COMMUNAUTARISME CHEZ LES JEUNES: Un mal commun ?

Dans un passé pas très lointain, on a cru que la génération montante viendrait à bout du communalisme. Les propos sectaires tenus par des jeunes sur Facebook ont rappelé que le mal s’est propagé. Pas uniquement sur les réseaux sociaux et autres plates-formes du net. Même dans les établissements scolaires, du primaire au tertiaire. Une situation qui découlerait de l’éducation dispensée à la maison, mais également du jeu politique malsain et de la pression exercée par les associations dites socioculturelles.
Le grave incident survenu sur Facebook confirme l’évidence que de nombreux jeunes Mauriciens vivent avec des préjugés contre des personnes appartenant à d’autres communautés et religions. Ces signes d’intolérance sont souvent observés sur internet. Un détour vers des sites tels que YouTube permet de le constater. Les commentaires suscités par certains clips sont souvent violents et racistes.
Souffre-douleur.
Dans quelques écoles et collèges, le mal est bel et bien présent, racontent des enseignants et des élèves. Humiliations, insultes, agressions : parce qu’ils sont différents de leurs camarades, certains vivent un calvaire quotidien. “J’ai passé deux mois dans un collège et il n’y a pas un jour où je n’ai pas été agressé. Cela pouvait être une petite bousculade pendant la récré, mais ça allait jusqu’à des gifles et même des coups de poing. Au début, j’ai essayé de me défendre pour me faire respecter, mais j’étais seul et ils étaient nombreux. Ils me disaient que les gens comme moi n’avaient pas leur place dans ce collège. C’était devenu un calvaire. Je ne pouvais plus me concentrer sur mes études. Au bout de deux mois, mes parents ont constaté que mes notes empiraient. J’ai dû leur dire ce qui se passait à l’école et ils ont décidé de me transférer dans un autre établissement”, témoigne un jeune.
Une jeune fille raconte que ses camarades lui disaient : “Pa bizin zot isi. Ou pe bar plas ou kamarad. Al dan bann kolez pou ou bann”, alors qu’elles la tiraient par les cheveux ou qu’elles la bousculaient. Un autre collégien témoigne : “Mes amis et moi nous étions les souffre-douleur de la communauté majoritaire dans le collège. Les élèves de ce groupe étaient tout le temps sur notre dos, nous lançaient des remarques désobligeantes par rapport à notre culture. Ils nous considéraient comme étant inférieurs à eux et nous traitaient de tous les noms.”
Changement d’école.
Cet ancien élève dans un collège d’État soutient qu’en dépit des dénonciations effectuées après des enseignants et de la direction de l’établissement, aucune mesure n’avait été prise contre les coupables. Las de cette situation, il a fini par quitter le collège pour poursuivre ses études dans une autre institution.
Une collégienne rencontrée a également dû changer d’école pour des raisons similaires. “C’était devenu insupportable, On me regardait toujours bizarrement, comme si je n’avais pas ma place dans le collège. Personne ne m’adressait la parole. J’en ai parlé à quelques enseignants. Un seul a été compréhensif et m’a conseillée. Les autres m’ont dit qu’il valait mieux que je change d’école. À un moment, c’était devenu invivable et je suis partie.”
Cette tendance serait très prononcée dans des établissements de filles, selon les dires de Zaïra, enseignante. “Le groupe d’élèves de la majorité ne fréquente pas les autres. Et nul ne peut transgresser cette règle sans subir les réprimandes du groupe. Il y a une certaine pression qui est exercée afin que chacun demeure dans son groupe. Le communalisme est latent.” Zaïra, qui a été scolarisée dans un collège confessionnel, soutient qu’à son époque, il y avait définitivement moins de barrières entre les élèves.
Affinités.
Quelques enseignants que nous avons contactés soulignent que peu importe le collège, les minorités se sentiront toujours un peu embarrassées. Selon eux, le regroupement des élèves d’une même communauté s’effectue de façon naturelle, plus par affinités que pour d’autres considérations. “On ne peut pas dire qu’ils le font pour se replier sur eux-mêmes”, souligne Patricia. Elle précise que le comble de cette situation est que “lorsque les élèves issus de minorités se retrouvent entre eux, ils sont accusés d’avoir la fibre communale. Mais quand ceux du groupe majoritaire se regroupent, ils ne sont pas taxés de sectaires”.
Des enseignants attestent que cette pratique de se regrouper selon sa communauté est chose courante. D’autres ajoutent que certains de leurs pairs pratiqueraient du népotisme. C’est ce qu’affirme Patricia, qui travaille dans un établissement d’État, même si elle tient à préciser qu’il ne faut pas généraliser. “Certains enseignants ont tendance à privilégier un élève de la même communauté qu’eux au détriment des autres.” Pour avoir vécu cette situation, un des élèves contactés le confirme. Pour lui et ses amis, il était clair et net que “quelques enseignants nous négligeaient”.
Division.
Selon nos interlocuteurs, si le communautarisme est présent dans les collèges, cela est dû à plusieurs facteurs. Ils ciblent d’abord les politiciens et les associations socioculturelles qui pratiquent le clientélisme et qui “divisent pour mieux régner au lieu de prôner l’unité nationale”. Une enseignante souligne que chaque famille peut contribuer à faire régner la paix à Maurice. Mais elle constate qu’il y a forces occultes qui incitent certains à agir de façon sectaire. Elle note également qu’il y a une méconnaissance de la culture de l’autre, provoquant méfiance et crainte. “Fondamentalement, les jeunes n’ont pas une attitude communale. Ce sont souvent les pressions exercées sur eux qui les poussent à agir de la sorte. La façon de faire des politiciens et des associations socioculturelles n’est pas pour arranger les choses. Ils enveniment la situation et ne voient que leurs propres intérêts.”
Parents.
Cette tendance au noubanisme découlerait aussi de l’éducation reçue à la maison, rappelle un pédagogue. Pour Zaïra, Pamela et Sandrine, il est évident que si les parents inculquaient à leurs enfants une ouverture d’esprit et le respect envers les autres cultures de la société, il y aurait moins de problèmes. “Seule, l’école ne peut pas faire grand-chose. Il faut également la participation des parents”, soutiennent Zaïra et Pamela.
Pour Ashick Junglee, président de l’Association des Mentors, la faute incombe à certains parents, qui ne donnent pas le bon exemple à leurs progénitures. Selon lui, les valeurs de tolérance inculquées par les enseignants ne servent à rien si l’enfant entend des propos sectaires chez lui. “Au niveau des enfants du primaire, il n’y a aucun sentiment communautariste. Mais de temps en temps, il y a des envolées d’ordre communal, des phrases blessantes qui sortent de la bouche des enfants qui n’en connaissent même pas la signification. Souvent, ce sont les parents qui sont de mauvais modèles pour leurs enfants.”
Lacunes.
Selon les pédagogues que nous avons sollicités, le problème viendrait de lacunes de notre système scolaire. Ashick Junglee soutient “qu’au niveau des écoles primaires, il y a une lacune importante à combler et cela concerne l’administration de l’éducation. Voyez la ségrégation des enfants par rapport à la religion dans les classes orientales. Les élèves sont compartimentés selon leurs religions alors qu’à cet âge tendre, c’est le mauricianisme qui devrait être primé”.
“Avec notre système scolaire, qui comprend des écoles liées aux différentes communautés, cela pose problème. Je ne dis pas qu’il faut avoir une seule école, mais les établissements devraient être divisés en écoles privées et écoles publiques”, propose Gilbert Ducasse, de l’Union of Primary School Teachers.

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