CONFINEMENT NATIONAL : Allier imagination, astuces et bonnes pratiques !

  • Ibrahim Koodoruth (sociologue) : « L’enfermement, c’est un aspect qu’il faut apprendre à gérer »

À l’exception des cas flagrants dénoncés, la grande majorité des Mauriciens ont passé les premiers jours de confinement national, le COVID-19 oblige, « comme de bons enfants» :  c’est-à-dire, à la maison, avec les enfants, à s’affairer dans la cuisine (surtout), mais également dans le jardin et dans toutes les autres pièces de la maison ! S’organiser n’a pas été une mince affaire, concèdent ces pères et mères de familles, pour la majorité des salariés. L’enfermement, d’ailleurs, spécifie le sociologue Ibrahim Koodoruth, « est quelque chose que l’on doit apprendre à gérer, autrement, cela peut influer négativement sur le comportement de l’individu ».

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Rencontres et témoignages

Dominique, employée dans un bureau de la capitale, habitant Beau-Bassin, a démarré la journée du samedi « avec toujours cette angoisse, comme une boule dans la gorge, depuis qu’on a annoncé qu’il y a des cas de COVID-19 chez nous. » Mais elle s’est ressaisie, se disant que « les enfants seront affectés par mon comportement, si je laisse transparaître mes sentiments. » Laura et Mathieu étant tous deux au collège, et prenant des leçons particulières les samedis, comme cela se passe dans de très nombreux foyers mauriciens, « certains enseignants se sont organisés pour envoyer des instructions en ligne, et d’autres ont travaillé par téléphone. »

Avec son mari, Jack, Dominique et les enfants ont « préparé des emplois du temps pour que personne ne rate les leçons, les devoirs, et les révisions : il ne faut pas que le confinement soit utilisé comme prétexte pour négliger les études. » Pour sa part, le couple qui travaille également de chez eux, en a profité également pour « mettre de l’ordre dans la maison, le garage… »

La situation, avance encore Dominique, « est inédite : aussi, en même temps on essaie de comprendre et d’assimiler, et de réagir aussi intelligemment que possible. » Elle s’est également attelée à prendre les nouvelles de sa maman, une octogénaire qui vit seule à Tamarin, via le téléphone. « D’ordinaire, nous allons la voir, en famille, chaque dimanche matin. Je lui donne son bain, souvent on déjeune ensemble. Mais là, avec le confinement, cela n’a pas été possible…On s’appelle régulièrement. Nous avons un garde-malade qui reste avec elle. Pendant le confinement, elle n’est pas venue. Idem pour la bonne… » De ce fait, elle est encore « dans le flou… » sur ce plan.

Pour sa part, Kelly Anne, employée de banque, s’est retrouvée « enfin à la maison avec ma fille, Lina, et mon fils, Nathaniel. » Car vendredi, malgré le Confinement Order, elle devait être présente au bureau. Pour notre interlocutrice qui habite la région de Barkly, « j’avoue que j’étais quelque peu déroutée, samedi matin ! Lina a ses leçons à Vacoas, et Nathan est inscrit dans un club de foot, nous sommes habitués à sortir dès la matinée… »
Et ce qui l’inquiétait davantage, c’est que sa fille souffre d’une pathologie cutanée rare qui requiert des soins réguliers et spécifiques : « heureusement, pour le moment, tout se va bien. J’ai fait le plein des médicaments. Mais prions qu’elle n’ait pas besoin de se faire ausculter par son médecin. » La matinée de la petite famille s’est rapidement passée, explique Kelly Anne. « Comme c’est un peu nouveau et que nous étions contents de se retrouver ensemble, nous avons eu le temps de discuter, de plaisanter, et de prendre du loisir… »

Pour les repas « comme nous étions ensemble, nous en avons profité de l’occasion pour faire un peu de cuisine à trois. C’était amusant, certainement ! Des moments très chers que l’on passe avec ceux qu’on aime : c’est inestimable. » Mais point de sortie pour aller rendre des visites hebdomadaires aux parents.

