Comment ma belle-mère s’y prit pour ‘inventer’ le principe d’internet (1)

En matière d’inventions, les revendications sont souvent légion… Quel Français ignore ainsi que le célèbre poète Charles Cros fut l’inventeur du fameux phonographe, découverte que les Américains revendiquent allègrement comme étant l’oeuvre de Thomas Edison, comme chacun sait…
Il en va désormais de même quant à l’invention révolutionnaire de l’internet pour laquelle les Américains, encore eux, décrètent avec raison que les balbutiements du système résultèrent d’un panachage entre un concept purement militaire et l’application d’un nouveau système de données partagées expérimenté par le Massachusetts Institute of Technology puis par la mise en réseau de 23 ordinateurs reliés sur ARPANET dans les années 70.
Comme tout un chacun, prenant l’anecdote pour argent comptant, j’ai toujours acquiescé sur cette origine supposée, sans jamais aller vérifier l’information d’origine, acceptant sans broncher l’évidence d’une vérité reconnue et acceptée telle…
Cependant, c’est en fouillant récemment dans le vieux magasin d’accessoires de ma mémoire mauricienne que, soudainement, m’est apparue l’incongruité de l’Histoire. En effet, la conjonction d’un certain nombre de faits différents et concomitants avait certainement pu occulter la réalité concrète et première de l’invention initiale qui révolutionna la planète autant, sinon plus, que la création de l’imprimerie par Gutenberg en 1450.
C’est en me remémorant mes souvenirs lointains des années 80, que m’est apparue la vérité crue sur l’origine exacte et avérée de la fameuse toile et des flux de plus en plus denses d’informations que celle-ci crée chaque jour désormais.
En effet, la version officielle omet de dire que chaque pas supplémentaire, chaque progrès technique advenu en ce monde, n’est souvent que la résultante d’autres découvertes antérieures. Que serait internet sans l’invention du téléphone qui l’a précédé ? Sans doute rien. Aussi, revenir au point de départ initiateur du changement véritable paraît de plus en plus incertain, tant chaque étape doit à la précédente…
Comment donc décréter que tel apport serait suffisamment révolutionnaire pour symboliser à lui seul le point premier et incontournable d’une immense découverte ? Car dans internet, deux aspects techniques cruciaux semblent en effet prévaloir au même titre: -la mise en réseau des utilisateurs, permettant l’accumulation exponentielle des données. -la transmission à distance des dites données par numérisation et transmission électromagnétique compatible avec le réseau téléphonique existant.
Dans les deux cas, j’ai l’audace de prétendre que ma belle-mère fut à l’origine de ce bouleversement planétaire et que les quelques récits historiques sur la question ne sont que simplifications et mensonges purs et simples.
Elle s’appelait Canagamah Mootoosamy, mais toute la famille la connaissait par son surnom affectueux de Gaboulouk. Canagamah, née dans les années trente, Mauricienne de coeur, d’esprit et de nationalité, ne savait ni lire, ni écrire, n’ayant jamais eu la chance de pouvoir aller à l’école. Vous concevrez aisément et par voie de déduction combien il est crucial que le monde entier sache que la plus grande invention du XXe siècle eut pour conceptrice une personne totalement analphabète, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes!
La fille de Canagamah, Vimala Devi, crise économique oblige, dut quitter Maurice en 1980. Tant pour ses études que pour se tracer une nouvelle vie à l’étranger, elle décida, malgré son vif amour pour son pays, de partir au loin afin de tenter sa chance et c’est ainsi en France que je la rencontrai moi-même. Rapidement, l’éloignement, la nostalgie de l’île natale et l’absence de contact familial contraignirent vite la fille à correspondre avec sa mère demeurée à Maurice. Sur la forme, la plupart des correspondances échangées entre les deux femmes furent aussi étranges que novatrices. Vimala écrivait à sa mère en créole, des lettres qui étaient lues à haute voix par un des nombreux petits-enfants de la maison port-louisienne. Puis Gaboulouk, à son tour, suppliait le même enfant de bien vouloir noter scrupuleusement sa réponse en en respectant tous les détails narratifs.
