UN CERTAIN REGARD — SCANDALES FINANCIERS: Symboles d’une société minée

Chaque jour qui passe apporte son lot de révélations sur le gigantesque scandale financier qui secoue notre République. Si l’ampleur des chiffres cités a de quoi donner le tournis, faut-il vraiment s’étonner de cette énième affaire dont la vie mauricienne semble maintenant être coutumière. De la mauvaise gestion des fonds publics, de fautes de négligence qui causent des morts d’hommes, des passe-droits à la protection et la promotion des proches du pouvoir pour leur enrichissement personnel, notre société offre le spectacle d’une décadence inéluctable.
Certes des Mauriciens s’offusquent tous les jours et les pages des journaux et les ondes des radios privés sont inondées de leurs cris de colère et de dégoût. Il y a une quasi-unanimité pour dire que les autorités ont failli à leurs responsabilités. Que ce soit pour les inondations où les projets infrastructurels et immobiliers ont été réalisés en faisant fi des recommandations mais également du bon sens, que ce soit pour les allégations d’atteintes aux moeurs dans des institutions éducatives (MITD ou Foyer Namasté) où les alertes ont été ignorées, que ce soit pour les pseudos agences d’investissements lucratifs (Whitedot, Sunkai, Je t’aime Marketing entre autres) où des autorités régulatrices ont fait la sourde oreille et joué aux aveugles, nous avons là tous les ingrédients d’une démission collective devant leur responsabilité des gens qui sont payés, grassement ou pas, pour faire ce travail.
Mais si ces faillites humaines sont évidentes, elles sont les exemples d’une faillite plus large de la société mauricienne qui depuis longtemps semble être engagée dans une dérive affairiste et matérialiste que des institutions comme l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), la Financial Intelligence Unit (FIU), la Financial Services Commission (FSC), la Mauritius Revenue Authority (MRA) ou la police peinent ou n’ont pas la volonté d’endiguer.
L’affaire Sunkai montre bien cela. Voici une compagnie dirigée par une personne sur qui pèsent des allégations de corruption. Ancienne conseillère à la municipalité de Quatre-Bornes, elle est accusée d’avoir pris des pots de vin pour l’attribution des étals à la foire de la ville. Comment cette personne, affublée depuis du sobriquet de Mme Kaba, a-t-elle pu avoir l’autorisation d’opérer une compagnie, financière de surcroît ? Comment une personne accusée de s’être servie de sa position d’élue au conseil municipal pour son enrichissement personnel a-t-elle pu entreprendre une activité de nature douteuse sans que les autorités ne lèvent le petit doigt ? Le fait qu’elle soit issue des rangs du Ptr, donc proche du pouvoir, suffirait-il pour justifier cela ?
Ou encore le fait qu’elle soit entourée de personnes qui gravitent autour du pouvoir aurait-il jeté un voile sur la nature de ses activités ? Que le frère d’une personnalité politique ou que le nom d’un avoué réputé soit mentionné dans les papiers de la compagnie suffisent-ils pour accorder un blanc-seing… ?
La FIU, la FSC et même la Banque de Maurice sont toutes responsables. Mais elles ne sont les seules. Si les institutions ont failli, les personnes qui se sont offertes en victimes le sont également. Elles sont les exemples même d’une société où le bien matériel, l’enrichissement rapide, le paraître sont devenus des valeurs centrales. Il y a aujourd’hui à Maurice une course effrénée pour s’enrichir, avoir une (ou des) maison (s) aux dimensions opulentes même si le goût n’y est pas toujours, une grosse cylindrée (dont le Premier ministre s’est fait le meilleur vendeur), les derniers gadgets électroniques dont on utilise rarement plus de 10% des capacités, etc.
Ce nouveau paradigme des valeurs est devenu tellement commun que non seulement peu de personnes s’en offusquent, des associations socioculturelles, autrement pourfendeurs de ce qui pourraient être perçus comme des péchés, montent au créneau pour défendre les personnes dont l’enrichissement subit prête à conjectures. Ainsi, une certaine dame en rouge a trouvé en la personne de M. Dulthumun et des associations qui lui sont fidèles, des avocats pour justifier qu’une sales girl devienne multimillionnaire overnight.
Par ailleurs, en regardant la liste des victimes et le montant des investissements, on est en droit de se demander comment des Mauriciens, à priori fonctionnaires ou employés, peuvent être détenteurs de sommes aussi importantes. On peut s’interroger également sur le fait que parmi les « victimes » l’on trouve des hommes de loi, des policiers, de hauts fonctionnaires et des politiciens.
Ceux-là même qui sont supposés être des repères, à défaut d’être des modèles, se rendent coupables de transactions douteuses. Mais comment blâmer tous ces gens alors même que notre système d’éducation évacue les matières qui privilégient la culture et l’histoire au profit de sujets plus « market-oriented » comme les « business studies » ou la comptabilité ? Notre système éducatif produit des élèves à qui l’on apprend comment gagner de l’argent plutôt que des citoyens avec des valeurs durables. Comment alors s’étonner que parmi l’on trouve des escrocs et des arnaqueurs ?
Les scandales financiers et autres qui secouent notre pays ne sont finalement que le reflet d’une société minée qui aurait besoin d’une gigantesque purge. Mais qui s’en chargera ? Certainement pas les dirigeants actuels.

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