« Au final, ce premier weekend, nous avons pris le temps de nous retrouver. Avec les enfants qui vont à l’école et moi qui vais travailler très tôt, nous trouvions de moins en moins de temps d’être autant ensemble. Et là, nous avons fait de la lecture, regardé des films, nettoyé et rangé. C’est une expérience formidable ! »

À Vacoas, Rosiah et son époux Hamza ont vaqué à leurs occupations habituelles, soit de « nettoyer la maison, faire la lessive et le repassage et préparer le repas ». Pour elle qui est femme au foyer. Hamza étant fonctionnaire de carrière et entamant, actuellement, ses derniers mois de travail, car étant proche de la retraite, explique qu’il s’est «surtout occupé du jardin : mon péché mignon. Comme habituellement, les samedis, je suis de service durant demi-journée, je fais cela les dimanches… quand nous sommes libres. »
En effet, habituellement, leur fille Shaheen et leur gendre, Nawaz, qui habitent l’Est, viennent leur rendre visite un week-end sur deux. Cette semaine, cependant, le couple s’est rendu compte que « ces prochaines semaines, cela ne va pas être le cas. » De fait, ce premier week-end, c’était « un peu la routine, pour nous deux. Mais avec une grosse inquiétude sur le cœur : est-ce que le nombre de malades va augmenter ? Y aura-t-il d’autres victimes ? Ki pou arriver ? »

Les deux Vacoassiens ayant passé les 60 ans, confirment avoir pris beaucoup de précautions. « Vendredi matin, Hamza est allé à la boulangerie, prendre du pain. Et nous en avons pris assez pour quelques jours. Comme cela, pas besoin de sortir à nouveau, de sitôt ! »

Chez elle, à Sodnac, Kanya, employée dans le secteur de l’éducation, n’a pas « trouvé le temps long, comme certains. Au contraire, c’était une occasion propice pour tisser des liens encore plus forts entre nous cinq, nos trois enfants, mon mari et moi. » Adepte du ‘vivre sainement’, Kanya a banni, selon sa propre expression, « les technologies nouvelles, comme smartphone, laptop et tout cela de notre quotidien. Bien entendu, il y a une heure selon laquelle nous permettons aux enfants de se documenter online, regarder des films, jouer… mais nous veillons au grain pour que cela ne prenne pas une proportion exagérée et que les gosses se retrouvent davantage plongés dans le virtuel que le réel ! »

De fait, avec son mari Girish, la jeune femme a élaboré un time table pour chacun d’eux ; les enfants et leur homework, que les enseignants transmettent par mail, leur révision, entre autres. «  Et pour mon mari et moi-même, nos emplois du temps, car nous travaillons tous les deux de la maison, des groupes sur des réseaux sociaux, et des conférences via Skype, et par le mail. »

Mais il n’y a pas que les études, remarque notre interlocutrice. «  Girish et moi prenons également ces moments pour responsabiliser les enfants, comme par exemple, leur apprendre à mettre les vêtements dans la machine à laver, ranger les affaires dans la cuisine, quand nous avons fini de manger… » Kanya a aussi mis a profit ce weekend de confinement pour s’adonner à un de ses passe-temps favoris : la méditation.

« Avec la routine et le Speed du quotidien, nous avons rarement la chance de nous isoler et de réfléchir, de nous remettre en question et écouter la nature autour de soi… » De fait, la jeune professionnelle s’est retirée dans son petit jardin secret : « j’ai trouvé mon petit coin sur notre balcon. Et en temps normal, je ne profite pas du silence. Ce samedi, quand je suis montée, à un certain moment, j’ai été frappée par la beauté du silence : personne dehors, pas une voiture, pas de bruit… Cela m’a permis de réaliser à quel point nous sommes petits et vulnérables dans ce monde affecté par ce virus mortel. Nous pensons habituellement, et à tort, évidemment, que nous pouvons tout contrôler. Eh bien non. Voilà, les circonstances nous prouvent le contraire ! » concède-t-elle.

Elle conclut : « je suis d’avis que chaque Mauricien, quel que soit son âge, sa religion, sa position sociale et économique, doit mettre à profit ce confinement et essayer de voir comment chacun de nous peut se rendre meilleur sur le plan humain, et améliorer tout ce qu’il y a autour de nous. C’est une occasion sans doute… unique ! »

Au final, ces familles mauriciennes, conscientes des dangers que représente la pandémie du COVID-19 pour le pays, ont « choisi de nous enfermer : pour nous protéger, protéger nos enfants et tout le pays. » Certes, retiennent-ils, « l’expérience est assez dure : ce sont les premiers jours, il y a l’angoisse de l’incertain. Et avec ce qu’on lit sur le net et ce qu’on voit à la télé, de comment cela se passe en Italie, avant cela en Chine, cela fait peur. » Chacun s’évertue à « ne pas être négligent ni imprudent. Et adopter les bonnes pratiques, tant pour maintenant, durant la période de l’épidémie, que pour après : il faut tout doser, réfléchir et agir dans le bon sens. »