Malgré tout, le véritable handicap de Gaboulouk, qui était d’être analphabète, ne tarda pas à poser problème. Car les enfants de la maison, pourtant nombreux, rechignèrent vite à rendre un service si fastidieux à leur grand-mère, les échanges épistolaires se faisant au début, intenses, fréquents et réguliers.
Vimala avait promis de lui envoyer des nouvelles aussi détaillées que possible et dans les frimas de l’hiver, elle se faisait un devoir d’écrire moult explications et développements sur sa vie quotidienne, faisant autant de chaque lettre une mine d’informations qu’un acte de piété familiale à l’égard de sa mère restée aux antipodes.
Assez vite, Gaboulouk s’avéra débordée par le flot incessant des nouvelles, ne parvenant pas à soutenir le rythme de ses réponses… Les enfants se défilaient un à un à cette tâche, tant et si bien qu’elle se retrouva rapidement seule face à un devoir de réponse inassumé.
Lui lire les lettres, passe encore, les news de leur tante Vimala ne manquaient pas d’intérêt, mais passer des heures assis à retranscrire la réponse de la matriarche… c’en était trop! Gaboulouk se retrouva seule, en plan, avec son devoir épistolaire inassouvi.
Dès lors, Vimala écrivait bien…, mais sans réponse de Maurice, le combat des deux femmes pour demeurer unies s’avéra inégal.
Gaboulouk chercha bien de l’aide ailleurs, mais si sa propre lignée ne l’avait pas aidée, pourquoi voisins ou locataires l’auraient-ils fait eux-mêmes ? De toute façon, en fait de locataires, la situation de la plupart était telle, que semblable à son propre destin, les pauvres bougres étaient soit occupés par quelque modeste travail en ville les écrasant de fatigue, soit, tout comme elle, analphabètes eux-mêmes.
Gaboulouk se désespérait donc et rongeait son frein, réalisant à quel point son handicap réel, bien qu’elle n’y fut pour rien, l’empêchant de correspondre avec sa fille chérie, ruinait dans le même temps toute autonomie, la rendant à la merci d’une âme charitable. Cette situation déséquilibrée l’attrista au plus profond, surtout lorsqu’elle enragea de voir que, faute de réponses, les lettres de sa fille, elles-mêmes se mirent à se raréfier, la plongeant légitimement dans son inquiétude de mère.
C’est souvent dans une situation de besoin que se crée l’innovation de la pensée humaine en proie à la lutte pour un meilleur destin, sorte de réaction viscérale et positive provoquée par la nécessité ou l’urgence. En ce temps-là, nous étions dans la période de Noël, en 1982, Kanabadee, son fils cadet, demeuré à Maurice, tailleur de son état, celui qui s’était fendu de vendre sa mobylette pour payer le billet d’avion de sa soeur vers la France, venait de s’acheter un combiné radio K7 comme il s’en vendait alors de par le monde. Bien que fort simple, ledit appareil SONY ou PHILIPS, lui permettait enfin de se sentir moins seul dans son travail.
Il connaissait les programmes de la MaBC et aimait à fredonner les airs à la mode, entonnant Lata Mangeshkar aussi bien que les tubes des Beatles alors encore vedettes à Maurice, se repassant sans cesse une mini-cassette du groupe, achetée chez Damoo rue de La Chaussée.
Gaboulouk, qui était friande de modernités, l’avait maintes fois questionné sur le fonctionnement technique de ce drôle d’appareil. Comment le son se conservait-il? Comment se transmettait-il? …
Mais les connaissances du fils n’avaient guère pu la renseigner, et puis, lui aussi croulait sous les commandes passées par les clients, à Noël le travail redoublait, comme chaque année. Plus la fête approchait, plus Gaboulouk se trouvait humiliée. En effet, le monde entier semblait la fuir, affairé dans les turpitudes des préparatifs festifs. L’île entière paraissait ne tenir aucun compte de cette femme et son si simple besoin d’écrire à sa fille pour lui dire qu’en cette circonstance, elle aussi penserait à elle, Vimala, si loin, si seule… Elle éprouvait le besoin de lui parler, de la réconforter, l’aimer, en abolissant, le temps de quelques mots, cette infinie distance qui les séparait depuis trop longtemps désormais.

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