l’année dernière, Catherine Boudet se rend à la police pour faire une déposition contre Stéphane Sinclair, un historien français installé à Maurice. Comment passe-t-on du statut de journaliste à celui de dénonciateur ? « A la suite d’éléments troublants. J’avais ouvert une enquête sur l’historien Stéphane Sinclair et découvert qu’il était en train de commettre des actes préjudiciables à Maurice au niveau des archives du pays. Fallait-il attendre de boucler mon enquête ou, apprenant que la personne en question allait quitter le pays, aller à la police ? Les éléments dont je disposais touchaient à la sécurité d’Etat, comme une déclaration d’un conseiller du Premier ministre l’a démontré par la suite. Bertolt Brecht, l’écrivain allemand anti-nazi, a dit : « Celui qui ne sait pas est un ignorant, celui qui sait et se tait est un malfaiteur ». Je ne pouvais me taire. J’ai pris mes responsabilités de journaliste et de citoyenne et je suis allé à la police. » Mais la police mauricienne ne semble pas avoir la même perception des choses que la journaliste. Elle interpelle l’historien, écoute ses explications qu’il résumera ainsi plus tard dans un mail envoyé à ses contacts mauriciens : « des informations débitées par une mythomane sous traitement psychiatrique, inspirée par une poignée d’autres personnes tout aussi mal intentionnées. » L’historien, que la police autorise à quitter le pays, fait une déclaration contre la journaliste qu’il accuse de mensonge. « On a laissé partir la personne qui a déclaré que j’étais une menteuse et sur la base de cette simple déclaration, j’ai passé deux nuits en prison, été traduit en cour, accusé provisoirement de mensonge et libéré sous caution jusqu’à la conclusion de l’enquête. Cela fera presque une année que cette enquête a été ouverte et à la dernière séance la magistrate a donné à la police jusqu’au 25 avril prochain pour la terminer. » Comment vit-on ce genre de situation : comment passe-t-on du décrit au vécu ? « Une travailleuse sociale m’a dit : « ce n’est pas la même chose quand on raconte et quand on vit une arrestation policière et une détention ». J’ai découvert ce que vivent et ressentent les gens qui sont arrêtés, emprisonnés sur la base d’une fausse accusation et traduit en cour. C’est terrible. Le lendemain de ma libération on m’a félicité d’avoir vécu cette expérience professionnelle. Moi, je l’ai vécu différemment, comme un traumatisme émotionnel. Je l’ai vécu comme une dégringolade. Pendant plusieurs mois, j’ai été incapable de sortir de chez moi, de parler aux gens, de rencontrer des personnes. C’était au-dessus de mes forces. J’ai eu des crises d’angoisse qui ont aujourd’hui diminué, qui s’estompent. On ne comprend pas ce qui vous arrive, on ne peut pas expliquer, on ne pas se l’expliquer. » Cette arrestation aura également des répercussions sur sa vie professionnelle. Le fait que la journaliste menait une enquête journalistique sur Stéphane Sinclair sera niée, elle sera traduite devant un comité disciplinaire et renvoyée d’Impact News qui devait d’ailleurs fermer quelques temps après. Catherine Boudet découvre alors que souvent à Maurice quand il s’agit de prendre position, certains grands défenseurs des droits de l’Homme choisissent le politiquement, le policièrement correct. Pour ne pas dire la lâcheté. Depuis, Catherine Boudet collabore au Journal du samedi et continue a écrire. « Intellectuellement cet épisode m’a fait passer à un niveau de conscience supérieure au point de vue de l’écriture. J’ai beaucoup produit au niveau de la création poétique depuis. » Elle a terminé deux receuils de poésie, une pièce de théâtre, des textes scientifiques sur la démocratie et la diaspora mauricienne, publiés dans des revues internationales.
Comment qualifie-t-elle ce mauvais feuilleton dont elle est le personnage principal ? « C’est une expérience à la mauricienne. Il faut avoir une certaine dose d’humour pour vivre avec. On est en quelque sorte dans une bd grandeur nature. Mais ça, on se le dit après, sur le moment, on ne sait pas ce qui se passe, on ne comprend pas, personne ne peut expliquer. » Tout comme le fait que la police n’a pas encore bouclé son enquête, près d’une année après son ouverture. D’autant plus que depuis Stéphane Sinclair, son accusateur, est revenu tranquillement à Maurice avant d’aller s’établir aux Etats-Unis. Il semblerait que dans le cas de Catherine Boudet la police ait une interprétation particulière de la phrase de Brecht citée plus haut. Elle semble considérer que c’est celui qui fait son devoir qui est un malfaiteur…

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