CENTENAIRES—ATCHEE CHELLUM : Mère courage exemplaire

Ordinairement, c’est son plus jeune fils, Jayen Chellum, figure publique très connue, qui fait l’actualité. Mais une fois n’est pas coutume, samedi 1er février, c’est la maman du travailleur social, Atchee Chellum, qui a fait parler d’elle. Raison : elle a soufflé ses 100 bougies ! Portrait, via les mots de son fils, d’une mère courage exemplaire, qui n’a jamais connu son père, et qui, comme femme, s’est toujours pliée aux multiples attentes reposant sur ses épaules… Le pilier d’une famille qui, sur toutes ces années, s’est certes retrouvée dans des circonstances où elle a dû courber l’échine, mais tel le roseau, elle n’a jamais cédé !
Atchee Chellum, fille unique de Meenatchee Sunassee, voit le jour à Belle-Vue Harel, sur la propriété sucrière. Elle est d’ailleurs, comme son frère, Ponsamy Sunassee, le fruit d’un amour interdit… La mère d’Atchee, Meenatchee Sunassee, elle-même dotée d’un tempérament bien trempé, a jalousement conservé son nom de jeune fille, défiants les regards et les on-dit de son époque. Elle se retrouve donc à élever seule ses deux enfants. L’on devine les innombrables difficultés auxquelles cette femme a dû faire face pour assurer à Atchee et Ponsamy un toit décent et de quoi subvenir à leurs besoins quotidiens durant ces jours difficiles…
« Maman et son frère étaient très liés, relate Jayen Chellum. Mais si mon oncle se sauvait souvent pour aller retrouver leur père, en revanche, ma mère ne l’a pas du tout connu. Ce que mon oncle racontait toujours, quand il allait rejoindre leur père en cachette, c’est que celui-ci le prenait sur ses genoux et le faisait jouer, sauter. Ils y prenaient joie, tous les deux. Et en ces instants, des larmes coulaient toujours sur son visage… »
Si sa mère n’a pas eu la chance de vivre auprès de l’amour de sa vie, en revanche, Atchee Sunassee devient l’épouse de Rengasamy Chellum peu après qu’ils se soient connus et aimés. « Maman a connu papa par le biais d’oncle Ponsamy, explique Jayen Chellum. Il se trouve que mon père était le meilleur ami de mon oncle et ils étaient tout le temps ensemble ! »
Chagrins
Quand Atchee épouse Rengasamy, elle a 17 ans. Lui travaille sur la propriété sucrière de Solitude. Et elle, dès cette époque, prendra à coeur son rôle de femme au foyer. Le couple s’installe à Triolet dans un premier temps. De leur union, naissent neuf enfants : Vasu (l’aîné), Raj, Loga, Deva (qui en 1963 sera porté disparu), Sagadeven dit Gas, Sang (l’unique fille), Ballen, Jayen et Vishwanathen. Celui-ci, benjamin de la famille, n’a vécu que trois ans, se souvient Jayen Chellum. Cette disparition prématurée de son plus jeune fils cause « beaucoup de chagrin à maman, à l’époque, ajoute encore notre interlocuteur. Pourtant, et c’est là qu’on a commencé à découvrir qui était notre mère, elle n’en pipait mot à personne. Jamais, dans les moments les plus difficiles de sa vie, mère n’a eu de confidents ou d’ami vers qui se tourner et confier ses problèmes. Elle gardait tout au fond d’elle, mais surtout, ne laissait jamais rien transpirer… On se disait donc qu’elle était bien et qu’elle était heureuse. Mais personne ne se doutait de ses souffrances intérieures. »
La disparition en 1963 de Deva et le départ d’un autre fils, en l’occurrence Raj, des années plus tard, causèrent également énormément de peine à Atchee Chellum. Son frère Raj, se souvient Jayen Chellum, « avait fait le choix de quitter le pays… Il avait embarqué à bord du dernier Pierre Loti. Là encore, maman enfouit ses larmes et son chagrin, et ne nous laissa jamais voir à quel point elle souffrait de la séparation d’avec ses enfants. Elle tenait beaucoup à nous. Son monde gravitait autour de nous, mon père et ses enfants. On a mis beaucoup de temps à comprendre l’importance que l’on avait à ses yeux. »
Quand son mari est « injustement renvoyé à cause d’une prise de bec avec son foreman », le couple Chellum quitte Triolet et emménage à Camp-Yoloff, dans la périphérie de la capitale. « Le destin réservait une belle surprise à mes parents, car mon père gagna une loterie… Pas un super jackpot, mais de quoi, au moins, lancer son propre business. » Les ennuis ne sont pas finis pour les Chellum : « Pour des nouveaux venus, s’installer dans un quartier comme celui de Camp-Yoloff, où vivaient essentiellement les dockers, ouvrir une taverne et s’y imposer, ça ne s’est pas fait sans heurts, explique M. Chellum. Mais la force tranquille de ma mère, alliée à la persévérance de mon père ont eu raison des principaux obstacles. »
Pendant que Rengasamy s’occupe de s’approvisionner en marchandises pour leur commerce, « Atchee, elle, s’acquittait de toutes les taches ménagères à la maison, et en sus de cela, c’est elle qui préparait les gajacks — ourite, poisson, entre autres — pour la taverne. Et toujours sans jamais se plaindre ni faire de commentaires. » Durant la même époque, la famille se retrouve “agrandie” quand le frère d’Atchee, Ponsamy, décède à 32 ans seulement. Ses quatre enfants, Asoda, Savite, Saras et Radha, sont pris en charge par Atchee et les siens.
