CLIVE GOVINDEN : Un bassiste génial mais modeste

Il est l’un des bassistes les plus recherchés du milieu musical afro-jazz français et belge. Il a travaillé avec de grosses pointures comme Touré Kunda, accompagné Carla Bruni et Mama Zap et est en tournée actuellement avec Dobet Gnahoré. Lui, c’est Clive Govinden, un Mauricien né en France et élevé en Belgique et qui fait partie des acteurs de la world music, dont voici le portrait.
Clive Govinden fait partie de la grande fratrie des Jaganathen, pionnière de l’émigration mauricienne à Strasbourg, dans les 1960. Bien que né en France et élevé à la mauricienne, il va vivre à Bruxelles où son père occupe d’importantes fonctions pour le compte du gouvernement mauricien dans le secteur sucre. Sa mère sera, elle, responsable de la compagnie nationale d’aviation au royaume de Belgique. Dans la grande fratrie, tout le monde fait de la musique, joue d’un instrument et chante les tubes de la pop anglaise, de la variété française et, bien sûr, des ségas — engagés ou pas — que tout le monde reprend en choeur lors des fêtes qui durent jusqu’au bout de la nuit. Clive est donc inoculé par le virus de la musique très tôt et il décide qu’il en fera son métier. A 15 ans, dans une famille où tout le monde collectionne des diplômes universitaires, il annonce son intention de ne pas passer son bac pour se consacrer à la musique. Tout en étant compréhensifs et ouverts, ses parents prendront trois ans avant d’accepter le « plan de carrière » de leur fils. Mais à condition qu’il fasse des études de musique dans une école pour le préparer à passer un concours avant d’entrer au conservatoire. « C’était une excellente idée que je n’ai pas bien acceptée au départ. Pour devenir un bon musicien, il faut une sacrée pratique même si on joue d’instinct. Il faut apprendre, pratiquer et surtout connaître la méthodologie. Je faisais des études pour montrer  aussi que ce n’était pas un caprice mais quelque chose de sérieux pour moi. Alors que mes frères et soeurs faisaient le parcours classique. « Adolescent, Clive jouait de la guitare, mais à l’école de musique après avoir fait de la guitare et un peu de piano, il découvre que son instrument, c’est la basse. « Parce que c’est l’instrument avec lequel je me sens mieux. Je dis souvent que la basse, c’est l’instrument des faux modestes. C’est l’instrument qui est derrière et que l’on ne remarque pas, si on n’a pas l’oreille aguerrie, mais qui est indispensable dans un orchestre puisqu’elle fait la jonction avec tous les autres instruments. Elle occupe une place névralgique dans la musique. » Tout en continuant ses études, Clive commence à jouer en free lance. « Je voulais surtout jouer le plus possible de la musique quel que soit le style et les musiciens. J’ai fait mes armes en jouant dans les boîtes de nuit et les cafés. » Jouer quel style de musique en particulier ? « J’ai une formation jazz acquise au conservatoire, mais moi j’ai grandi dans un milieu où on écoutait le séga, les classiques anglais et français, puis le rock, le hard rock comme tous les ados, mais j’ai toujours eu un sentiment d’appartenance à la musique africaine. Le premier gros groupe que j’ai accompagné, c’était celui d’un Béninois qui était assez connu à l’époque. J’avais 19 ans et je traînais dans un bar avec trois autres copains — qui jouaient de la guitare, de la batterie et aux claviers — et il nous a engagés. Et on s’est retrouvé du jour au lendemain à faire des festivals connus. C’était bien de pouvoir dire à mes parents que je jouais aux Francofolies, puis dans d’autres festivals en Belgique et en France et puis on a fait des tournées. On est restés ensemble environ trois ans — tout en faisant d’autres choses à côté, tout en continuant les études. Et puis, un soir, après un concert, j’ai décidé d’aller faire autre chose. Je jouais dans un club de reggae et un copain est venu me voir pour me proposer de jouer dans un autre groupe et m’envoie à une audition où je suis accepté et trois jours plus tard je me retrouve sur la scène de l’Ancienne Belgique, une des plus grosses salles de concert de Bruxelles de 3000 personnes pour accompagner Numan, un chanteur de reggae/raga qui commençait à se faire connaître et qui faisait la première partie de concert de Pierre Pol Jacques. J’avais 21 ans, j’étais le benjamin du groupe et avec ce chanteur j’ai fait tout ce qu’il était possible de faire en termes de festivals et de tournées. A l’époque, la mouvance afro-jazz n’était pas très connue en Belgique. Tous ceux qui en faisaient, les principaux, ceux que j’appelle les maîtres, étaient tous à Paris et je rêvais d’y aller tout en n’ayant pas le courage de le faire. »
Celui qui poussera Clive à quitter Bruxelles pour Paris est un autre bassiste mauricien, Lindley Marthe. « On s’était connu un peu par hasard alors que j’avais 14 ans et puis, plus tard, il est revenu à Bruxelles et on s’est retrouvé dans une jam session. Il m’a écouté jouer et à la fin, dans le final de la jam, il m’a demandé de remonter sur scène pour jouer avec lui. Un rêve ! Après, on a parlé et il m’a demandé ce que je faisais encore en Belgique et m’a dit qu’il fallait absolument venir à Paris pour pouvoir jouer avec les maîtres qu’il connaissait. J’ai pris mes cliques et mes claques et je suis monté à Paris. » Et les études au Conservatoire royal de Bruxelles dans tout ça ? « Ce n’était pas pratique de jouer le soir et de travailler le jour. Je ne pouvais pas assurer le nombre de présence requises en classe à cause des tournées. J’ai raté un examen qui manquait pour valider mon diplôme. Ils