IBRAHIM KOODORUTH (SOCIOLOGUE) : « S’enfermer, cela s’apprend ! »

Le chargé de cours de l’université de Maurice (UoM) et sociologue, Ibrahim Koodoruth, est catégorique : « cette période de confinement, qui est inédite, pour nous, passe par une période d’apprentissage. Les premiers jours sont évidemment très durs : l’humain, de nature, est grégaire. Il aime et est habitué à voir des gens autour de lui. De fait, quand il se retrouve brutalement cloîtré chez lui, qu’il fait beau dehors, donc, il n’y a pas de cyclone, et qu’on lui dit qu’il n’a pas le droit de sortir, il ne comprend pas immédiatement. Il faut donc apprendre à gérer ce temps d’enfermement. »

Autrement, continue le sociologue, « cela peut influer négativement sur l’humeur et donc, le comportement des uns et des autres. L’homme cède à l’angoisse et à la peur, s’il ne dispose pas de bonnes et vraies informations, régulièrement. Il faut, de prime abord, rassurer la personne psychologiquement, et également sur le plan de ses autres inquiétudes, notamment comment pourra-t-il subvenir aux besoins de sa famille au cours de ces 15 jours d’enfermement, et si on va au-delà de cette limite… »

Aussi, propose le sociologue, « il convient d’être un peu tolérant, et d’avoir un petit temps d’adaptation pour tout un chacun, afin de donner à l’ensemble, le temps de comprendre et développer des réflexes pour gérer le gros quantum de temps libre qui leur tombe subitement dessus. »

Prenant son propre exemple, Ibrahim Koodoruth explique que « c’est le temps béni pour Catch up  avec les petits travaux qu’on est toujours en train de remettre à plus tard. Là, on n’a plus d’excuse de ne pas le faire. » De même, c’est une opportunité de tisser des liens plus forts entre membres de la famille, trouver des affinités et occupations communes. Cela permet de revenir à l’essentiel et les vraies valeurs !  Également, le chargé de cours à l’UoM concède que « je rattrape mes lectures ; j’en profite pour terminer un bouquin ou faire des recherches qu’en temps normal je n’arrive pas à faire. Nous continuons nos cours en ligne, et nous sommes en permanence en contact avec les étudiants, donc, le travail se poursuit… » Parallèlement, il ajoute que « le gouvernement a une immense responsabilité dans toute l’affaire. C’est une urgence sanitaire internationale, comme on l’a vu dans tous les pays, les chefs d’État sont au premier plan. Chez nous également, cela doit suivre. Le Premier ministre doit assumer pleinement le leadership. C’est bien qu’il y ait des points de presse au quotidien pour disséminer des informations sur comment cela se passe, le nombre de nouveaux cas dépistés, de victimes. Mais il faut aussi que la transparence soit totale. Je reviens là sur le temps que Pravind Jugnauth a mis, le mercredi et jeudi, pour annoncer, d’abord, qu’on avait trois cas à Maurice, et ensuite, le confinement. D’avoir annoncé des heures auparavant sa conférence de presse et fait attendre le peuple, cela a contribué à accroître en intensité l’angoisse dans chacun de nous. Et cela, c’est dangereux . »

De plus, poursuit-il, « dans une conjoncture comme la nôtre, actuellement, chaque personne raisonnable sait qu’à partir d’un certain moment, elle n’aura peut-être pas assez de vivres pour subvenir aux besoins de sa famille. Pourquoi donc ne pas penser à organiser des structures, via les conseils de districts et les municipalités, de systèmes de distributions, de pains, de légumes, de fruits, même des épices, qui viendraient aux portes dans chaque quartier, définissant un time-table? De cette façon, la personne saura qu’elle peut faire appel à ce service et ne succombera pas à la tentation de sortir pour faire ses courses ! »

Et de conclure que « c’est un virus virulent et très contagieux. Bien informer le peuple influera définitivement sur leur attitude et comportement. L’angoisse qui caractérise actuellement presque tout le monde, on peut s’en défaire. Moyennant que le gouvernement ne rate pas le coche ! Il s’agit d’être proactif et d’anticiper les choses et développer des stratégies en amont. De cette façon, on aura, en grande partie, des gens qui feront moins les inconscients ! »

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