Rayonnante d’amour
De toutes les années et les souffrances endurées, pourtant, « à aucun moment, ma mère n’a eu le moindre manquement dans ses devoirs. Que ce soit envers son mari, ses enfants, la société, la famille… Elle était au four et au moulin, littéralement. Elle s’acquittait de toutes les tâches en véritable femme exemplaire. Et personne ne devinait ce qu’elle recelait en son for intérieur, tant elle rayonnait d’amour et de générosité pour tout le monde autour d’elle. »
Jayen Chellum conserve de « beaux et excellents souvenirs de mes jeunes années auprès de notre mère ». Il continue : « C’est une femme très belle, surtout très douce. Je ne l’ai jamais entendue crier ou élever la voix. Que ce soit avec nous, les enfants, ou avec qui que ce soit d’autre, dans le voisinage… Mon père, en revanche, était très colérique. Miray mem tremble parfwa kan li kumans en koler… Je pense qu’en fait, à eux deux, ils se complémentaient ! »
Ce qui ne fait pas d’Atchee Chellum une femme résignée ou soumise. Loin de là… Ayant évidemment hérité du caractère bien trempé de sa mère, Meenatchee Sunassee, la mère de Jayen Chellum était « une femme à l’esprit ouvert et large. » Cette facette d’Atchee Chellum, son fils la découvre « à la mort de papa. » En fait, se souvient notre interlocuteur, « avec le recul, j’ai réalisé que c’est ma mère qui avait aidé mon père à s’instruire… Cela aurait dû nous mettre la puce à l’oreille ! »
En effet, après la disparition de Rengasamy, en 1976, « c’est une nouvelle Atchee que nous avons découvert… » Jayen Chellum se souvient que « durant cette même année, elle a perdu sept membres de sa famille proche. Ce qui a probablement dû la secouer. » Et pour puiser de nouvelles ressources et trouver la force de continuer, Atchee Chellum se tourne vers les livres : « Quand je rentrais, je la trouvais assise ou installée sur son lit, entourée de gros bouquins ! Je me souviens qu’elle dévorait surtout des biographies et des livres sur des personnalités comme la maîtresse de Nehru ou l’épouse d’Anwar El-Sadate… »
Des embûches et des obstacles, Atchee Chellum en a rencontrés pas mal durant sa vie : cyclones, incendies, maison détruite, enfants décédé ou porté disparu… « Et à 94 ans, ajoute encore notre interlocuteur, sa santé physique a commencé à décliner. Avant cela, elle a eu beaucoup de problèmes d’ulcère notamment, qui ont requis pas moins de sept interventions chirurgicales très graves. D’ailleurs, le Dr Abu Kasenally la connaît très bien. » À 96 ans, elle s’est accidentellement brisé le fémur, ce qui nécessita une intervention du Dr Oomar…
Le 1er février dernier, entourée de ses enfants, ses 15 petits-enfants et 14 arrière petits-enfants, Atchee Chellum a soufflé ses 100 bougies. Forte d’un cheminement qui a forgé, en elle, un caractère solide et riche.

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