m’ont demandé de refaire une année, j’avais la possibilité de monter à Paris, j’avais déjà une expérience de la scène et du métier. Je n’ai pas hésité : trois mois plus tard, j’étais à Paris où j’ai eu l’occasion de voir jouer tous les grands de la musique fusion et de l’afro-jazz. J’ai commencé à jouer dans des boîtes en me faisant une petite réputation. » Et puis, un après-midi, un coup de téléphone va propulser Clive dans une autre dimension musicale. « J’avais réussi à faire des économies pour partir en vacances avec ma petite amie de l’époque. La veille du départ, mon téléphone sonne et un copain me demande si je suis disponible le lendemain pour faire un remplacement. Je réponds que ce n’est pas possible, puisque je pars en vacances et juste avant de raccrocher, par acquis de conscience, je demande : pour accompagner qui ? Il répond : Touré Kunda. J’ai annulé mes vacances et le lendemain soir, après avoir passé toute le nuit à écouter son dernier disque, je faisais mon premier concert avec Touré Kunda à Bordeaux. Je suis resté trois ans avec ce groupe à tourner en Europe et en Afrique. Mais au bout d’un moment j’ai voulu faire autre chose et j’ai accepté une proposition. » Clive Govinden quitte Touré Kunda pour une autre aventure musicale : jouer en Allemagne dans un cirque qui présente un gros spectacle intitulé Africa Africa, un mélange de cirque, de danses, d’acrobaties et de musiques africaines. « Les artistes venaient du continent africain et les promoteurs étaient allemands. On jouait huit fois par semaine devant trois mille personnes à chaque séance avec des artistes superbes. Mais les artistes africains engagés étaient mal traités par les promoteurs qui avaient vis-à-vis d’eux une attitude pratiquement neocoloniale. J’ai tenu deux mois avant d’être viré. J’avais quitté Touré Kunda, je venais d’être viré, je n’avais pas de travail, je suis retourné à Bruxelles où m’attendait d’ailleurs une Bruxelloise. » C’était un retour à Lakaz Mama, comme on dirait à Maurice. « On peut dire ça. Donc, je reviens à Bruxelles et je joue à gauche et à droite, notamment avec un ancien batteur de Manu Dibango qui a formé son propre groupe, avec un guitariste sénégalais toujours dans la mouvance afro-jazz et ses dérivés vers la world music. Je fais la navette Bruxelles Paris selon les engagements. » Parmi lesquels une proposition pour accompagner une chanteuse pour la promotion de son deuxième album. Elle avait entendu le bassiste sur un enregistrement qui lui avait plu. L’audition est concluante et la chanteuse qui engage Clive s’appelle Carla Bruni. Que pense le bassiste de la mannequin-chanteuse, qui deviendra plus tard première dame de France par son mariage avec Nicolas Sarkozy ? « Avant de la connaître, je pensais que c’était un mannequin à qui on avait mis une guitare entre les mains en lui disant on va faire un tube. En travaillant avec elle, j’ai découvert une femme sensible qui aimait la musique depuis toujours, a toujours écrit des chansons et chanté. C’est une vraie musicienne avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir de travailler. C’est un chouette femme et une super artiste. Elle ne peut pas faire de la haute voltige vocale mais elle a une belle plume et de belles mélodies. » Après cet épisode musical tout en douceur, Clive revient aux rythmes africains et il est engagé pour participer à un spectacle avec un magnifique balafonniste, Aly Keita. « Dans ce spectacle intervient BorisTsango mon ami batteur, avec qui j’avais débuté des années auparavant à Bruxelles. Il y avait surtout dans ce spectacle Dobet Gnahoré, une chanteuse ivoirienne qui a une pêche, une énergie incroyables. Je suis devenu son bassiste fin 2008 et depuis on a dû faire trois cents concerts dans le monde entier. Elle a beaucoup tourné et obtenu un Grammy Award pour « Palea », un titre fait en collaboration avec la chanteuse américaine India Arie. »
Depuis, Clive tourne avec Dobet Gnahoré mais accompagne aussi Zap Mama, un groupe féminin belgo-zaïrois spécialisé dans la word music, mais ne dit pas non si on lui demande de jouer avec un groupe techno, par exemple. Lors de ses vacances passées à Maurice, il a participé à quelques concerts, dont celui de Damien Elisa à IFM, un autre au Sapin et quelques jams à l’hôtel Tamarin. Ce musicien sans cesse en mouvement affirme ne pas être encore prêt pour faire entendre ses propres compositions mais travaille, depuis des mois, sur un projet avec Boris Tsango et Jerry Léonide, un pianiste mauricien dont il pense le plus grand bien. Clive Govinden a beaucoup hésité avant d’accepter le jeu des questions réponses. Serait-ce de la fausse modestie ? « Non. Je ne voulais pas donner des interviews parce qu’on pourrait penser que c’est de la prétention de donner la liste des artistes que j’ai accompagnés. Il y a des musiciens, et même des Mauriciens, qui ont fait plus, beaucoup plus que moi. C’est vrai que je vis le rêve de tous les musiciens : pouvoir faire le tour du monde en faisant de la musique avec une artiste connue. Je suis chanceux par rapport à beaucoup d’autres et je le réalise, mais il n’y a pas que la tournée, les projecteurs, les applaudissements, la fête après le concert dans tout ça. Il y a aussi les répétitions, les mises en place, tout ce qu’il y a derrière un concert, toute cette somme de travail qui mène à cette heure et demie de bonheur partagée. » On peut partager quelques instants de ce bonheur en écoutant quelques enregistrement auxquels a participé Clive Govinden disponibles sur internet.

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